Avant tout, face aux dangers que présentent ces invraisemblables évaluations CM2, il importe que soient connues de tous les contributions actuelles que proposent collègues et chercheurs. C'est une lecture indispensable et qui fait du bien en ces temps sinistres.
1- Sur le site des Cahiers Pédagogiques, l'article de J.M. Zakhartchouk :
http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=4204
2- Sur celui du Café Pédagogique :
http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/evaluationsCM2.aspx
3- Vous trouverez aussi sur cet autre site :
http://jmichel.francois.free.fr/evaCM2
entre autres informations essentielles, une analyse didactique très intéressante des épreuves.
4- Même TF1 s'y intéresse :
http://tf1.lci.fr/infos/jt/0,,4228191,00-education-ils-font-de-la-web-resistance-.html
5- et toujours :
www.darcos-demission.org

Quant à notre réflexion, un peu de raisonnement par analogie ne serait pas mauvais pour la lancer. C'est une forme de raisonnement qui agace souvent, mais qui n'est pas sans vertus pour nourrir l'analyse.

Une situation pour réfléchir.

Il arrive, par exemple, que certains (plutôt "certaines", en général) s'inquiètent d'avoir engrangé quelques kilos de trop... Les plus raisonnables vont alors consulter un médecin, en cabinet ou en institut, lequel, après examen et pesée (évaluation de "départ") va faire un diagnostic et prescrire un traitement (régime, activités physiques, massages etc.). Il ajoute, en général, à ses prescriptions, un conseil strict : celui de ranger, dans un placard, la balance à l'origine des inquiétudes et surtout de l'y oublier. Inutile et nocif, précise-t-il de se peser durant le traitement.
Une évaluation ne se fait pas n'importe comment, n'importe quand, ni n'importe où. La pesée doit avoir lieu avec le médecin, au moment qu'il jugera nécessaire, c'est-à-dire lors d'un rendez-vous dont il fixe lui-même la date, quelques semaines plus tard.
Cette date n'est pas fixée au hasard : elle est choisie à un moment où il est raisonnable de penser qu'un progrès pourra être mis en évidence.
Pourquoi ?
Parce que chacun sait, quand il est de bonne foi, qu'après avoir souffert de privations et fourni des efforts durant des semaines, si aucun progrès n'est apparu, la réaction de chacune (et même de chacun) dans ce cas, consiste à se précipiter dans la première pâtisserie venue pour y engloutir le plus gros gâteau à la crème possible.
Il en est de même de l'élève qui ramasse une mauvaise note : même si une logique adulte plus que sommaire, fait croire qu'un échec motive à travailler davantage, c'est exactement le contraire qui se passe. Il n'est pas nécessaire d'avoir fait de hautes études de psycho pour le savoir. Il suffit de se souvenir de l'élève qu'on a été.

Cela veut dire qu'une évaluation n'est efficace que si elle fait apparaître des progrès, donc si elle est positive. Cela ne veut pas dire que tout doit y être réussi, cela veut dire qu'il faut qu'elle fasse apparaître des progrès, même si certains points restent à revoir ou à approfondir. Une évaluation ratée, est la preuve qu'elle a été mal organisée par l'enseignant, trop tôt, ou insuffisamment bâtie sur le travail précédent effectif.

Il est donc facile de comprendre qu'une évaluation doit... :
1- si elle veut avoir comme fonction de permettre un réajustement du travail d'enseignement, être interne à ce travail, et être conçue à partir de ce qui a été effectivement vécu. Donc qu'aucune évaluation externe ne peut jouer ce rôle.

2- être rare, si elle veut laisser aux apprentissages le temps de se faire. On ne peut pas apprendre et évaluer en même temps. Ce constat permet, au passage, de remarquer que, si toutes les productions des élèves d'une classe sont notées (une note, c'est censé être une évaluation), cela veut dire que l'enseignant ne fait qu'évaluer, et que les élèves ne sont jamais en train d'apprendre...

3- avoir un regard orienté, non sur la "réponse attendue" (comme dans les évaluations CM2), mais sur ce qui est acquis dans ce qui a été travaillé, en sachant que cela ne peut jamais être la même chose pour chaque élève. Et comme il est impossible qu'il n'y ait pas chez chacun au moins une chose comprise et acquise, toute évaluation ainsi conçue devient nécessairement positive et donc utile.

La conclusion qui s'impose est donc que ces évaluations nationales ne peuvent être "formatives", qu'elles sont bien "certificatives"... et que si l'on affirme en haut lieu qu'elles sont "diagnostiques", ce ne peut être qu'un diagnostic sur la qualité de l'enseignant... Le Ministre peut jurer cent fois le contraire, cela est incontestable.
Elles sont là pour permettre de certifier que l'enseignement donné (donc l'enseignant) est bon ou mauvais. Et comme les critères sont loin d'être solides, qu'ils correspondent plus aux idées reçues sur les savoirs, qu'à des compétences sérieusement définies, ces "certifications", surgies au beau milieu du travail, ne peuvent être que catastrophiques, pour les collègues, pour les élèves et pour l'avenir des uns et des autres.

Et les notes ?

Se donnant toutes les apparences de tests scientifiques (on pourrait rire ici, si ce n'était pas si triste !), les différents exercices de chaque "séquence" doivent être "notés". Le système choisi est celui du codage, très scientifique, dit "en 1 ou 0, si...". Au moins dira-t-on, on évite ainsi l'absurdité des demi ou quart de points que tant de collègues n'hésitent pas à mettre à une dissertation littéraire ou philosophique... C'est bien ou ça ne l'est pas : on n'a pas à tergiverser, le couperet tombe là où il doit tomber.
Fort bien. Reste à savoir où on le fait tomber, et où se place la limite de la compétence visée. En fait, la manière de couper révèle admirablement la conception des auteurs de ce qu'ils appellent "compétence", comme on peut le voir dans l'exemple qui suit :
Il est tiré de la séquence 3, exercice 15 "Ecrire", qui consiste en la copie d'un extrait de texte de 15 lignes, dont le codage est ainsi présenté :

10mn pour copier ce texte.
Le 1 ne sera accordé que si la copie est complète et les mots correctement orthographiés... ("ne pas oublier les références du texte", disait la consigne orale). Une seule erreur, un seul oubli = 0.
Il faut aussi que la copie respecte la disposition, la présentation et la ponctuation du texte original : un saut de ligne oublié = 0.
Il faut enfin que la qualité de la graphie soit satisfaisante (On précise dans le livret du maître : formation et taille des lettres, attaches entre les lettres, en particulier pour la lettre "x") : un "x" mal attaché = 0.


Caricature de ce que doit être une évaluation ? Que nenni ! Dessin très réaliste au contraire, qui rappelle curieusement l'armée (au moins celle de papa !) : un bouton mal boutonné, le calot de travers —> F'rez trois jours!
Les choses sont claires : ce sont des compétences d'obéissance et de soumission formelle, qui sont recherchées ici : on est loin des principes démocratiques d'éducation.
Mais comme ce n'est pas la première fois qu'une telle remarque s'impose dans les décisions éducatives de l'équipe au pouvoir, force est d'admettre que tout ceci est d'une grande cohérence.

Pourtant, évaluer le travail et savoir en coder les résultats, de façon parlante et claire, cela fait partie du métier d'enseignant. Même les notes peuvent y jouer un rôle utile et même nécessaire.
A certaines conditions... qui seront évoquées dans le prochain billet...
A suivre...