A toute chose malheur est bon, comme on sait.
Si l'histoire de l'équipe de France de foot-ball a une certaine tendance à être déprimante depuis quelque temps, au moins cela a -t-il l'avantage d'inspirer joyeusement la Presse, et de fournir par ricochet, aux enseignants, du bon grain à moudre dans les classes de français, sans oublier les occasions de réflexion morale qu'ils peuvent y trouver, sur l'esprit de coopération, le sens de l'équipe, le comportement civique, le respect des personnes, l'usage des insultes, et la connaissance des origines de ces dernières. J'en passe et des meilleures.
Alors pour ceux qui n'ont pas eu le temps de parcourir la Presse, voici quelques exemples et des idées pour les utiliser

Premier exemple : la Une de Libé.



Que faire en classe avec ce magnifique titre ?
La première idée, c'est évidemment d'éclairer le fonctionnement insolite de son orthographe, ce qui permet de découvrir et/ou confirmer que l'orthographe sert à lire, bien avant de servir à écrire, comme une véritable de balise de lecture, grâce à laquelle la compréhension est plus rapide, tout en faisant sourire, ce qui n'est pas négligeable. Pour cela, le mieux est de mettre en place un travail (toujours en petit groupes) de recherche d'autres graphies homophones et de comparaison : foutoir / footoir, pour faire apparaître ce que l'orthographe de "foot" apporte de sens nouveau au mot ainsi créé.
On peut ainsi confirmer que ce n'est pas la prononciation qui est première en français dans l'orthographe des mots, et ajouter que c'est une chance, car cela permet des jeux de mots qui seraient impossibles si les mots s'écrivaient comme ils se prononcent...
Voilà qui permettrait de redresser les affirmations erronées, acquises au CP, selon lesquelles les lettre correspondaient d'abord à des sons. Affirmation assez catastrophique responsable de la plupart des difficultés rencontrées plus tard en orthographe.
Un travail sur le dictionnaire devrait permettre de confirmer que ce mot est une création, car il n'y apparaît pas avec cette orthographe. Mais c'est une création liée à l'actualité et ici (on peut l'espérer !) éphémère, car il est en principe destinée à disparaître dès que les choses se seront calmées avec les footballeurs. Occasion donc de de toucher à la vie des mots, et aux liens que cette vie entretient avec les événements. Contrairement à ce que d'aucuns peuvent penser, tous les mots ne sont pas éternels : certains surgissent au gré des événements pour disparaître avec eux.

Comme ce mot (foutoir) passe pour être un mot d'argot, assez grossier, ce peut être aussi l'occasion de parler des "gros mots" et des argots. Rappeler que ces mots ne sont nullement à rejeter, qu'ils jouent un rôle très important dans la maîtrise du langage, et qu'ils sont parfaitement à leur place, y compris à l'écrit, en certaines situations. Maîtriser la langue, ce n'est pas rejeter tous ces mots, c'est savoir quand on peut (on doit ?) les utiliser.
Envoyer quelques coups de sape aux comportements d'intégrisme langagier fait partie des devoirs de tout enseignant de la langue et c'est une une occasion à saisir dès qu'elle se présente !
On peut enfin, à propos de "foutoir", révéler aux élèves (disons, pour ne pas effaroucher les collègues, plutôt ceux du collège) que ce mot n'a rien de nouveau et que, selon le grand Alain Rey, il date du 16 ème siècle où il désignait un "engin de guerre". On comprend aisément le glissement de sens, dû au caractère très "orienté" de la créativité langagière des militaires, vers l'organe sexuel masculin. C'est ainsi qu'il est devenu un "gros mot"...

Autre exemple : la Une de l'Equipe :



Subtil et passionnant celui-là, parce qu'il repose sur un raisonnement par inférence qui devrait permettre un bon travail au collège. La meilleure approche serait de proposer le titre ici oralement, avant que les élèves ne l'aient vu écrit : "Si je vous dis "la France en [car], que comprenez-vous ?" La réponse a de fortes chances d'être "La France en quart de finale (on peut rêver !). C'est alors que si l'on regarde le titre tel qu'il est écrit, le rôle de l'orthographe apparaît de façon lumineuse, aidé, il est vrai par la photo. c'est aussi pour cela que je crois préférable de commencer par la compréhension orale.

