Je cite les propos du Café :

Au terme d'une enquête auprès de près de 3 000 élèves, les auteurs montrent que "l'écart entre les résultats des élèves de 1987 et ceux de 2005 est en moyenne de deux niveaux scolaires. Les élèves de cinquième de 2005 font le même nombre de fautes que les élèves de CM2 il y a vingt ans. Les élèves de troisième de 2005, le même nombre d'erreurs que les élèves de cinquième de 1987". En 1987, 50% des élèves avaient moins de 6 fautes. Ils ne sont plus que 22% en 2005. L'écart entre les plus forts et les plus faibles s'est lui aussi creusé. Le nombre de fautes augmente particulièrement pour l'orthographe grammaticale. Cette étude a donc un grand impact. D'une part elle conforte tous ceux qui répètent que "le niveau baisse". Elle réveille également ceux qui, comme Robien, prônent le retour aux méthodes traditionnelles et jettent la suspicion sur les enseignants.

Comme l'auteur le reconnaît, du reste, un peu plus loin, la comparaison entre les résultats de 87 et ceux de 2005, ne signifient pas forcément une "baisse de niveau générale des élèves" — tant de choses ont changé depuis ! — et l'on peut parfaitement formuler d'autres hypothèses expliquant ces différences.
Par exemple, que l'enseignement de l'orthographe (ou plutôt les activités qui portent indûment ce nom) révèle de façon de plus en plus nette son inadaptation sur des élèves beaucoup plus éveillés et réceptifs que ceux de 1987, lesquels restaient encore très triés et très dociles, alors que ceux de 2005 vivent les apprentissages scolaires de plus en plus mal.
La pratique de la dictée, thermomètre mal étalonné pour soigner la maladie, l'apprentissage par cœur de règles fausses ou incomplètes, assorties d'exceptions, donc inutilisables, puisque ce ne sont plus des règles (une règle ne peut avoir d'exceptions sans cesser d'être une règle utilisable), rien de tout cela ne mérite le nom d'enseignement, et ne peut donc mettre en route aucun apprentissage.
Comme le rappelle D. Manesse, — mais, à mon sens sans en tirer toutes les conséquences pédagogiques qui s'en suivent — l'orthographe est, comme tout ce qui concerne la langue, une science d'observation, qui doit donc s'enseigner comme telle. Cela signifie qu'elle s'apprend, non avec des règles toutes faites à appliquer, mais, comme on le fait pour la botanique, avec des constats, des prélèvements, des recherches de classements, pour formuler des familles de "règles de fonctionnement".

Cela signifie aussi apprendre l'orthographe pour lire avant de l'apprendre pour écrire...

En effet, la première des questions auxquelles il faut répondre pour que les enfants entrent dans cet apprentissage, c'est (comme pour n'importe quel autre apprentissage) : "l'orthographe, à quoi ça sert ?".
Or, si on a fait croire aux enfants qu'on pouvait savoir lire sans s'occuper de l'orthographe, il n'y a aucune raison qu'ils pensent qu'on en a besoin pour écrire. Et précisément, on observe que les méthodes syllabiques, quasi imposées pour enseigner la lecture, se passent totalement de l'orthographe, puisqu'il s'agit d'apprendre à assembler des lettre pour pouvoir prononcer les mots écrits. C'est si vrai que certaines méthodes — comme celle du Docteur Borel-Maisonny, entre autres — vont jusqu'à barrer, dans les mots les lettres "en trop" pour faciliter le déchiffrage !!
Avouez qu'on a bonne mine ensuite de réclamer, dans une dictée, le -nt final de "chantent", qui est incontestablement en trop pour prononcer ce mot !
Une contradiction de ce genre, nos élèves d'aujourd'hui, même s'ils n'en ont pas vraiment conscience, surtout ajoutée à toutes les autres, la reçoivent de façon suffisamment nette pour dé-crédibiliser ce qu'on leur enseigne.
Et voilà sans doute pourquoi vos élèves sont muets en orthographe.

