"Pour symbolique qu'elle soit, la médaille aurait plus de signification que le seul diplôme de papier", déclare le ministre qui se dit favorable aux remises de prix. "Je crois très important que les adultes, si exigeants avec les élèves, leur retournent ensuite une reconnaissance. La remise de prix ou de diplôme n'est donc pas seulement une récompense mais une marque de gratitude de l'école envers les élèves qui illustrent les valeurs de l'école", a-t-il dit.

Il faut vraiment n'avoir lu aucune des (nombreuses) études sur la question pour oser dire, sans rire, qu'une médaille a plus de signification qu'un diplôme. Et si cela correspond véritablement à la réalité des étudiants, c'est la preuve que notre système d'éducation les a bien abîmés.
Il est vrai depuis toujours on considère le système récompense/punition comme le cœur et le pilier majeur de toute éducation. Quand un enfant se conduit mal, on a coutume de dire qu'on a dû être trop gentil avec lui (“c’est un enfant gâté, pourri” !) et qu'il n'a pas été assez puni...

En fait, un tel système est au cœur du conditionnement non de l'apprentissage.
Des chercheurs, comme H.Laborit, ont montré comment on modifie le comportement d'un animal en le punissant par une décharge électrique lorsqu'il se trompe de chemin et en le récompensant par de la nourriture dans le cas contraire. Et il est vrai qu'une partie de nos comportements est le résultat de conditionnements de ce type : avec A.Resnais, H.Laborit a superbement illustré cette théorie dans le film “ Mon oncle d'Amérique”.
Mais cela n'a rien à voir avec un apprentissage, qui est le résultat d'une construction volontaire et consciente de comportements compris et choisis. Eduquer, c'est permettre d'accéder à l'autonomie, compagne incontournable de la responsabilité. Et la composante essentielle de l'autonomie, c'est la capacité d'analyse, de repérage des problèmes, de construction de solutions, de remise en question de ces solutions... Bref, c'est l’intelligence.
Eduquer, c'est rendre intelligent.
Or, la punition qui apporte du déplaisir, comme la récompense qui apporte du plaisir, ne stimulent nullement l'intelligence, puisqu'il n'y a pas de liens entre ce qui a été commis et ce qui s'ensuit. Au contraire, elles détournent l'attention de ce qui a été fait, et installent une dépendance affective à l'égard de celui qui punit ou récompense, ce qui est absolument contraire à la notion de responsabilité.
L'objection souvent présentée est que la récompense doit être assimilée à un salaire.
Pas du tout ! Il s'agit là d'un amalgame particulièrement grave : le salaire est une conséquence normale de l'activité, faisant partie de celle-ci par l'intermédiaire d’un contrat, dûment signé et parfaitement clair.
En fait, il existe deux sortes de conséquences “ normales” à une activité :
* D'une part, des conséquences naturelles ou logiques : si je casse une tasse de mon service en porcelaine de Limoges, la conséquence est que ce service va être dépareillé, et je dois accepter cette situation comme telle, ou chercher à acheter une autre tasse... si elles existent encore.
Autre exemple : j'ai bien préparé ma classe; les enfants ont été actifs, heureux, ils ont bien compris ce que je voulais leur enseigner ; ça me fait bien plaisir, et c’est normal. Je n’attends pas de récompense pour autant : le plaisir suffit.
* Mais la conséquence peut être liée à un contrat préalablement défini. C'est le cas précisément du salaire, qui n'est pas une conséquence naturelle, mais sociale, et socialement définie, partie intégrante de l'activité.
Cela n'a rien à voir avec une récompense. De même, écoper d'un coup franc ou d'un penalty dans un match n'est point une punition, c'est une conséquence prévue, inscrite dans les règles du jeu, et cohérente avec celui-ci.

Récompense et punition n'ont rien de contractuel. Ce sont des dons arbitraires, dans ce que ce terme a de plus odieux. Elles tombent d'en haut pour rabaisser celui qui les reçoit : plaisir et déplaisir y sont malsains et pervers.
L’une comme l’autre ne peuvent que développer la roublardise, qui permet de commettre la faute sans être pris, ou d'obtenir la récompense sans l'avoir méritée.
Et ce n’est pas la malhonnêteté du sujet qui provoque de tels comportements, c'est le système d'éducation qui les induit, sans qu'on s’en rende compte.
Du reste, on a observé que la punition a même parfois pour résultat de légitimer la faute, voire de la provoquer : je peux faire ce que je veux puisque j'accepte d'être puni. Il n’y a qu’à voir les armateurs qui préfèrent payer à l'avance l'amende pour pouvoir dégazer tranquillement en pleine mer...