Deux autres encore que j'aime beaucoup, car ils permettent un travail très intéressant sur ce qu'on appelle : "l'intertextualité", mot barbare qui désigne un fonctionnement essentiel du vocabulaire français, même s'il a échappé complètement au rapport Bentolila sur ce sujet. Il s'agit des citations sous-entendues que provoquent certaines formulations comme celle du Monde d'hier soir



Ou celle de l'Equipe, ce gros titre en page interne :



Et l'on voit bien la nécessité ici d'y travailler en classe : ces citations sous-entendues ne sont évidemment perceptibles que si on les connaît ! C'est ainsi que la Presse peut devenir une excellente porte vers des œuvres parfois inconnues des élèves.
Le grand mérite de ces deux exemples, c'est qu'ils vont permettre, l'un comme l'autre, de faire une belle incursion dans le monde des arts visuels et de la littérature, sur des œuvres que les élèves de collège d'aujourd'hui ont peu de chances de connaître : parler de Wagner — et surtout en écouter ! — me semble une occasion si rare qu'elle ne doit pas être manquée. Et comme les nouveaux Dieux d'aujourd'hui sont les sportifs et surtout les footballeurs, qualifier la situation actuelle des Bleus, de "crépuscule", c'est leur conférer une grandeur (toute wagnérienne), qui peut leur donner envie d'en retrouver quelque miette...
Quand au merveilleux film botswanais, "les Dieux sont tombés sur la tête" écrit et réalisé par le sud-africain Jamie Uys, il date de 1980, et n'a sans doute pas été vu d'une majorité d'élèves. Occasion de le faire présenter par un de ceux qui l'auraient vu, s'il y en a ; sinon, pourquoi ne pas l'inscrire au programme du Ciné-club du collège ?
Du point de vue de la langue, c'est le fonctionnement des jeux de mots, jouant ici sur les sonorités : dieux / bleus, et ce, d'autant plus que les footballeurs sont bien des Dieux... enfin, quelque fois, il leur arrive presque de mériter ce titre !
Mais ce qui est plus intéressant encore, c'est que ce glissement est très ancien et a déjà servi dans le passé, mais à autre chose : il permettait au Moyen Age de jurer le nom de Dieu sans risques : et c'est l'histoire de "parbleu" (= par Dieu), "corbleu" (par le corps de Dieu) "sacrebleu"... Occasion aussi de réfléchir sur l'art du contournement devant les interdits qui viennent d'en haut... Tout se retrouve !
Et pourquoi pas en profiter pour faire écouter la "Ronde des Jurons" du grand Georges ?

Un petit dernier pour la route, tiré lui aussi de Libération. Je ne cacherai pas mon léger penchant pour lui : il permet en effet un travail passionnant sur le mot "feu" :



Très riche, n'est-ce pas ? Deux questions surgissent d'emblée : pourquoi le singulier, alors que l'on parle habituellement "des feux tricolores", et pourquoi le masculin : que peut désigner ce "feu" ? Débat des élèves, qui vont découvrir que le mot "feu" a peut-être un autre sens ici. En fait, c'est plus qu'un autre sens du mot, c'est un tout autre mot, dont l'origine est différente : le mot que l'on retrouve dans l'expression "feu M. Untel", pour parler d'une personne décédée. Le "feu" que l'on connait bien vient du latin "focus" (le foyer), tandis que celui-ci se rattache au mot latin "fatum", la destinée. Une personne décédée a accompli sa destinée...
Oui, mais, alors, nouveau problème : "feu... qui ?" Ce "feu"-là est un adjectif et n'est jamais seul... Reste à trouver qui est donc mort.
Le masculin indique une seule direction possible semble-t-il, le foot lui-même. Celui qui est mort, ou bien proche de l'être, c'est le foot "tricolore", c'est-à-dire français.
On observe que Libé joue à la fois sur les deux mots "feu", mais aussi sur l'adjectif "tricolore", où deux sens s'entremêlent, avec des couleurs différentes : celles des feux de carrefour, et celles du drapeau français.
Pas mal, non ?

Quand je vous le disais que le foot, c'est culturel... !!