Une ignorance de taille : la distinction "évaluation formative" / "évaluation sommative".

Il faut commencer par souligner ce qui pourrait être un point positif : les objectifs de cette évaluation sont clairement exprimés dans le texte d'orientation : (Ces évaluations) sont menées en milieu de l'année scolaire afin que les professeurs des écoles aient le temps nécessaire pour organiser leur enseignement..
Espérons pour eux qu'ils n'ont pas attendu le milieu de l'année pour le faire... !
Mais l'on peut supposer que le verbe "organiser" signifie en réalité "réorganiser"...
De toute façon, cela définit ces évaluations comme "formatives", effectivement indispensables à l'enseignant pour savoir où il en est lui-même et comment son travail d'enseignant est reçu par les élèves.
Excellent... Sauf qu'il y a un os — monumental.
L'auteur du texte d'orientation semble avoir oublié (ce qui est grave dans sa position !) qu'il existe au moins deux grandes formes d'évaluation, aux objectifs nettement différents :

* une évaluation dont la fonction est de réguler et réajuster le travail d'enseignement qu'on appelle "formative". C'est une évaluation qui fait partie du travail d'enseignement, donc une évaluation interne et qui doit être effectuée par l'enseignant lui-même, pour et avec ses élèves hic et nunc, et sur la base de son propre travail, puisque c'est, en réalité, son travail qu'il s'agit d'évaluer.
De plus, elle ne peut se contenter d'exercices à faire faire individuellement — même si ceux-ci sont nécessaires. Elle doit être accompagnée d'une régulation collective, au cours de la quelle sont abordés à la fois les résultats des exercices proposés, l'analyse des causes de réussites ou d'échecs, mais aussi le travail d'apprentissage précédent, et la manière dont il a été vécu par chacun. Cette régulation doit évidemment déboucher sur une prise de décision, collective elle aussi, sur la suite qu'il convient de donner aux formes et contenus du travail à venir, compte tenu de ces observations .

* une évaluation dite "sommative", qui se place à la fin des études, ou aux passages d'un cycle d'apprentissage à un autre, et dont la fonction est certificative, c'est-à-dire qu'elle permet d'affirmer que les candidats ont bien les compétences requises pour exercer la profession qu'ils désirent, ou pour entrer dans un nouveau cycle d'études. Celle-ci, au contraire de la précédente, doit être effectuée de l'extérieur du système d'enseignement, afin d'être aussi objective que possible. C'est ce que sont les examens et les concours, qui sont des "évaluations-barrières", sortes "d'Ausweiss", destinés à ne laisser passer que ceux qui le méritent et à refouler les autres.
Dès l'instant où une évaluation est proposée de façon nationale et imposée à tous de la même manière, cela définit une fonction certificative, et donc lui ôte toute possibilité d'être "formative".

Placer une telle évaluation en milieu d'année est, dès lors, invraisemblable de stupidité : on ne saurait évaluer des résultats tant que le travail n'est pas terminé !! A moins qu'elle ait pour fonction de faire redescendre de classe ceux qui ne vont pas réussir. Hypothèse, certes "hénaurme", mais on peut s'attendre à tout de nos jours !

Les conséquences possibles de cette décision, qui laissent supposer qu'elle n'est pas si ignorante que cela et qu'elle représente un danger réel, pour nos enfants.

Si elle est conçue pour que les enseignants réorganisent leur travail, cela veut dire que le but véritable est que les enseignants obtiennent coûte que coûte les résultats attendus à la fin de l'année, par les programmes... et qu'ils seront jugés — voire payés ! — sur ces résultats.
Chacun va donc s'efforcer d'y arriver, ce qui est parfaitement possible... à une condition, — qui fut bien souvent remplie dans les classes des années 30 (et même d'un peu après...).
Il suffit de se résigner à ne plus enseigner des "savoirs" construits, compris, maîtrisés (c'est trop long à mettre en place !), mais des "trucs", à savoir par cœur, de préférence sans les comprendre, dont la fonction, à l'époque, était de permettre aux élèves de répondre ce qu'il fallait à l'inspecteur quand il arrivait dans la classe. Ces "trucs" peuvent effectivement donner une apparence d'efficacité, non sans être accompagnés d'effets secondaires parfois fâcheux.
C'est ainsi que l'auteur de ce billet, qui fut longtemps une élève docile, et à qui l'on avait demandé de savoir par cœur que "après tu, on met toujours un "s" (ce qui du reste est faux !), a écrit TUS dans un nombre impressionnant de dictées...
On pourrait citer de nombreux exemples, pris dans diverses disciplines des résultats navrants de ces "trucs" de bachotage, qui n'ont rien à voir avec des objectifs éducatifs : ils ne développent ni l'esprit critique, ni ce qu'on appelle — d'un mot qui semble bien n'être plus guère à la mode —, la culture !

Enseigner sans permettre de construire le savoir enseigné, et vérifier que c'est "su", au lieu de s'assurer que c'est compris, cela éclaire un paradoxe, apparent seulement, à savoir que tant de diplômés puissent être aussi incultes, et raisonner aussi mal.

Et, bien entendu, des épreuves, en plus, qui contiennent des erreurs...

Dès le premier exercice, on trouve la consigne suivante :
Dans la phrase : "Je m'assis, j'ouvris le livre sur les Pirates et je commençai à lire, mais je voyais bien qu'il ne m'écoutait pas", les mot "JE" et "IL" remplacent les deux personnages de l'histoire....
JE remplace........
IL remplace.....

Le problème, c'est que, si le mot IL remplace effectivement le nom d'un personnage, en fait le vieux Schatz, il n'en est pas de même pour le mot "JE", qui ne remplace rien — et surtout pas le mot "le narrateur" : si je mets ce mot dans la phrase, à la place de JE, je dois obligatoirement changer la forme du verbe.
Contrairement à IL qui est bien un pronom, JE ne remplace pas un mot, il désigne une personne, ou plus exactement l'un des pôles de la communication.
Il ne peut donc appartenir à la même classe de mots que "IL", sauf à reconnaître que la notion de classe n'a aucun sens !

On pourrait souligner ainsi d'autres erreurs, de grammaire ou de vocabulaire, notamment à propos de la distinction "sens propre / sens figuré", remise en question pourtant depuis longtemps par les linguistes...
A de très rares exceptions près les questions restent en dehors de la compréhension du fonctionnement de la langue, et se contentent de vérifier une reconnaissance de formes, sans aucun intérêt, et sans justification : "relève deux verbes à l'imparfait"; "relève deux adjectifs qualificatifs, un pronom personnel et un pronom relatif".

Plus graves encore que les programmes, ces évaluations sont donc un danger réel pour les enfants, en restreignant encore un peu la place de l'intelligence, du raisonnement et de l'esprit critique dans leur éducation.
Elles sont aussi une véritable insulte aux enseignants, qu'elles vont évidemment mettre en compétition les uns avec les autres, et qu'elles vont conduire à faire du conditionnement à haute dose.

Et, du coup, leur véritable fonction devient lumineuse : ces conséquences sont bien des limites évidentes à leur liberté pédagogique, que les programmes avaient été obligés de leur laisser (Démocratie oblige...).
Et ce, au nom d'une pratique ayant, pour tous ceux qui ne sont pas dans le sérail, les apparences de la plus rassurante rigueur scientifique.

Décidément, ils sont beaucoup moins ignorants qu'on pourrait le penser.
Ils sont même très forts.
Ils savent pertinemment ce qu'ils font.
A nous d'en tirer les conclusions... Mais vite !!