Attendu que certains élèves, chaque année, réussissent, et acquièrent les savoirs prévus officiellement, la question se pose de savoir pourquoi ce n'est pas le cas de tous.
Interrogés, la plupart des collègues répondent : "elle vient de leurs dons personnels, et/ou de leur courage au travail". Ajoutant : "souvent les deux sont nécessaires".
Les dons personnels, en principe, on n'y croit pas trop, mais on croit beaucoup — et à juste titre — aux dons sociaux : être né là où il fallait naître, et où les chances de réussite sont nettement plus grandes. Et si l'on creuse un peu, on se rend compte que le courage au travail y est aussi plus facile à avoir : il est plus facile à un jeune adolescent de se plonger dans ses devoirs du soir, installé sur le bureau de sa chambre, que sur la table de la cuisine, pendant que sa mère prépare la soupe du soir, et que les petits frères et sœurs se disputent à côté.
On me dira que, dans ces conditions, la réussite est d'autant plus méritoire... En fait plus rare et c'est très injuste.
Mais reconnaissons que ce constat n'entraîne le plus souvent qu'une résignation plus ou moins triste : on n'y peut rien.

Je suis depuis toujours convaincue du contraire. On y peut et même beaucoup, notamment en faisant davantage confiance aux acquis des enfants qui, souvent en savent plus que l'on croit. Il n'est pas rare, en effet, que des réussites apparaissent, non lors des évaluations, inutiles presque toujours, mais lors de ces moments de grâce, ces événements qui vous marquent dans notre métier, comme cette jolie histoire, que j'ai vécue, il y a pas mal de temps, dans un CE1 de Toulouse.
Ce jour-là, la personne, chargée du nettoyage de la classe avait, par inadvertance, cassé un des "masques", fabriqués par les élèves, pour le carnaval proche. Toute désolée, elle avait inscrit au tableau son regret et une excuse pour ce petit drame.
Il se trouve que la maîtresse avait dans sa classe, une élève qu'elle pensait en échec complet pour la lecture, et qu'elle tenait absolument, mais vainement, à sortir de l'échec, où, de toute évidence, elle allait tout droit. Aussi ne la quittait-elle pas d'une semelle.
Or, en entrant dans la classe, l'élève, que la maîtresse suivait de près, comme d'habitude, s'écria, juste en jetant les yeux sur le tableau : "Oh ! Pourvu que ce ne soit pas le mien !!".
Preuve qu'elle savait fort bien lire, en fait. Devant ce cri d'angoisse de la gamine, la maîtresse, surprise, reprit confiance en cette enfant, cessa de s'en occuper de façon excessive, si bien que l'enfant termina son année beaucoup mieux qu'elle ne l'avait commencée.

Quelle leçon tirer de cette anecdote — que cent autres pourraient accompagner ?
J'en vois trois :
1- C'est en situation effective, dite "vraie", qu'on peut vérifier si un savoir est acquis, et non par une séance d'évaluation.
2- Une attention trop intense de l'enseignant, sur un élève en difficulté, le freine plus qu'elle ne l'aide.
3- C'est en réussissant une fois, au moins, devant les autres, que les enfants deviennent capables de réussir.

La conclusion est évidente : il faut provoquer des situations de réussite, pour que les élèves progressent, en évitant, ou en oubliant, les risques d'échec, lesquels, même minimes, sont toujours toxiques et destructeurs. Un échec, ça doit être oublié très vite.
C'est aussi pour ça que les notes sont une invention véritablement sadique et inutile. Rien n'empêche de se contenter de commenter le travail, avec bienveillance, mais justice, aussi, en veillant toujours à ouvrir la porte à des améliorations futures, sans jamais y joindre de jugements.

Du reste, même si beaucoup considèrent nécessaire de savoir avec précision, où les élèves en sont, ils se trompent : les séances d'évaluations sont inutilement stressantes, peu fiables, et toxiques pour les élèves, qui savent chacun très bien où ils en sont, tout comme les enseignants.

Je sais que, pour des raisons de basse politique, le pouvoir en place demande des évaluations. Les parents aussi.
Pour ces derniers, d'autres moyens de les informer existent, autrement plus précis et convaincants, comme l'organisation, avec et par les enfants d'une exposition régulière, trimestrielle, par exemple, du travail effectué par les enfants dans la période précédente, et commentée par eux. Quant aux politiques, rien n'empêche de les y inviter aussi. Il importe alors, de les mettre en face de leurs responsabilités, et des enjeux qui se jouent alors : l'avenir de nos enfants ou les chances de réélections du dit gouvernement ?
Et ça, c'est l'affaire de chacun de nous, car ce que font nos élus nous concerne directement.
Il n'est pas inutile de leur appeler que le seul devoir de l'enseignant, c'est de mettre les savoirs à la disposition des élèves : en toute rigueur, ni pour eux, ni pour nous il n'est nécessaire de vérifier si ceux-ci s'en sont servi ou non : c'est là du "pinaillage" d'auto-satisfaction, pour chacun d'eux.
C'est aux élèves, lors des régulations, (et non séances d'évaluations !) trimestrielles ou mensuelles, selon les choix — à mon avis : mensuelles, c'est un peu trop souvent — à demander qu'on revienne sur tel ou tel point du programme, ce n'est pas à l'enseignant.

