Un sympathique correspondant me rappelle, afin d'apporter de l'eau au moulin du billet précédent, la définition du petit Robert pour le mot "récitation" :
Réciter: 1. Dire sans sincérité ni véracité.
Et l'exemple qui l'accompagne est de Daudet : "la voix monotone d'un élève récitant".

On peut dire que ce terme est bien le symbole des nouveaux programmes dans leur entier. Qu'il s'agisse de la division, de la grammaire, de la poésie, voire de l'art, ce qui est préconisé est bien une apparence de savoir, sans sincérité ni véracité, un savoir de vitrine, destiné, non à éduquer des enfants, mais à rassurer des électeurs qui ne réfléchissent guère...
La division posée : même si elle a disparu du CE1 (il y a des limites à l'absurdité qu'il est préférable de ne pas franchir), l'esprit de son enseignement n'a pas varié. Il s'agit d'acquérir une technique de l'extérieur, sans l'avoir testée ni comprise.
Le résultat, loin de produire des techniciens, comme disait gentiment une instit à la télé, c'est la production de robots, qui savent faire sans savoir pourquoi, (un vrai technicien, lui, sait pourquoi cela marche comme ça !). Or, on sait depuis fort longtemps, et grâce à des travaux extrêmement solides, qu'une technique acquise sans être comprise, empêche de façon quasi définitive toute compréhension de son fonctionnement.

L'art, maintenant : vous remarquerez que, s'il est présent dans les programmes, ce n'est que sous la forme de son histoire. Ni vécu, ni créativité. Des résumés — appris dans un ordre surtout chronologique : ah mais !—, un point c'est tout.
Où est la fonction équilibrante des activités artistiques, je vous le demande ??

La grammaire ? Je voudrais bien savoir en quoi le fait de réciter des règles (du reste fausses pour la plupart) et des tableaux de conjugaison, peut aider à mieux lire et à mieux écrire, ce qui pourtant est posé comme "fondamental"...

Nous avons parlé en son temps de la poésie et de son traitement scolaire, tout frémissant de sensibilité culturelle. Un bonheur ! Inutile de s'y arrêter.

Mais arrêtons-nous sur la grande trouvaille de ces nouveaux programmes, les cours de morale et de politesse.
Ça, c'est du sérieux.
Je propose même que, puisque la mode est aux manuels anciens, d'utiliser, à côté de la méthode Boscher en lecture (1905), le manuel de lecture courante de M.Guyau, intitulé : "Récits moraux et instructifs", publié à la même époque par Armand Colin.
Après un chapitre sur : "La reconnaissance due à nos parents", on trouve, par exemple, le chapitre : "L'obéissance due à nos parents", avec en exergue, la maxime suivante :
Une des choses les plus utiles dans la vie et parfois les plus difficiles, c'est d'apprendre à obéir
No comment ! Les commentaires s'imposent d'eux-mêmes...
Je ne résiste pas au plaisir de citer, pour aider mes collègues dans leurs futures leçons de morale et de politesse, quelques fortes pensées extraites de cet ouvrage :
1- La patience est un arbre dont les racines sont amères mais dont les fruits sont doux.
Voilà une phrase que nos hommes politiques auraient intérêt à glisser dans leurs discours...
2- La sincérité nous donne la confiance de tous.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que cette règle a quelque exceptions oubliées ici...
3- Ce qui rend heureux, ce n'est pas d'être riche, c'est d'être entouré de cœurs qui vous aiment. Les plus pauvres peuvent donc être aussi heureux que les plus riches.
Ben voyons ! A quoi bon creuser le déficit budgétaire pour aider les plus démunis ??

(Laurent Carle me suggère d'ajouter : Et les riches pourraient commencer à se décharger de leurs sous inutiles en les versant dans le pot commun des impôts au lieu d'aller les mettre à l'abri en Suisse !!!.)

4- La politesse du pauvre fait qu'on le regarde avec plaisir, même sous ses haillons.

(D'ailleurs, les messieurs dames de la jet set versent souvent une larme on the rock parce qu'ils ne voient jamais de pauvres dans leurs cocktails. Un seul haillon vous manque et riche est dépouillé, dixit LC).

S'il est regardé avec plaisir, de quoi se plaindrait-il ?

(C'est pourquoi on ferait bien de retirer les troupes françaises d'Afghanistan, de désarmer les militaires, d'offrir des fleurs, du viagra et des vierges aux talibans barbus pour qu'ils n'aient pas besoin de monter au paradis des martyrs en se faisant éclater le fruit béni de leurs entrailles avec ces ceintures d'ascension vers le ciel. dixit LC)

5- Fais du bien à tes ennemis : ils deviendront tes amis.
Arrivant quelques pages après le chapitre sur le mensonge, extrêmement vilain comme on sait et qui ne laisse après lui que remords et désespoir, cette maxime laisse perplexe : y aurait-il plusieurs formes de mensonges?
C'est cela l'âge d'or de la morale ? Jolie éducation ! Et dont on a pu mesurer les résultats dans les années 40 : les adultes de cette époque avaient été nourris à ce lait-là, que je sache !

Comment ceux qui écrivaient cela, et plus encore ceux qui bavent d'admiration devant cette conception de l'éducation, peuvent-ils ignorer que la morale ne peut s'enseigner que par l'exemple, et le vécu ; pas du tout par les discours ?
La morale sera enseignée dans les écoles lorsque la manière d'y vivre et d'y apprendre sera fondée sur les valeurs de solidarité, d'entr'aide, de respect mutuel, et non sur des relations de pouvoir et de prétendue autorité de l'adulte sur les enfants.
Comment peut-on exiger que des enfants disent "merci" ou "s'il vous plaît", lorsque les adultes le font eux-mêmes une fois sur cent à leur égard ?
Et puis, la politesse, est-ce de dire "s'il vous plaît" ou "merci" ?
Ne s'est-on jamais avisé à quel point une demande faite à quelqu'un, — ce qui est toujours une limite imposée à la liberté de ce quelqu'un —, peut être quelque chose de blessant, en soi ?
Or, précisément, que signifie "s'il vous plaît", sinon le fait d'offrir à ce quelqu'un le droit de désobéir...?

La politesse n'est rien d'autre que le respect de la dignité, de la liberté, de l'égalité et de la fraternité des autres et de soi.

Il ne s'agit donc pas d'exiger que les enfants récitent des mots, ni en lecture, ni en morale, mais bien qu'ils aient compris ce que signifient, non les mots en fait, mais l'acte de les dire.
Et ils ne peuvent comprendre cela que si c'est ce qu'on fait autour d'eux, sans discours et, comme dirait le manuel cité plus haut : "sans s'en vanter" (une des nombreuses maximes en effet, affirme qu'il faut être brave, sans s'en vanter !).

Dans les classes où j'ai travaillé, nous faisions au CM une leçon de grammaire, (mais oui !!) à propos des subordonnées commençant pas "si", qui posait la question de la signification des "formules de politesse". Les enfants étaient tout surpris de découvrir que ces formules, en fait, ne font que donner le droit de désobéir (s'il te plaît) et que dire "merci", c'est simplement apprécier le fait que cette désobéissance n'ait pas eu lieu, et rendre hommage à celui qui nous a librement obéi...
Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur disait Figaro. Sans la liberté de désobéir, il n'est point de morale dans l'obéissance...
Et je peux affirmer que cette découverte a fait plus pour leur éducation que tous les cours de morale darcosiens !