A l'école, est-il si nécessaire qu'existent des "évaluations" ?
A cette question, posée en ces termes, ma réponse immédiate est un NON (légèrement rageur, qui plus est).
Cette prétendue nécessité est une pure invention : au plus, c'est un confort pour l'enseignant. Mais pour les élèves, c'est une inutile source de stress et c'est tout.

Évidemment, ce "non" va être reçu par plus d'un(e) comme une provocation énorme, un scandale : oser mettre en doute la nécessité d'évaluer les élèves et leur travail en classe, — et à quelques semaines d'une rentrée, qui risque fort de s'ouvrir, dans les écoles, sur des évaluations nationales, c'est tout de même fort de café.
Tous ceux qui naviguent autour de l'école, enseignants, ministres, pédagogues, si l'on excepte quelques dissidents, pédagogiques un peu farfelus, réclament, à hauts cris, des évaluations, nationales et/ou propres à chaque classe, des preuves régulièrement présentées, du travail accompli par l'école, avec les progrès des élèves, attestant de l'efficacité et du sérieux de l'école.
C'est réclamé si souvent et avec tant de force, que si on fait le compte à la fin de l'année, on risque fort de trouver plus de temps passé à prouver les résultats du travail, qu'à travailler effectivement. Contradiction cocasse, qui ne semble pas gêner ses responsables.
Et pourtant...
L'école, en France, souffre de bien des maux, mais le pire, à mon avis de vieille enseignante, formatrice d'instituteurs, depuis soixante-huit ans, c'est, comme disait un ami de ce blog, "l'évaluationnite" éperdue qui frappe, depuis toujours, mais avec un plus, semble-t-il depuis quelques années, enseignants et élèves.

Avec le bons sens, un peu épais, qui est le mien, j'ai toujours trouvé préférable de travailler sans évaluer, plutôt que d'évaluer, au lieu de travailler... Ou, pire, d'évaluer sans avoir fini de travailler.
Or, cette erreur énorme est celle de nos dirigeants, qui, chaque année, croient nécessaire, pour prouver le sérieux de leur travail, d'installer, en plein milieu d'année, des évaluations dites "nationales", oubliant une donnée, pourtant élémentaire, qu'une évaluation des résultats d'un travail, quel qu'il soit, n'a de sens qu'à la toute fin de celui-ci.
Proposer une, voire des, évaluations intermédiaires, comme l'ont prôné, depuis 2017, certains ministres récents, et comme risquent fort de faire pareil, ceux d'aujourd'hui, est un navrant indicateur d'ignorance élémentaire du fonctionnement de l'apprentissage, chez un humain, quel que soit son âge. Il ne peut pas y avoir d'évaluations intermédiaires. Le dire est un contresens : elles sont obligatoirement finales.
Ah bon ? Pourquoi ?

Parce que cette erreur est, en fait, le résultat d'une confusion entre deux actions, fort différentes entre elles malgré leurs ressemblances apparentes : évaluer des résultats, et faire le point sur le travail accompli.
Ce que nos dirigeants appellent des "évaluations intermédiaires" ne saurait être des "évaluations" : elles ne peuvent être que des moments de mise au point, répondant à la question : où en sommes -nous ?
Rien à voir avec une évaluation. Ou plutôt, c'est une évaluation du travail, mais non de ses résultats : une mise au point permettant de repérer, avec les élèves eux-mêmes, comment on doit organiser le travail pour que tout le monde ait acquis les savoirs attendus. Et surtout, ça ne peut être effectué que de l'intérieur, par ceux mêmes qui font le travail à évaluer. Rien à voir avec des "évaluations", venue d'en haut
Il est tout de même lamentable de voir des dirigeants de l'Education Nationale ignorer ce type de différences, pourtant essentielles.
Alors rappelons quelques vérités importantes.

