La confusion "règles prescriptives" / "règles de fonctionnement" est chose, hélas, courante, et si enfoncée de façon coriace dans la tête du plus grand nombre, que la notion de règles est devenue inséparable de celle d'obéissance, le terme accompagnant inévitablement celui d'autorité.
C'est, bien sûr, une grave erreur.
Des règles imposées à appliquer sans discussion, même à l'armée, il ne devrait pas y en avoir dans une démocratie.
Il est normal — et même sain ! — de refuser ce qui est imposé sans discussion : sans le droit de désobéir, l'obéissance est immorale. C'est bien ce que Figaro aurait pu ajouter à sa célèbre formule : "Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur."
Et, puisqu'on appelle à la rescousse les grand noms de la littérature, rappelons l'immense Rabelais qui, pour son abbaye de Thélème, avait imaginée la devise "Fais ce que voudras", ce qui signifie naturellement, non point : "fais n'importe quoi", — comme d'aucuns se hâtent de le croire — mais bien: "fais ce que la raison te commandera".
Il est important de préciser ce point, aujourd'hui que la pensée binaire fonctionne à plein régime : (voir, par exemple, l'adage officiel : si c'est pas syllabique, c'est global ).
Rappelons au passage qu'une règle, quelle qu'elle soit, ne peut jamais avoir d'exceptions, sans cesser d'être une règle : c'est là un point de logique élémentaire. Pour que des exceptions ne détruisent pas une règle, il faudrait qu'existe une seconde règle précisant quand et où fonctionnent les exceptions... qui alors n'en sont plus !! CQFD.
(Nier cette évidence est une des nombreuses absurdités de la grammaire scolaire traditionnelle, formidable outil de désinformation sur le fonctionnement de la langue...)

Vous avez sans doute remarqué que, s'il est vrai que les contraintes appellent parfois des révoltes, jamais personne ne s'est révolté contre les contraintes du football ou du basket.
Personne ne trouve injuste que, dans certains jeux, on n'ait pas le droit de courir avec le ballon dans les mains, alors que c'est parfaitement autorisé dans d'autres jeux. Si contestataire qu'on soit, on sait bien que les règles de ces jeux sont constitutives du jeu lui-même, et que les contester, c'est refuser de jouer.
Et alors ? me direz-vous...
Il me semble que les conséquences pédagogiques et éducatives (c'est la même chose, je rappelle !) sont évidentes. Elles sont au moins au nombre de deux :
1- Il importe de jouer beaucoup à l'école, beaucoup plus qu'on ne le fait, surtout à des jeux dits "à règles" (on dit aussi "à stratégies"), des jeux sportifs — on ne répètera jamais assez que la discipline la plus importante à l'école primaire (maternelle incluse), c'est l'éducation physique ! —, mais aussi d'autres jeux à stratégies, comme le scrabble, le bridge ou les échecs... Tous sont de nature à développer des compétences de raisonnement, et d'anticipation, absolument indispensables à la poursuite des études et à la plupart des activités professionnelles et civiles, et... qui manquent cruellement à pas mal d'adultes de nos jours.
2- Il est tout aussi essentiel d'aider ensuite, par des analyses comparées et des débats collectifs, au transfert des prises de conscience, effectuées lors de ces jeux, vers d'autres domaines, comme la vie en société ou l'orthographe.

Avec vos élèves, essayez donc l'expérience suivante :
Dans la cour, vous donnez un seul ballon à la classe tout entière, avec la consigne de jouer librement avec, et tous ensemble.
C'est souvent ainsi que nous commencions l'année, avec les collègues de mon équipe. A chaque fois invariablement, se produisait le même phénomène : conflits et frustrations de beaucoup, qui n'arrivaient pas à toucher le ballon. Et invariablement arrivait la demande des enfants : "on peut pas jouer : il faut des règles !!!"
Et voilà ! Il ne restait plus qu'à faire apparaître que cette nécessité d'avoir des règles de jeu est la même pour toutes les formes de communication sociale : depuis le code de la route et la politesse, jusqu'à l'orthographe, qui n'est rien d'autre qu'un système de règles de jeu favorisant la communication écrite en aidant puissamment à la lecture des messages écrits.
Si l'on travaillait dans cet esprit dès la maternelle on n'aurait aucun besoin de clamer à tous les échos ce discours si démago et discutable sur l'école du respect... Faut-il rappeler que le respect ne s'impose pas, et qu'il doit être mutuel, faute de quoi, il n'a aucun sens ?
Astro a bien raison : on accepte toujours ce que l'on a compris comme légitime et nécessaire. Quand se décidera-t-on enfin à admettre que les enfants sont intelligents, toujours capables de comprendre, souvent beaucoup mieux que certains adultes... ?
Cela signifierait-il que l'éducation, parfois, fait baisser l'intelligence, au lieu de la développer ?
Personnellement je m'interroge là-dessus et, depuis cinquante ans, je commence à avoir des éléments de réponses...