Dans ces cas-là, il est bon de faire appel à un grand ami — pas très jeune certes — mais d'une grande modernité sur bien des points. Cet ami, c'est Baruch (Spinoza, pour ceux qui ne sont point de ses intimes), et je vous invite à une petite promenade chez lui, histoire de secouer les esprits et mettre en route un peu de réflexion.
Outre la sentence (non, chez lui, c'est une "proposition") qui affirme : "Et ce n'est certes qu'une sauvage et triste superstition qui interdit de prendre du plaisir ", qu'il est toujours bon de rappeler à tous les grincheux, une de mes préférées, devenue ma devise depuis la fac : « Ne pas railler, ne pas déplorer, ne pas maudire, mais comprendre.»
Comprendre, verbe totalement absent des recommandations scolaires, et particulièrement ignoré de ceux qui nous gouvernent. Comprendre, donc réfléchir, seul moyen de trouver — peut-être — des solutions positives, qui réparent au lieu de détruire.

Concrètement, qu'est-ce que cela pourrait vouloir dire à l'école, et en quoi cela ouvrirait une voie efficace contre ces violences et incivilités, objets de tant de déplorations dans les médias ?
Lorsque j'entends, dans les classes, l'avalanche de reproches, menaces, punitions qui tombent régulièrement sur les élèves, je reste stupéfaite du manque de mémoire de certains de mes collègues.
Comment ont-ils pu à ce point oublier l'élève qu'ils ont été ? Comment n'ont-ils pas gardé, vivace, le souvenir des réactions, allant de la surdité (Cause toujours : tu peux y aller, je n'entends rien !) à l'agressivité caractérisée, que ces comportements déclenchaient en eux ? Ne se souviennent-ils pas de leur désir fou de répondre, d'être plus blessant que ceux qui les blessent, de leur fierté d'avoir réussi à le faire ? De leur besoin de violence ?
Au fait, ne savez-vous pas que chez les adultes, c'est la même chose ?
Quand vous reprochez à votre bien-aimé tout ce qu'il a fait — ou pas fait — et tout ce qu'il a dit — ou pas dit — vous vous imaginez naïvement que le dit bien-aimé, tout contrit, va faire amende honorable, et promettre de ne plus recommencer...
Que nenni !!
Il vous renvoie aussitôt à la figure une impressionnante liste de griefs, plus inattendus les uns que les autres, qui provoquent une guerre d'arguments, voire de coups, fort dangereuse, fort destructrice, et fort inutile dans cette vie humaine si courte...
Complètement inefficace !
Je sais bien que c'est là un comportement spontané, auquel personne ne peut toujours échapper... du moins dans la vie quotidienne.
Mais en classe, tout de même, il devrait être possible de faire autrement.

Au lieu de repérer d'emblée ce qui ne va pas dans une réponse, un devoir, un comportement, si l'on prenait l'habitude de chercher d'abord où il y a un peu de savoir faire, des essais d'efforts, des progrès si maladroits et si imparfaits soient-ils, la relation entre l'enseignant et l'élève serait déjà modifiée. Et donc sa relation au savoir à acquérir, dont le prof est le représentant en classe.
Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de se lancer dans des compliments dithyrambiques : si en difficultés soient-ils, les élèves ne sont jamais assez idiots pour ne pas sentir ce que des compliments injustifiés peuvent avoir de blessant. Comme m'a dit un jour un de ces élèves de collège, après avoir reçu ce type de compliment "de charité" : "jamais le prof n'aurait dit ça à Untel, le meilleur de la classe".
Il s'agit de faire les bons constats dans le bon ordre... Et si l'on craint de ressembler à Louis de Funès, dans "La grande Vadrouille", commençant par une inondation de compliments aux musiciens, pour aboutir à une bordée de reproches, on peut se dire, comme Baruch, qu'il y a un équilibre à conserver, : "C'est pourquoi, user des choses et y prendre plaisir autant qu'il se peut (non certes jusqu'au dégoût, car ce n'est plus y prendre plaisir) est d'un homme sage."
En fait, il s'agit d'être objectif, calme et bienveillant : pointer ce qui va, ce qui va mieux qu'avant, et éclairer la route qu'il reste à faire.
L'adjectif le plus important ici, me semble-t-il est le dernier : "bienveillant". Nous nous devons d'être bienveillants à l'égard de nos élèves, c'est-à-dire de nous adresser toujours à leur personne, et non à l'élève qu'ils sont. L'élève a pu se tromper, avoir un geste, un mot spontané, malheureux ou choquant. La personne de l'élève, seule, peut prendre conscience de ce que ce que cela a pu avoir de blessant, et — à condition que les choses soient dites avec fermeté et bienveillance — avoir envie d'en parler, de regretter peut-être, d'y réfléchir sûrement.
La clé ne peut se trouver que dans la recherche de moyens pour désamorcer toute tentation de surenchère.
Désamorce toute surenchère, donc permettre aux autres de comprendre, et surtout à l'auteur de se comprendre lui-même.
Connais-toi, toi-même, c'est bien le but de toute éducation, non ?

Comme on ne peut vivre dans le négatif que si l'on en fait une fierté, — combien d'élèves sont fiers de ne pas savoir lire, et d'être les truands de l'école ?— et que s'en faire une fierté, c'est vivre dans une illusion de soi, aucun comportement négatif ne peut être éducatif.
Toute entreprise sécuritaire, qui protège la "Société", punit, maintient dans l'obéissance ceux qui la menacent, et impose des solutions non construites ensemble, est aux antipodes de l'éducation.
Et la responsabilité, bordel, qu'en faites-vous ? N'est-ce pas, justement là, l'autre face du "connais-toi toi-même"...?