Et curieusement, en organisant le travail autour de deux grands types de moments : les moments de "réalisations de projets", et les moments de travail d'apprentissage, ponctués par les moments de régulation, on découvre que la notion d'échec se délite de plus en plus, au profit de celle de "difficultés", plus ou moins importantes, à résoudre en groupes ; elles motivent les moments de réapprentissage, et/ou d'entraînement sur telle ou telle compétence, apparemment pas tout à fait au point.
En fait, il importe que seules restent à commenter les "réussites", avec leurs degrés variables de netteté : elles sont le seul but de l'école. Ne l'oublions jamais, l'école a été créée pour que tous les enfants acquièrent les savoirs nécessaires à un adulte citoyen libre. Elle n'a pas d'autre choix : c'est pourquoi, loin de la résignation habituelle, évoquée au début de ce billet, il faut mettre en jeu tous les moyens, qui permettent d'atteindre ce résultat, pour tous les enfants.
Or, ces moyens se trouvent être d'abord des pratiques nocives à faire disparaître. Elles ont déjà été évoquées sur ce blog.
Rappelons-les tout de même :

* Supprimer les notes et les classements.
Elles n'ont aucune raisons d'exister : les nombreuses études de docimologie ont démontré de façon définitive leur manque de fiabilité. Personne, jamais n'a remis, le lendemain du jour de correction, la même note aux copies corrigées la veille...

* Supprimer les évaluations, et les remplacer par des régulations avec les élèves. Il est contraire à l'éthique la plus élémentaire de juger les élèves dans leur dos.

* Supprimer les "classements" des élèves, qui sont une honte abominable pour l'école : ils soulèvent des cris d'indignation quand il s'agit d'adultes. Certes, ils existent dans le sport (personnellement, je trouve ça dommage !). Mais apprendre n'a rien à voir avec un sport, même si c'est souvent aussi difficile, et si ceux qui font l'amalgame sont si nombreux. C'est, du reste, un contresens énorme : apprendre est à la fois un droit et un devoir, qui doit être à la disposition de tous sans exceptions, et sans la moindre compétition : ceux qui tentent d'y introduire celle-ci, n'ont rien compris, et ne méritent que le mépris.

* Supprimer la notion, et le terme, "d'échec", au profit d'autres formulations, comme "difficultés" provisoires à résoudre en petits groupes.
Les mots ont une grande importance : parler d'échec, ou de non-réussite, c'est fermer la porte de l'espoir

* Organiser une vie de type démocratique en classe, avec la participation des élèves, à égalité de temps et d'importance, avec celui du travail de l'enseignant. La tâche de celui-ci est de, sans faire de cours magistraux, proposer des activités, permettant d'acquérir les savoirs, prévus par l'Education Nationale, en aidant à leur mise en forme et à leur archivage, par les élèves.

Ainsi, confirmant l'affirmation énergique du titre de ce billet, l'évidence apparaît-elle ici, que, partant de l'école actuelle, celle du tri social, on peut arriver à celle de la démocratie, où grâce à quelques suppressions de pratiques inutiles et polluantes, pour l'ambiance de classe, et une autre conception des apprentissages, une conception, à la fois plus précise, plus exigeante, et surtout pleinement participative pour les élèves, la réussite peut effectivement venir de l'école, et ce, pour TOUS les enfants, et AVEC eux.
J'insiste sur ce point parce qu'il est à la fois capital et insuffisamment compris par l'ensemble du public : on a tellement l'habitude de concevoir les enfants, comme des êtres pas "finis", qu'il faudrait diriger, que cette responsabilisation, nœud central de leur éducation, a bien du mal à se faire une place, dans l'épaisseur des habitudes.
C'est un rêve, je sais : vous allez me dire : "Tu oublies qu'on n'est pas libres, et qu'il y a l'Inspecteur..."
D'abord, li faut savoir qu'ils sont plus nombreux qu'on croit, à être favorables à ce type d'évolution dans l'école. On peut donc, et on doit, s'appuyer sur eux, et sur les syndicats qui, en principe servent aussi (surtout) à ça, pour organiser des rencontres et des débats...

Alors, tous ensemble, élèves, enseignants et autres agissants de l'Education Nationale, agissons et supprimons tous ces machins de prétendue "évaluation" qui encombrent et polluent l'école : on respirera mieux, élèves, enseignants, jusqu'aux politiques. Et chacun travaillera mieux.
En plus, ça ne coûtera rien, qu'un petit effort d'organisation différente du travail.
Certains l'ont fait et ça marche. Pourquoi pas tous, et partout ?