Comme il faut le rappeler souvent, lire et écrire ne sont pas des "savoirs", mais des SITUATIONS, qu'il faut apprendre à vivre.
Ces situations ont des points communs, mais ne sont nullement dépendantes l'une de l'autre. En fait, elles correspondent à chacun des deux pôles d'une communication à distance : on est en position de récepteur de la communication quand on lit ; on est en position d'émetteur, quand on écrit. Les problèmes à résoudre sont donc loin d'être les mêmes.
C'est pourquoi l'on peut dire que ces deux fonctions de la communication sont à mettre en relation, car elles s'enrichissent mutuellement (on va voir comment), mais ne sauraient être systématiquement associées, comme cela se fait trop souvent dans les classes, où toute leçon de lecture débouche, avec la régularité d'un métronome, sur du travail d'écriture, généralement sous forme d'exercices insipides, sans l'ombre d'un rapport avec l'apprentissage de la communication.

Rappelons aussi que le verbe "écrire" a l'inconvénient de renvoyer à deux "savoir faire" complètement distincts requérant des compétences fort différentes : le fait de savoir produire un écrit et celui de savoir le graphier. Cet inconvénient a eu pour effet que, depuis toujours (et encore en 2008 !), ces deux savoir faire sont amalgamés (de fait le premier est ignoré). Dans la plupart des instructions officielles, on invite les enseignants à enseigner l'acte graphique, longuement, et c'est tout : après, les enfants doivent écrire de "petites" phrases (oubliant que, plus c'est court, plus c'est difficile, comme le disait déjà Pascal), puis des paragraphes, puis des rédactions appelées d'abord "compositions françaises ", et le tour est joué : ils savent écrire ! Comme si les compétences de production pouvaient sortir toutes seules de la maîtrise de l'acte graphique !
C'est oublier que les compétences requises sont loin d'être communes : graphier requiert des compétences MOTRICES et PERCEPTIVO-MOTRICES, alors que produire un écrit est de l'ordre des compétences linguistiques, psycho-linguistiques et socio-linguistiques. Aucun rapport entre eux.

Laissons de côté l'apprentissage moteur : on en parlera dans un billet autre si cela intéresse nos lecteurs, et revenons à la production d'écrit, objet de ce billet et à ses rapports avec la lecture.
Qu'est-ce qu'une situation de production d'écrit ?
Comme pour la lecture, mais différemment de celle-ci, la situation de production écrite est définie par des conditions matérielles, sociales et par un projet. On écrit :
* pour quelqu’un,
* avec un projet d’action à son égard,
* dans un ensemble de conditions données, à la fois matérielles et sociales,
* en utilisant des outils variés, — outils dits « scripteurs » (crayon, stylo, plume etc.) — mais aussi clavier d’ordinateur ou autre machine,
* et en mettant en jeu un fonctionnement spécifique de la langue, fort différent de celui de l’oral.
C’est donc une situation extrêmement complexe, surtout si l’on ajoute que chacune de ces composantes est objet de variations : avec le développement des techniques de communication, non seulement les destinataires et les projets varient, mais les conditions matérielles de la communication également : courrier papier envoyé par la poste / courrier internet (mails) / sms et autres envois rapides par téléphone.
Et chacune de ces variations requiert un fonctionnement du langage, différent par la syntaxe, le choix des mots et parfois jusqu’à l’orthographe (l'orthographe des sms, n'est pas une décadence de l'orthographe — formule ridicule — , c'est une AUTRE orthographe, spécifique de ce type de messages écrits, tout comme celle des petites annonces, à observer et à comprendre à côté de l'autre !) ).
Or, toutes ces données doivent être traitées en même temps. C’est dire au passage combien la complexité de ces situations est plus grande que ne la décrit la tradition scolaire.

