Sans doute, le "prof de gym" occupe-t-il une place effectivement à part dans l'établissement, et sa relation avec les élèves est souvent différente de celle des autres profs. Il a généralement moins de problèmes de discipline que ses collègues et il n'est pas rare qu'il soit le prof préféré des élèves.
Certains esprits vifs ont trouvé une hypothèse d'explication à cette relation plus "réussie" que dans les autres disciplines, hypothèse qui pourrait être un excellent point de départ à notre réflexion : c'est le seul prof qui fait en même temps qu'eux ce qu'il demande aux élèves...
Facile de comprendre qu'il leur apparaisse alors un peu plus crédible que certains... même s'il n'est pas évident au prof de maths de se plonger dans le problème sur lequel planche la classe (en principe, il l'a fait avant eux pour s'assurer qu'il est bien faisable !) ou au prof de français de faire la dissert sur table en même temps que les élèves. En fait, c'est davantage envisageable pour le français : j'ai connu dans les années 70, des profs qui le faisaient, et qui lisaient ensuite leur copie à la classe, avec un débat sur la manière dont le sujet avait été traité par les uns et les autres.

Mais, quand on visionne le document de Jean-Paul, ce qui apparaît d'emblée à un prof de n'importe quelle autre discipline, c'est que, contrairement aux matières prétendument plus "nobles" qui l'oublient volontiers, en EPS, impossible d'oublier que l'élève a un corps.. Evidence, sans doute. Sauf que le corps des élèves est là aussi en français, en maths ou en sciences, et qu'on fait comme s'ils devaient le laisser dans le couloir avec leur manteau pour devenir de purs esprits en algèbre ou en grammaire. Il n'y a pas de disciplines avec corps et d'autres avec esprit.
Apprendre, ça se passe avec l'élève tout entier. Les profs d'EPS sont là pour nous le rappeler.
Cette question ne date pas d'hier. Il y a un peu plus de trente ans, Michèle Mazalto, dans le numéro 51 de juin 1981 de la revue de la SFERPM "Pratiques Corporelles" criait déjà sa révolte par un superbe dessin que je vous offre :



Des "enfants-chaises", l'image rêvée de la plupart des classes, l'attente de la majorité des enseignants.
Preuve que quelque chose ne va pas dans ce qui leur a été enseigné : il n'est pourtant pas nécessaire d'être diplômé de psychologie infantile pour savoir que des enfants — et des adolescents — ne peuvent rester une heure et demie sans bouger, assis sur des chaises au point de se confondre avec elles, à écouter des explications qu'ils n'ont généralement pas sollicitées.
Malgré cela... c'est bien ce qu'exige un collègue sur deux, — évidemment sans l'obtenir, ce qui entraîne punitions et autres réprimandes, lesquelles plombent l'ambiance de la classe et consomment en pure perte un temps précieux.
Cette inconscience est d'autant plus surprenante quand on sait qu'à l'époque (ancienne !) où il y avait un soupçon de formation continuée, les collègues participant au stage se plaignaient volontiers d'être obligés de rester si longtemps assis sans pouvoir bouger... !
Et pourtant, si les enfants ont des choses à faire, s'ils travaillent en petits groupes, avec le droit d'aller chercher de la documentation, de comparer avec d'autres groupes, bref, de bouger librement, ce n'est pas de "l'agitation", chose insupportable à tout enseignant, qui apparaît dans la classe : c'est juste de la vie...

Ces deux petites remarques en préalable de l'analyse du document de Jean-Paul permettent aussi de comprendre pourquoi ce sont souvent les chercheurs en pédagogie de l'EPS, les Pierre Parlebas, Jean Le Camus, Robert Meyrand, Jean Eisenbeis, Bernard Maccario et bien d'autres, qui nous ont apporté les travaux les plus précieux pour notre métier d'enseignant "non-EPS", même s'ils sont naturellement loin d'être les seuls.
Alors, ça vaut le coup de se pencher sur le document de J.P. Julliand, et de pointer ce qui, dans ce qui se passe à Lyon, peut intéresser tout autre prof, notamment ceux qui enseignent le français à l'école ou au collège.
Sans avoir la prétention d'épuiser la richesse de ce document (qui devrait figurer dans tous les établissements scolaires de France et de Navarre), je voudrais seulement ici évoquer deux ou trois propositions à la fois très nouvelles et réellement porteuses, à mes yeux, d'efficacité dans l'apprentissage du métier d'enseignant.

