D'abord, parler de "choc", quand il s'agit de savoirs à acquérir, est, loin d'être, ici, une trouvaille intéressante, c'est-à-dire, qui ajouterait un plus au propos. C'est une maladroite proposition de formule frappante et la marque des pauvres en culture qui veulent passer pour brillants.

Non ! Le savoir n'est pas un choc : il ne fait pas mal !
Il n'est pas non plus du remplissage : le savoir ne s'empile pas dans la tête de celui qui apprend, comme on s'obstine à le présenter, à travers la notion de "niveaux", notion d'autant plus dangereuse, qu'elle détermine le regard porté sur chaque enfant, avec toutes les conséquences, souvent catastrophiques, qu'elle entraîne.

Apprendre, pour savoir, est une lente et douce transformation de toute la personne de l'enfant, qui se construit au fur et à mesure des connaissances nouvelles qu'il acquiert : grandir, c'est apprendre, même en dehors de l'école. On peut même dire que, sans minimiser les apports de celle-ci, les apprentissages les plus importants se font en dehors de l'école et avant elle.
Mais il va de soi, que ceux de l'école sont, de loin, les plus déterminants, pour deux raisons principales : ils ont été acquis en même temps que d'autres enfants, et en pleine conscience de cet apport, ce qui constitue un "plus", pour la solidité de l'acquisition.

D'où l'importance de la manière dont les enfants les ont acquis, donc de la manière dont ils lui ont été proposés. C'est cela qu'on appelle la pédagogie.

On notera que ce terme de "pédagogie" est absent du vocabulaire ministériel. Et quand on lit les propositions du fameux "Choc des savoirs" , on est atterré par les ignorances du ministre quant à l'histoire de l'école primaire française : toutes les dispositions prises (et non "proposées") partent de zéro, sans aucune référence à ce qui a pu être fait dans le passé.
Heureusement que Gabriel Attal et consorts sont arrivés au ministère, car, de toute évidence, avant lui, c'était le désert et/ou l'anarchie, au choix !

Je crois que c'est là ce qui choque le plus, dans le comportement du ministre : oublier tout ce qu'on doit à ceux qui nous ont précédés, c'est particulièrement laid moralement, et ça tue toute confiance dans les propositions qu'il peut faire, car, l'absence de références au passé, fût-ce pour le critiquer, est un indicateur d'ignorance, donc une raison importante de se méfier de ses propos.
Cette méfiance est justifiée au moins par un détail, non dépourvu d'importance : la seule référence, qu'il fait à des travaux en pédagogie, se trouve être ceux de Stanislas Dehaene, dont les travaux, marqués par des choix théoriques, pour le moins discutables, sont loin de faire l'unanimité.
Deux principes clairs guideront, selon ses déclarations, les travaux du ministre, scandés du terme "exigence", fort aimé du ministre, dont la naïveté, quasi infantile, est désarmante : comme s'il suffisait d'exiger pour avoir !
* la simplification - avec des programmes moins volumineux. (donc, les enfants apprendront moins ! Alors, que devient l'exigence ? ))
* la clarification - avec l’intégration d’objectifs annuels, là où d'incontestables travaux ont démontré il y a quelques années, que l'année était une période beaucoup trop courte pour permettre des évaluations sans dangers : apparemment le Ministre ignore les travaux menés dans les années 70 -80, sur l'importance du temps dans la construction des savoirs, qui avaient conduit à la notion de "cycles d'apprentissage", différents selon les enfants, ce qui rendait très dangereux le travail sur un an, et avait permis l'installation des "fameux cycles de trois ans", dont les premiers résultats, très prometteurs, ont vite été oubliés, pour d'imbéciles raisons politiques.
Ces deux principes figurent aujourd’hui dans divers guides épars, avec le choix clair (ô combien discutable !) de la pédagogie explicite (donc, une pédagogie non constructiviste, d'où les enfants sont absents)

Incontestablement, nous sommes entrés dans une période étrange, pas vraiment de "régression" : pire, une période de contre-vérités, d'absurdité dans les choix, de fonctionnement à l'envers et d'ignorances, une période qui, croyant se réinventer, se coupe de tout ce qui a précédé. C'est, de toute évidence, le pire des dangers que peut courir l'école, avec cette inertie où, à l'exception de quelques militants syndicalistes, somnole le monde enseignant.

Allo ! Les collègues, vous qui avez la chance d'être encore en activité, réveillez-vous ! Il faut protester, manifester, désobéir aux ordres indignes. Un grand monsieur a dit un jour : "Il est beau qu'un soldat désobéisse à des ordres criminels."
Même s'il n'en ont pas l'air, nos ministres de l'Education Nationale sont dangereux et leurs ordres sont beaucoup plus criminels qu'ils ne le paraissent.
Ne laissez pas notre belle école, celle des Jean Zay, des Paul Langevin, des Henri Wallon, des Louis Legrand, et de bien d'autres, être salie par nos ministres actuels : protégeons-la, car elle est en grand danger.
Répondez au "choc des savoirs", par la maîtrise de la pédagogie : personne ne peut enseigner ce qu'il n'a jamais appris. Et quelqu'un qui n'a jamais fréquenté l'école publique, et ignore la notion de pédagogie, ne peut diriger l'Education Nationale.
Il serait bon que les ministres de l'E.N. sachent enfin comment les enfants apprennent, et deviennent les pédagogues, qu'ils se doivent d'être. Au fait, ça sert à quoi, un ministre de quelque chose ?
Il y a des moments où l'on se pose des questions...