L'école doit changer, la manière d'y travailler aussi. C'est même le Ministre qui le dit.
Tout a changé autour de nos élèves et les finalités de notre travail ne sont plus du tout les mêmes. Par exemple, l'école n'a plus à apporter aux enfants des connaissances qu'ils ne pourraient acquérir ailleurs : ils sont inondés d'informations, au point d'en être saturés parfois, et se révèlent incapables de les utiliser.
Elle a donc le — nouveau — devoir absolu de leur apprendre à s'y retrouver, à y mettre de l'ordre.
Apprendre, c'est aujourd'hui apprendre à faire le ménage, à identifier les informations, à les situer les unes par rapport aux autres, à les classer, à les choisir, à savoir s'en servir. Cela n'a plus rien à voir avec les pratiques mises en œuvre jusqu'ici et il importe de profiter de ce moment particulièrement favorable, pour négocier un virage, qui, même s'il doit se faire en relative douceur, n'en doit pas moins être total et sans timidité aucune.
Seule une formation des enseignants extrêmement rigoureuse peut concrétiser un tel paradoxe.

Enseigner, ne peut donc plus être une transmission de savoirs tout faits, préemballés, à consommer sur place en les récitant. Enseigner, c'est rendre les enfants capables de se les approprier. Cela veut dire que les savoirs savants disciplinaires, indispensables cela va de soi, ne sont plus suffisants, que tous les masters du monde ne feront jamais un enseignant et que le beau mot de "pédagogie" (= "accompagner l'enfant") est devenu incontournable. Accompagner l'enfant sur le chemin de l'appropriation des savoirs n'est ni un art, ni un don, c'est bel et bien un métier, pas évident du tout et qui doit s'apprendre.
Or, la pédagogie est exigeante. C'est une science à part entière, qui doit se nourrir des travaux de nombreuses sciences humaines, sans être assujettie à aucune d'entre elles. Elle a besoin des données de la Recherche fondamentale en psychologie (des enfants, des adolescents, de l'apprentissage), en sociologie, en sciences du langage, en neurosciences aussi (mais... surtout, pas seulement !), sans oublier tous les travaux des chercheurs sur les contenus d'enseignement des diverses disciplines.
Toutes ces données sont évidemment en évolution constante, d'où l'impérieuse nécessité d'une formation continuée tout au long de la carrière. Ce qui, déjà, met à mal la prétendue supériorité de l'enseignant chevronné qui tient le CP depuis trente ans, et qui fort de son "expérience" n'a éprouvé le besoin de suivre aucun stage durant cette période.
Mais surtout, notre métier appartient à ceux de la communication : la formule d'Y. Chevallard s'impose plus que jamais, qui rappelle qu'enseigner, c'est "un jeu à deux". L'élève n'est pas un objet à "former", c'est un partenaire qu'il faut convaincre et non forcer : nul ne peut contraindre qui que ce soit à apprendre. Punitions et récompenses sont à la fois immorales et stupides. Il faut donc apprendre à travailler AVEC les élèves. Cela veut dire travailler avec leur personne tout entière et non leur simple statut d'élèves, en prenant en compte toutes les dimensions de l'apprentissage, la dimension affective, la dimension cognitive et la dimension opératoire.

La dimension affective, parce qu'un enfant, — comme un adulte — ne peut apprendre sous le stress des menaces et de la compétition. Il a besoin de confiance et de sérénité. Et pour cela, il faut qu'il retrouve ce qu'il sait dans ce qu'on lui montre de nouveau pour qu'il puisse se sentir "chez lui" dans ce qu'il apprend. Il faut que ses savoirs, si erronés soient-ils, ne soient jamais objet de mépris pour l'enseignant et que celui-ci n'oublie pas que l'erreur n'est pas une faute et qu'il est scandaleux — et de fait interdit officiellement ! — de punir pour des erreurs ou des ignorances.

La dimension cognitive, parce que personne ne peut apprendre sans comprendre ce qu'il doit savoir. Parce que tout élève, quel que soit son âge doit être informé de ce qu'on attend de lui et pourquoi. Un enseignant doit donc savoir installer dans sa classe la fameuse clarté cognitive qui permet à chaque élève de savoir qu'il est en train d'apprendre, de savoir CE qu'il est en train d'apprendre, et de savoir À QUOI SERT ce qu'il est en train d'apprendre.

Et la dimension opératoire, parce qu'un savoir acquis ne devient jamais spontanément disponible, et qu'il faut le transformer en outil d'action. La plupart des échecs viennent non pas des ignorances des élèves, mais du fait qu'ils ne savent pas utiliser ce qu'ils savent, et souvent, qu'ils ne savent même pas qu'ils savent.
L'enseignant doit donc prévoir en classe des moments où l'on apprend comment on se sert du savoir qu'on vient d'acquérir, pourquoi on s'en sert comme ça, et dans quel cas on peut s'en servir de cette manière ou d'une autre.

On comprend que tous ces aspects du métier impliquent de la part de l'enseignant, outre des connaissances de très haut niveau, toujours ouvertes sur la nécessité éventuelle d'être remises en question, un énorme travail sur lui, une ouverture d'écoute et d'empathie forte et une maîtrise de soi qui, elle non plus, n'a rien d'inné. La formation doit intégrer ces données et favoriser ce travail.

Montesquieu disait que la démocratie n'est possible qu'avec des gens vertueux. La pédagogie POUR la démocratie, selon la belle formule de Ph. Meirieu, peut et doit être une école de morale, une école de sagesse, ce qui est à peu près le sens que le philosophe donnait à vertu.
Ainsi conçue, la pédagogie devient une éducation morale permanente, et les cours de morale, — même laïque ! — naturellement inefficaces, deviennent sans objet et rendent le temps dont on a besoin pour du travail culturel autrement plus passionnant et formateur que ce type de "machin" qu'on appelle une leçon de morale.

C'est donc cette pédagogie-là qui doit être installée dans les futurs centre de formation, une pédagogie ambitieuse, culturelle, humaniste et humaine, qui s'adresse à la totalité de la personne, pour des enseignants citoyens solidaires, car seuls des enseignants capables d'installer dans leur classe un climat de confiance sereine et un vécu scolaire réellement démocratique pour offrir aux enfants un exemple de vie collective positive et ouverte, ont une petite chance de parvenir à juguler violences et obscurantismes dans l'école et dans la vie sociale.
Si la future formation des enseignants n'intègre pas ces exigences, il n'y aura pas de refondation de l'école.

(1) http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2012/01/31/196-enseigner-peut-s-apprendre

http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2012/03/14/198-pour-que-l-ecole-change-c-est-la-formation-qu-il-faut-changer

http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2012/05/23/203-ecole-quand-l-arbre-d-une-reformette-risque-de-faire-oublier-la-foret-des-vraies-reformes

http://www.charmeux.fr/blog/index.php?2012/08/08/207-refondation-de-l-ecole-d-autres-facons-de-faire-ou-d-autres-facons-de-penser