Qu'en est-il d'une situation de lecture ?
Elle aussi se fait à cause et avec un PROJET, mais un projet D'UTILISATION DE LA LECTURE (je lis pour savoir, pour comprendre tel ou tel phénomène, pour me distraire etc.), et non un projet d'action sur quelqu'un.
Elle utilise aussi des OBJETS, qu'il faut aussi apprendre à manipuler et à utiliser — mais ce ne sont pas les mêmes que ceux de l'écriture : en lecture ce sont des "objets à lire", journaux, catalogues, manuels scolaires, romans, revues, brochures diverses etc. Ils ont chacun des "modes d'emploi" différents qu'il faut apprendre à maîtriser.
Le seul véritable point commun entre ces deux situations, c'est l'aspect langagier : l'une et l'autre exigent la maîtrise d'un fonctionnement de la langue, spécifique de la communication à distance, et fort éloigné du fonctionnement de l'oral.

Mais on comprend bien que ce fonctionnement particulier de la langue, on ne peut le connaître que par la lecture. C'est pourquoi, il est si important de lire aux tout petits des histoires écrites EN LANGUE dite ÉCRITE, et non, comme c'est le cas souvent, en pseudo-oral, pour "faciliter" la compréhension. Et si l'on objecte qu'ils risquent de ne pas bien comprendre, je dis que cela n'est pas grave : l'essentiel est que les petits entende cette langue comme une musique, qu'ils s'en nourrissent et qu'ils puissent l'aimer. J'ai vu des classes de maternelle, à une époque où le dessin animé à la mode était une fort jolie adaptation de l'Odyssée (Ulysse 31), écouter, fascinés, des pages de l'Odyssée d'Homère, dans la traduction de Victor Bérard (je sais : elle est un peu infidèle, mais si belle dans ses alexandrins !).
Les petits adorent la "belle" langue et ne sont nullement gênés de ne pas tout comprendre : souvenez-vous de "tire le chevillette, la bobinette cherra" : n'avez-vous pas été ébloui par cette formule incompréhensible et n'avez-vous pas été un peu déçu de voir ce qu'elle signifiait en réalité ?
Lorsque des petits ont entendu beaucoup de belles pages, dans leurs différences entre elles, ils ont vite compris que "on n'écrit pas comme on parle". Et, chacun a pu entendre, comme moi, des petits bouchons dicter à l'adulte, dans le conte qu'ils sont en train de produire, des passés simples fantaisistes, et jubilatoires (alors il disa au revoir et il parta...), adorables erreurs tellement intelligentes !

