C'est beau, la réaction des collègues. Magnifique, la lettre de François Bonhomme, dont voici un extrait :
Monsieur le Directeur Général
Vous me voyez flatté d'avoir été considéré digne de cette gratification, mais je suis dans l'obligation morale de la refuser pour mettre mes actes en conformité avec mes convictions. (...) je reste convaincu que le système de primes(..) ne va pas dans le bon sens, et qu'il vaudrait mieux que CNRS utilise cette fraction de sa masse salariale à améliorer les promotions et les recrutements. (...) La recherche est faite par des équipes et non par des individus.


Cette dernière phrase est capitale. On peut — et on doit — la compléter par un constat que chacun de nous a pu faire, dans un moment de vraie lucidité. Rien de ce que nous avons réussi (ou raté) ne peut être imputé à nous seul. Si j'ai réussi dans mon entreprise, c'est parce que j'ai été soutenu, nourri de culture, aidé, aimé, par la famille, le plus souvent, mais pas forcément : l'aide a pu venir de rencontres, de hasards... La réussite est toujours le fruit de notre entourage : même si ce sont mes idées qui l'ont permise, le fait que j'aie pu les avoir vient de ce que, grâce à cet entourage, j'étais suffisamment bien dans ma peau pour les avoir.
De la même manière, l'échec ne vient jamais de l'individu seul. Même si mon échec vient de ce que, par exemple, je me suis mis à boire, les raisons pour lesquelles cela m'est arrivé ne viennent pas que de moi.
Le jour où ce raisonnement sera intégré par tous, notamment en matière de justice et d'éducation, on peut parier que les problèmes dans ces domaines fondront rapidement... Il est vrai, hélas, que c'est un raisonnement dont les conséquences sont à la fois fatigantes et difficiles à organiser.
C'est tellement plus facile d'avoir un bouc émissaire, un coupable, ou un lauréat magnifique...
Pendant que le public s'identifie à eux, dans la peur ou l'envie, il ne pense pas à autre chose.
D'où l'erreur monumentale de toute "individualisation", qu'il s'agisse des cours, du "soutien", des punitions ou des récompenses. C'est à plusieurs qu'on apprend, ce sont les pairs qui sont le plus à même de m'aider quand je ne comprends pas, et les bourdes sont toujours à partager.
Punitions et récompenses individualisent la réussite et l'échec ; elles détournent des vraies raisons qui font que telle action est une faute ou un bienfait, elles déresponsabilisent, elles séparent le bon grain de l'ivraie ; elles opposent et installent un climat de compétition, où tous les coups peuvent être permis, pourvu que le résultat soit là. Les unes comme les autres sont de la pure manipulation. Elles sont profondément immorales. Surtout elles créent une dépendance à l'égard du pouvoir qui a octroyé les unes ou les autres. Elles docilisent et soumettent. Elles sont aux antipodes d'une éducation digne de ce nom.
J'ai eu naguère l'occasion de développer ces points, dans quelques billets de ce blog :
http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2008/09/15/91-recompense-et-motivation
http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2008/10/28/96-la-recompense-ca-motive
C'est pourquoi, on peut dire, avec Anatole France, qu'il est beau qu'un soldat désobéisse à des ordres criminels, qu'un enseignant désobéisse à des programmes dangereux pour les enfants, et que des chercheurs refusent des récompenses humiliantes qui signent la mort de la Démocratie.