Il ne faut pas oublier que les élèves n'apprennent pas, tous, tout ce qui a été vu en classe, pendant le cours. Et ce n'est pas parce qu'ils sont inattentifs, mais parce que c'est comme ça !
Et si cette affirmation étonne, c'est bien la preuve que notre époque baigne dans des ignorances désarmantes : jamais, dans le passé, les dirigeants scolaires n'ont été à ce point incultes.
D'autre part, on sait qu'un apprentissage n'installe pas immédiatement un savoir réutilisable par celui qui vient de l'apprendre. Apprendre, n'est pas un "ajout", c'est une transformation de toute la personne. Et il faut un temps de maturation très important, variable d'un enfant à l'autre, quasiment à l'infini, avec surtout des retours de cet apprentissage, bien avant qu'on puisse le juger acquis.
On sait aussi, par les travaux de nombreux chercheurs, souvent cités ici, que ces durées de maturation varient, non seulement selon les personnes, mais également, selon les moments, pour une même personne.
C'est pour cela que, dans les fameuses années 70-85, il fut décidé de porter à trois années, et non une seule, l'unité de temps nécessaire pour évaluer le travail accompli. Ainsi étaient respectées les différences de fonctionnement des élèves, et leurs temps de repos indispensables, si l'on ne veut pas continuer à créer des échec scolaires, comme on le fait, en travaillant année par année, avec évaluations chaque fois. Cela a été prouvé : l'année est une durée beaucoup trop courte pour juger des progrès d'un groupe d'élèves.

Oui, mais voilà, ce qui a été fait avant, on l'ignore et on s'en fiche aujourd'hui, car on se croit bien capables de se passer de ces connaissances, plus ou moins tarabiscotées aux yeux des incultes pédagogiquement, qui dirigent la pédagogie actuelle
Malheureusement, quand on a mon âge, on sait, depuis longtemps, que c'est faux.
Par exemple, ces fameuses évaluations intermédiaires, et "nationales", balancées en plein milieu d'année, depuis 2017, sans s'occuper des découvertes effectuées cinquante ans plus tôt, font des catastrophes : consommant un temps précieux, pendant lequel aucun travail d'apprentissage n'est fait, elles font perdre aux élèves qu'elles stressent, l'essentiel de leur confiance en eux.

Avec une suffisance, réellement infantile, et un mépris scandaleux du travail passé, s'est installée, chez nos dirigeants scolaires, une inculture ahurissante, qui les conduit à des décisions hâtives, des évaluations "intermédiaires", concept absurde, (une évaluation ne peut pas être "intermédiaire" : elle ne peut être que "finale") preuve d'une ignorance totale du fonctionnement des apprentissages : rappelons-leur que les élèves ne se manipulent pas comme des pions, et qu'on doit respecter leur fonctionnement : ils n'ont ni les mêmes vitesse d'apprentissage, ni, à un moment donné, les mêmes savoirs acquis, donc, impossible d'évaluer au milieu du travail !
De la part des responsables scolaires c'est un comportement d'ignares prétentieux, et pour les enfants, une véritable catastrophe, qui casse leur rythme de travail personnel, et, sans apporter la moindre information sérieuse sur celui-ci, handicape gravement sa reprise.
La règle est absolue : si on veut évaluer, c'est, à la rigueur, à la toute fin du travail, et jamais au milieu de celui-ci, car, au milieu, les élèves ont tous enregistré des savoirs différents pour chacun : personne n'a "accroché" la même chose, et personne ne progresse à la même vitesse que son voisin.
C'est à l'arrivée, que tout le monde se retrouve, pas avant, et c'est là seulement, qu'une évaluation peut être envisagée, si, vraiment, on y tient... Avant ce moment, ce qu'on doit faire, tous ensemble, ce sont des "régulations", des "mises au point", autour de la question "où en est-on ? "
C'est nécessaire, et ça suffit largement.
Du coup, on voit bien ce que les enfants ont retenu de ce qui a été appris ! Et on n'a nul besoin de s'encombrer de ce bastringue de vérification extérieure.
Ben oui, va répondre le collègue inquiet : mais y'a l'inspecteur, et tous ceux du gouvernement, qui veulent pouvoir vérifier si les enfants ont bien appris ce que demandent les programmes...
Et alors, on peut parfaitement leur rappeler, puisqu'ils semblent l'ignorer, comment fonctionnent les enfants pour apprendre... Célestin Freinet, Charles Pépinster et d'autres, ont bien trouvé des moyens de le faire. J'ai vu des classes organiser des expositions de leur travail, pour les parents, exposition commentées par les enfants eux-mêmes : preuve qu'on peut organiser des évaluations non stressantes avec les élèves eux-mêmes, en leur laissant le pouvoir qui doit être le leur, celui de donner eux-mêmes des preuves de leurs progrès personnels.

Tiens, cette proposition rappelle la vieille ritournelle, obstinée, celle que les dirigeants ont tant de mal à entendre : "Mais oui, l'école peut devenir démocratique". Bien sûr, il suffirait, pour cela, que les enseignants, les élèves et les parents d'élèves se lèvent enfin, pour exiger qu'elle le devienne...
Alors, debout tout le monde !
Quand on ne trouve plus d'autres moyens, l'histoire nous l'a appris, la révolution s'impose !