Contrairement, en effet, à ce qu'affirmait encore ce matin notre ministre, avec la tranquillité de celui qui ne se pose pas de questions, une évaluation n'est chose ni simple, ni évidente. Elle a toutes sortes de formes, qui dépendent de deux facteurs, étroitement liés :
* ceux à qui elle est destinée,
* le type d'informations qu'elle doit leur apporter.
On peut repérer cinq grandes familles de personnes, réelles ou morales, qui ont besoin d'informations précises sur le système éducatif:
* les élèves eux-mêmes, qui ont besoin de voir clair sur ce qu'ils doivent savoir, sur ce qu'ils savent, sur les progrès qu'ils font et sur ce qui leur reste à apprendre ;
* l'enseignant de la classe qui a besoin d'un feed-back régulier sur son travail, afin de le réajuster aux besoins de ses élèves ;
* les parents des élèves, qui ont besoin de comprendre ce qui se passe à l'école afin de pouvoir suivre leurs enfants, mais aussi d'être informés de leurs progrès;
* l'Institution, qui a besoin de certifications sur le travail mené par l'enseignant et donc d'avoir des données objectives d'ensemble sur les résultats des élèves au regard des besoins de la Nation.
* la Société tout entière, qui a besoin de critères objectifs et fiables, pour confier aux personnes qui le désirent, les tâches et charges de la vie sociale.
Il est facile de comprendre que les moyens de satisfaire ces divers besoins ne peuvent évidemment être les mêmes, puisque les informations recherchées ne sont pas du même ordre.

La première de ces personnes, c'est la Société elle-même, responsable de son propre fonctionnement
Ce qu'elle a besoin de connaître lui est fourni par des "évaluations externes", en général "nationales", qui, placées à la fin des études, permettent de certifier les compétences acquises par les élèves, afin de leur donner le droit d'exercer la profession qu'ils ont choisie, ou le type de formation qu'ils espèrent.
Rappelons que ces évaluations externes sont une conquête de la Révolution, et un indicateur de démocratie.
Avant 1789, il suffisait de payer pour avoir le droit d'exercer un métier.
Et lorsque, en 1968, les étudiants se sont mis à réclamer haut et fort la disparition des examens et concours au profit du seul "contrôle continu", il a fallu leur rappeler cette évidence que ce sont ces mêmes examens et concours qui garantissent, au moins en théorie, la qualification de ceux à qui on a affaire. Il suffit de se demander si on irait facilement se faire opérer par un chirurgien qui aurait simplement payé sa charge, et si l'on monterait avec confiance dans un avion piloté par quelqu'un qui se serait auto-évalué...
Il va de soi qu'une telle évaluation, pour être vraiment certificative, doit prendre appui sur des critères rigoureusement définis à partir d'une analyse approfondie des compétences mises en jeu dans l'activité, et susceptible de mettre en évidence des indicateurs de compétences définissant les épreuves prévues. On peut noter à ce propos que la manière de définir les épreuves est un bon révélateur de l'importance accordée à la fonction ainsi évaluée. S'il est peu contestable que celles qui accordent le doit d'être chirurgien ou pilote de ligne peuvent être considérées comme fiables, il n'en est pas vraiment de même de celles qui donnent le droit d'enseigner... Chacun peut tirer de ce constat les conclusions qui s'imposent.
Comme c'est une évaluation-barrière, elle ne peut se passer d'un résultat chiffré, seul moyen de classer les performances. Mais il va de soi que cette note chiffrée doit avoir certaines caractéristiques pour être crédible :
1- elle doit être une somme de choses réussies, et non le résultat d'une soustraction de points, due aux erreurs commises. Cette pratique a beau être sanctionnée par l'habitude, elle est pourtant d'une rare stupidité : où a-t-on vu qu'on puisse mesurer en soustrayant ?
2- elle doit prendre appui sur des critères précis, correspondant à des indicateurs de compétences rigoureusement définis à partir des compétences attendues.
3- Il est préférable qu'elle soit le résultat de deux, voire trois correcteurs, si l'on veut limiter au maximum les risques d'injustices dus aux aléas des humeurs de chaque correcteur...