Si l'on veut que les enfants accèdent à la responsabilité, il faut leur apprendre à assumer les conséquences normales de leurs actes. Leur jouet est cassé... eh bien tant pis ! Ils s'en passeront désormais. Cela suffit : pas besoin d'en rajouter et de détruire l'ambiance familiale par reproches et privations.
On objectera qu'il existe des cas où les conséquences de la faute peuvent être graves pour les autres : impossible alors de "laisser passer". Mais dans ce cas, on voit mal en quoi une sanction pourrait être un remède...
Empêcher la récidive ? Pas sûr du tout ! Non, la solution ici, c'est un contrat préalable, aux clauses claires et explicites, passé avec les enfants, dans une réelle et rigoureuse négociation prévoyant des réparations, (et non des "punitions") toujours en rapport avec les conséquences de l’acte commis, dont les modalités ont été décidées ensemble et librement acceptées de part et d'autre.
Les choses étant fort semblables sur ce point avec les adultes, on pourrait peut-être y réfléchir comme alternative à la prison…?
Quant à la récompense, elle est tout aussi dangereuse que la punition, parce qu'elle repose sur un présupposé selon lequel la réussite observée serait due à son seul auteur.
C'est bien sûr faux. Tout ce que nous faisons, et surtout, ce que nous réussissons, nous le devons à ceux qui nous entourent, et à ceux qui nous ont entourés. Toute réussite contient une énorme part de chance, celle d'abord d'avoir été "bien" entouré.
C'est pourquoi, une réussite doit provoquer la satisfaction, voire la fête, où TOUS sont associés, vainqueurs ou non.
Mais en donnant une médaille, on installe quelque chose de très pervers : le présupposé d'une supériorité du récipiendaire, ce qui est le plus mauvais cadeau qui soit. Le plus grave, c'est que cela va à l'encontre des objectifs de morale affirmés haut et fort dans tous les discours ministériels.
Si le Ministre ne voit pas où est la contradiction, il y a de quoi s'inquiéter...

Rien de tout ceci n'a à voir avec la motivation.
Etre motivé, ce n'est pas avoir "envie" : l'envie n'est jamais un moteur d'action, car elle se dissout à la première difficulté.
On a tous envie de devenir un guitariste sublime, et ce n'est pas pour ça qu'on le devient.
Pour qu'une envie devienne vraiment un moteur d'action, il faut l'avoir transformée en PROJET, c'est-à-dire être passé de l'affectif au cognitif.
Un projet exige que je réfléchisse, c'est-à-dire que je fasse une analyse des conditions de réussite de ce projet. Et cette analyse va me faire découvrir plein de conditions désagréables : trouver un professeur, donc du temps et de l'argent, donc me priver d'autre chose, me remettre au solfège, dont j'ai gardé le pire souvenir, et passer quatre ou cinq heures à faire des exercices (dont personne n'a envie, pas même les musiciens !)...
Mais, si c'est mon projet, je serai capable de faire toutes ces choses dont je n'ai pas envie, parce que j'ai COMPRIS qu'elles sont indispensables à mon envie.
Or, apprendre, — Philippe Meirieu le rappelle souvent —, ce n'est pas drôle du tout : on a en général tous envie de savoir; mais pas vraiment envie d'apprendre, car apprendre, c'est un DÉTOUR, long, coûteux, et douloureux vers le savoir, et le rêve de chacun, c'est de savoir sans apprendre !
C'est pourquoi, il y a une motivation à construire chez les enfants pour qu'ils apprennent. C'est une des tâches des cycles 1&2... pas vraiment présentes dans les nouveaux programmes, mais à laquelle il faut penser tout de même !

On peut donc définir la motivation, comme la volonté de faire des choses dont on n'a pas envie, parce qu'on a compris qu'elles sont indispensables à la satisfaction de l'envie qu'on a.
Ce qui, au passage, rappelle que dans la vie, la question n'est pas de choisir entre le plaisir et le devoir, comme nous le fait croire une morale qui a intérêt à nous faire accepter souffrance et frustration, mais entre des plaisirs immédiats (et décevants le plus souvent) et des plaisirs construits et conscients... Des plaisirs intelligents.

Eduquer, c'est former des citoyens libres, dignes de ce nom, qui savent ce qu'ils font, pourquoi ils le font, et qui assument leurs actes. Des citoyens adultes. Des citoyens responsables.
Promouvoir le système "récompenses/punitions", seul système que le pouvoir actuel installe à tous les niveaux, c'est exactement le contraire : c'est organiser pour tous une dépendance, assortie de sentiments très malsains, peur de la punition, appât de la gloire, porte ouverte à toutes les formes de corruption, active et passive, et à toutes les formes de perversion.
La carotte et le bâton, vous savez à qui c'est destiné... Et un public qui se comporte comme l'animal en question, il faut reconnaître que ce n'est pas, pour certains, dépourvu d'avantages...