On retrouve, sous ce terme d'évaluation, un besoin maladif, bien connu de chacun de nous, celui de "SAVOIR", notamment sur les autres, d'appartenir à la riche famille des "informés", de ceux qui, sachant, ont le droit de dire, de juger, de "décréter".
Certes, vouloir savoir est, en soi, chose noble, incontestablement. Toute la question réside dans ce qu'on va faire de ce savoir : c'est là que le bâts blesse.
En tant qu'enseignant, j'ai besoin de savoir si mon travail a été utile à mes élèves, s'ils ont pu acquérir ce qu'ils doivent avoir comme connaissances, et surtout, s'ils savent s'en servir.. Etant bien entendu que s'ils ne les ont pas acquises, — ou s'ils s'en servent mal en situation — c'est d'abord à moi que je devrais en attribuer la cause : avant de les accuser de paresse ou d'incapacités, je devrai revoir, de façon détaillée, ma façon de procéder pour qu'ils apprennent.
Sans reprendre la comparaison avec la peur d'être trop grosse — souci de pas mal de femmes ! — je crois qu'on peut dire que, poids ou connaissances, le problème est toujours le même, une hantise, qui entraîne les mêmes erreurs : vouloir sans cesse vérifier où on en est.
Or, évaluer trop souvent, ou trop tôt — on le sait depuis longtemps — peut être pire, que ne jamais le faire...
Pourquoi ?
Parce que évaluer stoppe le travail d'apprentissage (ou d'amaigrissement dans l'exemple précédent). Les fameuses "évaluations intermédiaires", défendues par de prétendus "spécialistes", comme certains de nos ministres de l'Education, sont une invention dangereuse, imaginée par quelques pseudo-scientifiques, qui ignorent tout de la pédagogie et des processus d'apprentissage.
Elles reposent sur une croyance, dénoncée il y a plus de quinze ans par de vrais spécialistes, comme Jean Eisenbéis, Jean-Pierre Changeux ou Bernard Maccario, la croyance selon laquelle un apprentissage se ferait de manière régulière. Quiconque a eu à s'occuper d'un bébé a très vite découvert que le développement, physique et mental, ne se fait pas du tout ainsi. Il se fait, au contraire, par bonds, imprévisibles, tant en nombre qu'en durées, des bonds, séparés par des moments de stagnation et même de régression, tout aussi nécessaires les uns que les autres.

Cette découverte entraîne toute une série de conséquences parfaitement ignorées en haut lieu aujourd'hui avec, entre autres, que cela rend absurde le découpage du travail scolaire en "années" avec des objectifs semblables pour tous : il est clair que pour un groupe donné d'élèves, l'année est une durée beaucoup trop courte pour définir des objectifs d'apprentissage, adaptés à tous.
D'où la proposition faite en 1981 de prévoir des unités de parcours de trois années, afin de permettre aux apprentissages de s'installer, tout en respectant les différences de rythme des élèves. C'est la fameuse théorie des cycles, parfaitement incomprise aujourd'hui, et appliquée sans intelligence, c'est-à-dire sans qu'on sache vraiment pourquoi. D'où la nécessité de rappeler sans cesse comment elles doivent être conçues : trois ans, cela ne signifie pas trois fois un an, avec évaluation à la fin de chacune d'elle.

Trois ans, cela veut dire trois ans.
Ni évaluations au milieu, ni vérification de quoi que ce soit : les constats, évoqués plus haut, sont incompatibles avec toute vérification intermédiaire : on sait que ce laps de temps ne sera pas utilisé de la même manière par chaque élève : pour les uns, la première année semblera avoir suffi... En fait, il n'en est rien. Les deux autres années leur sont indispensables. De la même manière, on ne doit nullement interpréter comme un retard, pour d'autres, le fait d'avoir peu avancé durant cette période : certains qui ont démarré vite, ont besoin des deux autres années pour digérer leur travail de la première. D'autres, au contraire, utilisent cette première année pour se préparer à avancer ensuite.

D'autre part, jamais une évaluation (on le sait !) n'a permis de renforcer un savoir. On peut même affirmer que c'est le contraire : plus on évalue un savoir et plus on le fragilise. D'où la nécessité d'effectuer ce travail, aussi RAREMENT que possible. On oublie, en le faisant trop souvent, plusieurs vérités essentielles :
1- qu'un savoir n'a pas été mis en place pour être évalué, mais pour être UTILISÉ : ce qu'il faut évaluer plutôt, c'est le nombre d'utilisations en situation réelle.
2- Il s'ensuit surtout qu'on ne peut évaluer ces fameux acquis qu'à la fin effective des apprentissages. On n'évalue pas en cours de travail d'apprentissage : cela risque de stopper celui-ci. Les évaluations n'ont donc de sens qu'en toute fin d'année.
3- Il s'ensuit encore que, tout ce qui est contrôle, évaluation des acquis, hors situation réelle, avec des exercices conçus pour cela, comme les évaluations en lecture à la Blanquer, n'apporte aucune information effective sur la maîtrise, par les élèves, de cette activité, et peut même être une catastrophe pour les progrès des élèves, avec le stress qu'engendre toute situation d'évaluation.

Il est donc indispensable de se débarrasser au plus vite de cette "évaluationnite aigüe". J'ai connu des établissements où elle était telle qu'on en arrivait à évaluer des savoirs qu'on n'avait pas eu le temps de construire : loin d'être une plaisanterie de comptoir, cette affirmation doit sûrement évoquer du vécu chez beaucoup de nos lecteurs...
On peut en déduire que s'il est légitime d'effectuer des évaluations permettant de savoir "où l'on en est du parcours prévu", celles-ci cesseront d'être la maladie honteuse de l'école, que si elles ont, comme je l'ai écrit ailleurs jadis, quatre qualités (rarement observées, hélas : mais il faut que ça change !) :

* être rares — en fait elles ne doivent apparaître qu'en fin de chaque session de travail, et jamais au milieu d'une session.
* être précises, c'est-à-dire qu'elles doivent avoir un objectif clairement annoncé et justifié.
* être prévues — on n'évalue pas des humains, dans leur dos, sans les prévenir au moins !
* être joyeuses...

Cette dernière devrait être une évidence : si on évalue, c'est qu'on a tous fait des progrès. Sinon c'est que l'évaluation a été bien mal prévue !