1- Parce que le métier d'enseignant demande au moins cinq ans pour se construire, qu'il faut donc commencer tôt, et occuper les cinq années universitaires, mais aussi parce qu'il exige des aptitudes particulières sans lesquelles les formations les plus intelligentes resteront lettre mortes (voir la superbe liste que Laurent Carle nous a offerte en commentaire du billet précédent), il importe de trouver un moyen de faire apparaître ces aptitudes AVANT le travail de professionnalisation.
On peut trouver divers moyens pour cela. Celui que propose de l'UFRSTAPS de Lyon me semble proprement génial. Il s'agit, dès la première année de fac, d'intégrer la pratique pédagogique dans la formation disciplinaire, sous forme de réinvestissement pédagogique des cours reçus, une demie-journée par semaine dans des classes du primaire ou du collège — et ce, pour tous les étudiants sans se préoccuper de savoir s'ils ont l'intention ou non de devenir enseignants.
Loin d'être du temps perdu, cette initiative, parfaitement possible quelle que soit la discipline concernée, présente au moins trois séries d'avantages, pour tout étudiants :
* Qu'il soit futur enseignant ou non, le meilleur moyen d'apprendre pour lui, c'est d'avoir à enseigner ce qu'il a à apprendre. Ces réinvestissements pédagogiques, sur le terrain même des classes, est pour ceux qui ont à le préparer, un formidable moyen d'asseoir ce qu'ils viennent d'apprendre : au lieu de faire passer un "contrôle" (le vilain mot !), on met les étudiants en situation de voir à quoi sert ce qu'ils ont entendu en cours, et comment on s'en sert.
De plus, ces séances de classe étant enregistrées, chacun, peut, très tôt, commencer à analyser des pratiques et à les théoriser avec l'aide du formateur.
* Ce travail pratique, outre qu'il consolide le savoir, est ainsi un moyen de se connaître, — de se découvrir plutôt — tout en apprenant à s'accepter. On sait que la plupart des gens détestent se voir sur un écran, comme ils détestent qu'on les regarde travailler. L'ennui, c'est que seuls ces regards extérieurs permettent de progresser dans notre métier : il faut donc apprendre à accepter ces regards, et apprendre en même temps à analyser de façon constructive sans jamais juger.
* Il permet surtout aux formateurs de pointer les fameuses aptitudes évoquées plus haut en chaque étudiant, ce qui rendra possible des conseils plus précis au moment de l'orientation vers les masters d'enseignement, mais aussi des prises de conscience chez l'étudiant lui-même de ses propres capacités, avant qu'il ne soit trop tard.

2- Donc, pour les futurs enseignants, une formation en alternance — "Pas nouveau..." direz-vous — certes, mais comme Jean-Paul le souligne fortement, une alternance tout au long des cinq années de fac et qui ne soit ni "juxtapositive", ni "applicative". Il ne saurait s'agir d'appliquer ce qui a été dit au cours, mais de le réinvestir. Il n'est pas question non plus de coller bout à bout des morceaux de cours et des séances de classe. Ces séances font partie du cours et sont analysées avec le professeur qui l'assure.

3-Enfin, une proposition qui personnellement me comble d'aise : un souci poussé à l'extrême de ne pas s'enfermer dans les contenus disciplinaires, d'éviter à tout prix ce qu'on peut nommer une culture fermante, qui ferme les esprits au lieu de les ouvrir, et qu'on rencontre si souvent chez certaine personnes pourtant parées de diplômes admirables, et assez souvent, chez les enseignants, justement.
Pour cela, outre les connaissances scientifiques les plus approfondies sur la discipline et ses diverses facettes, les étudiants au cours de ces cinq années, ont dans leur programme des "matières transversales", des outils indispensables à tout enseignant, comme le travail sur la voix, l'informatique, mais aussi le théâtre, l'expression corporelle, la prise de parole en public, la conduite de réunion, la vidéo...
Le relationnel et la maîtrise de soi : s'il y a un métier qui exige une maîtrise de tout cela, c'est bien l'enseignement... Et dire que cela n'a jamais été inscrit aux programmes de formation, quand il y en avait...!

4- S'ajoute à ces enseignements ce que Jean-Paul nomme les "contextes", sociaux, historiques, idéologiques, psychologiques : l'histoire de la discipline en tant qu'objet scolaire, l'histoire des conceptions de cette discipline, celle des grands noms qui l'ont fait vivre, celle des grands débats qui l'ont agitée... En tant que formatrice, je suis atterrée de voir aujourd'hui les ignorances des étudiants dans tous ces domaines...

Certes, comme le dit Jean-Paul, cela implique de grandes modifications dans le fonctionnement des universités, leur manière de faire cours, et les contenus qu'elles dispensent. Mais cela a fonctionné à Lyon : c'est donc possible...

On peut trouver sans doute bien d'autres sujets de réflexion et de débats dans ce document (comment lier formation et recherche, — retrouver la recherche-action, que nous avons connue dans les années 70 ! — associer les praticiens du terrain aux formateurs universitaires, etc.) mais il me semble que les propositions que j'ai citées ici sont des éléments incontournables, vraiment nouveaux et forts, pour un apprentissage du métier d'enseignant, digne de ce nom.
Comme il est permis d'espérer qu'une nouvelle conjoncture puisse ouvrir enfin des voies vers la réinstallation d'une réelle professionnalisation de la formation, nous devons, sans perdre de temps, faire collecte de tout ce que les divers projets en ce sens proposent, les mettre à plat, en débattre, remercier leurs auteurs, et tenter d'en faire quelque chose... Tous ensemble.
Donc, merci Jean-Paul !