Les autres composantes de la production d'écrits, doivent, elles, faire l'objet d'un apprentissage spécifique : ce sont celles que l'on regroupe sous le terme de "compétences énonciatives".
Communiquer par écrit, cela implique que l'on prenne en compte le futur lecteur, car on écrit, non pour DIRE mais pour AGIR sur celui qui va lire : on n'écrit pas ce qu'on veut, on écrit ce qu'on veut que le lecteur comprenne. Cela implique un apprentissage de l'anticipation, et une connaissance des usages sociaux, déjà découverts en lecture mais qu'il faut approfondir et transformer en outils pour écrire.
Prendre le futur lecteur en compte, cela exige qu'on soit capable, pour qu'il comprenne comme on souhaite que ce soit le cas, de trier parmi les évidences, celles qui sont communes avec le destinataire et celle qui ne le sont pas pour lui. Apprentissage donc de la mise à distance de soi et relativisation de ses certitudes, où l'on voit qu'apprendre à écrire, c'est aussi acquérir des pouvoirs sur soi, devenir capable de douter positivement, de s'ouvrir l'esprit, toutes composantes de la formation morale.
D'autre part, cela demande qu'on prenne en compte le fait que lire est une activité fatigante, qui ne plait pas toujours à tous. La politesse demande donc qu'on écrive court... mais en même temps il est nécessaire de placer beaucoup d'informations, car le lecteur n'aura que le texte pour comprendre. Il s'agit donc de dire beaucoup en peu de mots.
Ici, c'est la grammaire qui va aider à résoudre la contradiction — la vraie grammaire, pas celle des prétendues règles — celle qui étudie le fonctionnement des textes pour répondre à la question : "Comment ça marche ?". Dire beaucoup plus que ce qu'on dirait à l'oral, et en beaucoup moins de mots, cela s'appelle "densifier le discours", et cela se fait par la maîtrise des transformations grammaticales d'enchâssement, que l'oral ignore — parce qu'il n'en a pas besoin.
Enfin, écrire, c'est passer du sonore au visuel, et placer son message sur un espace, où le lecteur va le VOIR et non l'entendre. Cela implique une tout autre manière d'appréhender ce qu'on a à dire, avec une importance nouvelle à prendre en compte, celle de la mise en page et de la présentation. Précisons qu'il ne s'agit nullement ici de "convenance", mais de lisibilité, ce qui est notablement différent.
C'est la lecture et le travail d'observation des textes qui permet ces découvertes et ces apprentissages. Mais il arrive aussi que l'inverse soit possible et que ce soit l'écriture qui enrichisse la lecture.
Je voudrais en donner un exemple ici, sur lequel nous avons travaillé dans les classes.
En lecture littéraire, une des grandes difficultés de compréhension pour les enfants, c'est l'emploi du "JE" dans les textes : comment "je" peut-il n'être pas moi ? Question philosophique, s'il en est !
Pour aider les enfants à comprendre la notion de narrateur, distincte de celle d'auteur, dans un texte littéraire, et le fonctionnement des "embrayeurs" — ces mots qu'on a si longtemps appelés PRONOMS, alors qu'ils n'en sont pas, comme JE, TU, NOUS, VOUS (et autres), qui sont une des difficultés majeures en lecture, aggravée encore par l'amalgame que fait la grammaire traditionnelle avec les pronoms — c'est l'action qui le permet, la production d'un texte où l'on imagine qu'un personnage bien précis d'une histoire la raconte de son point de vue.
C'est ainsi qu'après avoir lu le chapitre, incontournable dans les manuels de lecture du primaire, de Tartarin de Tarascon où celui-ci, dans la diligence algérienne qui l'emmène à la chasse aux lions, prétend connaître monsieur Bombonnel, et se moque de lui, sans savoir que c'est à lui qu'il s'adresse, l'enseignant a proposé à chacun des groupes d'enfants réunis par trois, d'imaginer le récit qu'aurait pu faire en rentrant chez eux, chacun des autres personnages, Monsieur Bombonnel, le conducteur qui révèle à Tartarin de qui il s'agissait, ou tout autre personnage de la diligence.
Outre le caractère ludique de cette activité, qui amuse les enfants surtout parce qu'ils ne sont pas seuls à la vivre, c'est le meilleur moyen pour qu'ils s'orientent clairement dans la distinction "qui écrit" / "qui raconte".

On voit mieux le type de relation qui unit lecture et écriture, une relation "dialectique" où chacune des deux situations enrichit l'autre sans aucune dépendance de l'une à l'autre. Rien à voir avec ce collage ridicule qu'on se croit souvent obligé d'installer. Inutile aussi de se chamailler sur la priorité de l'une sur l'autre : c'est de façon contemporaine que les enfants vont les vivre et les mettre en relation.
On pourrait citer beaucoup d'autres exemples de pratiques en ce sens, car rien de tout ceci n'est très nouveau : nombreuses sont les productions des mouvements pédagogiques qui donnent des idées précises et concrètes pour travailler ainsi (un ouvrage sur ce sujet est même en préparation actuellement). Ces contributions pour une pédagogie de la production de textes, — quasiment absente des instructions officielles, sous une forme autre que la minable rédaction scolaire, activité hors situation, artificielle au possible et sans intérêt aucun — ne sont malheureusement guère connues de l'enseignant lambda, comme, du reste, des Instances officielles, jusqu'ici du moins...
On peut encore espérer que ça change...
Mais peut-être serait-il opportun de pousser un peu les auteurs des futurs programmes. N'est-il pas ?