Il est clair que l'enseignement de l'orthographe souffre de deux erreurs majeures qui détruisent pas avance toute chance d'efficacité :
1- l'oubli qu'enseigner est, selon le mot de Chevallard, un "jeu à deux", et qu'il ne suffit pas de connaître le fonctionnement de l'orthographe pour l'enseigner, mais qu'il importe de prendre en compte les savoirs des élèves, ceux qu'ils ont acquis à l'école ou hors de l'école.
2-la soumission à un dogme ahurissant qui rend aveugle et sourd, même les plus savants.

Première erreur : même si nos ministères successifs depuis quelques années semblent n'en avoir jamais entendu parler, il est peu contestable aujourd'hui d'affirmer que, quel que soit l'âge des apprenants, apprendre consiste à transformer ce qu'on savait déjà. Si bien qu'aucun apprentissage ne peut "prendre" si l'on ne se situe pas dans la fameuse "zone proximale" du cher Vygostski, c'est-à-dire si l'on ne prend pas appui sur ce que l'expérience personnelle des élèves leur a appris, mais en ciblant un peu au-dessus, pour que ce puisse être bousculé et modifié.
Or, on oublie trop que ce n'est plus l'école — et depuis longtemps ! — qui fait découvrir l'écrit aux enfants. Dès leur naissance, ils vivent maintenant dans un univers où l'écrit est omniprésent. Ils l'ont sous les yeux dans la rue, chez eux, dans leurs jeux, sur la table des repas, à la télé, et sur leurs ordinateurs.
Or, s'il est vrai que les recherches en linguistique font apparaître que l'écriture de la langue française est à 80% phonographique, l'expérience des enfants est remplie des 20% restants, où les fameuses "lettres en trop" sont loin de l'être (en trop) et s'éclatent en jeux de mots plus joyeux les uns que les autres. C'est donc sur ces 20% qu'il faut prioritairement s'appuyer.

Et cela nous amène à la seconde erreur, l'obéissance à ce dogme ahurissant, selon lequel il faudrait écouter comment on prononce pour savoir comment ça s'écrit...
L'erreur ici est multiple. D'une part, c'est mille fois faux : je peux écouter en boucle ce que j'entends dans "théâtre" sans trouver comment ça s'écrit. Je peux écouter ce que j'entends dans "second"... et commettre une erreur !
D'autre part, il est loin d'être facile pour un enfant (et même pour un adulte) d'entendre ce qui est prononcé. Les fameuses séances d'écoute des sons fourmillent de morceaux d'anthologie où les réponses des enfants sont un feu d'artifice de n'importe quoi.
Je me souviens de moments de ce type où la maîtresse demandait combien on entend de sons dans le mot "bar", et où l'on découvrait que pour les élèves il pouvait y en avoir à volonté deux ou six, sans aucun inconvénient.
Je peux citer aussi, parmi mille autres exemples, cette classe québécoise où, avec la méthode "le Sablier", on écoutait les sons d'une langue que personne ne parlait ainsi : la méthode le Sablier, pourtant québécoise, avait tout simplement oublié l'accent québécois (il faut le faire !!), et demandait aux petits d'entendre des [i] que la maîtresse ne prononçait pas : on sait que l'accent québécois tire, pour certains mots (pas tous !) , le [i] vers le [è].
Mais comme elle n'avait pas la même attitude pour attendre la réponse selon que le [i] était dans le mot ou qu'il n'y était pas, les enfants avaient repéré ce détail et levaient la main comme un seul homme, rien qu'à voir son regard, même s'il était impossible d'entendre le moindre [i] dans le mot prononcé.

La véritable erreur de vouloir que les enfants écoutent les "sons" de la langue, c'est que le phonème (qui est l'élément du système sonore de la langue orale) n'a rien à voir avec ce qu'on entend effectivement. D'abord, ce qu'on entend effectivement varie selon les régions, les gosiers de ceux qui parlent, la place des mots dans l'énoncé etc. D'où de grandes difficultés pour les enfants qui voudraient être rigoureux — heureusement, ils comprennent vite qu'il ne faut pas chercher à comprendre et qu'il faut au contraire, selon une jolie réponse enfantine, deviner ce que l'enseignant attend...
C'est bien cela, former des esprits ???