L'évaluation attendue par l'Institution
C'est celle qui est assurée par les différents corps d'inspection. Et sur ce point, je ne saurais trop recommander à nos lecteurs les contributions de Pierre Frakowiak, notamment celles qui ont été publiées sur le Forum du site de Philippe Meirieu,
http://www.meirieu.com/FORUM/forumsommaire.htm
Par exemple, celle du 4 novembre 2007 : L'évolution du métier d'inspecteur du premier degré… ou « Je suis content, je pilote ! »
ou encore, celle du 26 septembre 2008 : Refonder le métier d’inspecteur : un enjeu décisif…

L'évaluation attendue par les parents
Il est clair qu'elle n'a rien à voir avec les deux précédentes. Elle n'a pas non plus grand-choses à voir avec celles qui vont suivre, celle qui s'adresse à l'enseignant et celle qui s'adresse aux enfants eux-mêmes.
Le détail des compétences acquises, présenté avec les termes techniques liés à l'analyse de l'activité, ne peut intéresser les parents. En revanche, ce qui importe pour eux, c'est de savoir ce que leurs enfants ont été capables de faire, alors qu'ils n'en étaient pas capables auparavant. Elle doit donc être très concrète, et formulée en termes d'activités réussies, avec leur nombre effectif.
Pour prendre un exemple précis, informer les parents du degré de maîtrise en lecture de leur enfant, cela ne peut se faire, ni avec des notes (qui ne signifient rien), ni avec l'énumération des compétences de lecture acquises ou non (qui ne signifient pas grand-chose à leurs yeux), mais avec le nombre de situations de lecture réussies par l'enfant, c'est-à-dire, celles qui lui ont permis, en autonomie, de mener à bien ce qu'il avait à faire en diverses disciplines (lectures de problèmes mathématiques, de consignes d'activités, etc.) et à l'occasion des divers projets sociaux de la classe.
Des journées portes ouvertes de l'école, des activités de classe filmées et projetées aux parents, sont aussi d'excellents moyens de leur apporter les informations attendues.

L'évaluation dont l'enseignant et ses élèves ont besoin, qui se trouve être la même, présente diverses caractéristiques qui la placent complètement en dehors des impositions ministérielles.
D'abord, comme on peut le voir, c'est une évaluation au singulier : elle n'est pas destinée aux enseignants , mais à chaque enseignant, pour lui même et dans sa classe.
Ensuite, comme cela a été rappelé dans un précédent billet, elle ne peut porter que sur ce qui a été effectivement travaillé.
Enfin, elle ne peut consister en des activités-tests, avec tout leur appareil prétentieux et leurs codages faussement scientifiques, mais elle doit prendre appui sur des activités de réinvestissement des acquis, et surtout s'accompagner d'une régulation, collective, qui doit suivre le corrigé de ces réinvestissements, et qui est essentielle.
Ajoutons qu'elle n'a nul besoin de notes chiffrées, dont on sait qu'elles ne signifient strictement rien (toutes les études de docimologie le prouvent : on ne met jamais la même note au même devoir — même avec un barême — d'un moment à un autre). Seules, certaines évaluations pointues sur des domaines précis d'apprentissage, peuvent recevoir une note, dont les conditions d'attribution ont été clairement définies avec les élèves.
Ainsi par exemple, pour évaluer si tel travail d'orthographe a bien été compris, on peut proposer le seul type de dictée intelligente qui soit, celle qui consiste à distribuer le texte de ce qui serait une dictée si on se laissait aller à une dangereuse routine, mais dans lequel ont été effacées certaines marques, correspondant à ce qui a été précédemment travaillé et que l'enseignant veut évaluer : désinences verbales, marques d'accords, etc.
Le texte, ainsi pourvu de "blancs" ou "trous", est dicté par l'enseignant — afin d'éviter toute erreur d'interprétation de ce qui manque — et les enfants ont à remplir chaque "blanc".
Un point est affecté à chaque "blanc" bien rempli, et la dictée peut ainsi avoir une note qui ait enfin un sens, note qui peut au besoin être communiquée aux parents : 15/20, cela veut dire que, sur 20 exemples d'une difficulté d'orthographe donnée, l'enfant a réussi quinze fois... C'est clair, sans contestations possibles. Rien à voir avec une sanction !
Et si l'élève n'a que deux réponses justes sur les 20, — ou aucune — cela sera étudié avec bienveillance et surtout l'aide de tous les autres, lors de la prochaine régulation. L'objectif n'étant jamais de sanctionner, mais de comprendre et d'aider : un enseignant, c'est à cela que ça sert.

Avec les ukases du Ministre, on est très loin de tout ça, hélas.
Pourtant, les enseignants que nous sommes sont incontestablement plus nombreux que le ministre, ses secrétaires et les membres de son cabinet... Qu'est-ce qu'on attend alors ?