En fait, on le sait pourtant, depuis Robert Estienne — et même si à l'origine ses intentions étaient un tantinet discriminatoires (l'orthographe étant, de l'avis d'un de ses confrères, conçu pour distinguer les honnêtes gens des ignorants et des simples femmes) —, la langue française écrite est devenue une langue pour les yeux. Et cela est formidablement intelligent, car parfaitement conforme à ce qu'est l'acte d'utilisation de l'écrit, à savoir la lecture.
On a donc tout intérêt à dissocier surtout au début des apprentissages l'orthographe de la prononciation, et à travailler, non sur ce qu'on entend, mais sur ce qu'on voit. Avantage : c'est infiniment plus facile pour les enfants. Pour découvrir un peu plus tard, le système de correspondances phonies-graphies, largement camouflé par le système orthographique, qui lui se voit tout de suite.
Intérêt aussi à focaliser l'attention des élèves sur les lettres qui ne correspondent pas à des unités sonores, car ce sont elles qui permettent de comprendre :
* Les unes servent de "traits distinctifs", entre des mots qui se confondent à l'oral : "mai /mais" ou "prés/près", ou "lait /laid" etc.
* Les autres permettent de comprendre les relations entre les mots : ce qu'on appelle bien mal "orthographe grammaticale", d'un nom qui fait peur rien qu'à le lire, ne sont que des marques permettant de savoir comment les mots sont associés entre eux : cf. les deux célèbres vers de Leconte de Lisle, tirés du poème "Les Eléphants" :

Et la girafe boit dans les fontaines bleues
Là-bas, sous les dattiers des panthères connus

Devant cet exemple, des enfants de CM ont été ravis — je l'atteste— de voir comme l'orthographe ici aide à comprendre !
Dans un billet de l'an passé,

http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2010/06/21/150-quand-le-foot-donne-des-idees-pedagogiques

j'ai pu donner des exemples de travail à mener en classe, au primaire comme au collège, sur le fonctionnement de l'orthographe. Pour avoir moi-même mené des séances de ce type dans des classes primaires, je peux dire que ça marche, que ça amuse les enfants et que ça crée une motivation à s'intéresser à l'orthographe, qui devient alors ce qu'elle doit être : un ensemble de règles de jeu social, souvent très drôle, et passionnant.

Pour moi, la clé de l'enseignement de l'orthographe — mais j'ai conscience de soulever ici un Everest de tabous et d'ukases, qui mettront des années à s'écrouler —, se trouve dans l'apprentissage de la lecture, qui doit faire apparaître À LA FOIS les relations entre l'écrit et l'oral ET l'indépendance réelle de l'écrit par rapport à l'oral.
Continuer à faire croire que les lettres auraient des "sons", c'est à la fois une absurdité linguistique, une énorme erreur pédagogique, une erreur morale et un déni de bon sens.
* une absurdité linguistique, parce que les lettres ne sont que des petits dessins que les langues utilisent de façon arbitraire, en fonction de l'histoire de leur écriture ;
* une erreur pédagogique, parce que cela crée des difficultés supplémentaires aux élèves ;
* une erreur morale parce que cela contribue à faire croire que le système français de correspondances-phonies-graphies serait "normal" ce qui entraîne que celui des autres ne le serait pas (bonjour l'ouverture aux différences !),
* et un déni de bon sens pour toutes ces raison-là.

Apaiser l'orthographe ? Ne faudrait-il pas plutôt apaiser surtout ceux qui l'enseignent ? Sans chercher ni à simplifier celle-ci (autre absurdité), ni à en dévaloriser l'intérêt.
L'orthographe, c'est une des règles du jeu de la communication écrite — un peu plus complexes que celles du foot, mais tout aussi nécessaires pour jouer.
Au lieu de faire des dictées qui ne servent qu'à tout abîmer, traitons la langue écrite comme un jeu, avec des règles de jeu, un jeu social, un jeu à plusieurs, et comme avec toute règle de jeu, eh bien jouons !!
Je vous garantis que tous les élèves trouveront ça passionnant !