La question des notes à l'école n'a rien à voir avec la sévérité ou le laxisme ; il ne s'agit pas d'être "gentil", ni même d'être "positif", terme que même les journalistes de F2 ne semblent pas comprendre : l'exemple donné au JT, de la manière de corriger une phrase comme "les étoile brille dans le ciel", en accordant un point parce que le mot "ciel" est bien orthographié, non seulement ne correspond nullement à ce qu'on appelle ici "positif", mais dépasse tout ce qu'on peut imaginer en matière de ridicule. Outre que la phrase est sans intérêt aucun, l'analyse laisse supposer que les erreurs sur "étoile" et "brille" n'ont plus à être des objets de travail, seule la note compte, et positive, s'il vous plaît !
Et les apprentissages alors ?
Je ne sais à qui on doit cet exemple, mais à sa place, j'irais consulter...
Cette manière de poser la question aboutit ainsi aux propositions, tout aussi ridicules, qui consistent à dorer la pilule, en remplaçant les notes par un code de couleurs, — ou par des lettres, comme en 68 — ce qui revient exactement au même, car on les interprète comme des notes. On découvre ainsi, dans les classes qui les pratiquent, des "vert plus", voire "vert plus, plus", comme il y avait dans les années 70 des "A plus", ou des "C moins", les professeurs convenant que "A" ou "vert", c'est à partir de 17 ; "A moins", entre 15 et 17, "C" ou "orange", équivaut à la moyenne etc. etc.
Stupide absolument. Indéfendable.

Le problème à résoudre, n'est pas "notes ou pas notes"; c'est celui de savoir comment on peut évaluer le travail scolaire.
Or, il est nécessaire, ici, comme dans tout autre travail, de pouvoir évaluer ce qu'on fait, pour vérifier si les objectifs visés ont bien été atteints, et dans quelle mesure. Il est clair qu'il faut pour cela, avoir une description précise des objectifs à atteindre, et des indicateurs précis prouvant qu'ils sont atteints. On aboutit donc à la question de savoir si une note chiffrée est un moyen d'effectuer la comparaison, entre ce que l'élève devrait savoir faire (les objectifs) et ce qu'il sait faire exactement (le résultat obtenu du travail d'enseignement).
Deux données, régulièrement oubliées, permettent de répondre négativement :
D'une part, pour chaque discipline, les choses à apprendre sont innombrables et d'une très grande diversité.
D'autre part, il s'agit d'enfants et non d'objets à façonner, d'être humains, dont les manières d'apprendre sont diverses, dépendantes de facteurs affectifs, de surcroît variables selon les moments.

La note qui se veut mathématique et prétend mesurer le savoir comme la hauteur d'un mur est absolument incapable de prendre en compte des variables aussi complexes. Alors on les oublie, et d'autant plus facilement que rien, dans les textes officiels, ne les précise, que les résultats attendus ne sont pas explicités, qu'on parle de "savoir lire", "savoir écrire" sans jamais préciser ce qu'on entend par là, que les compétences attendues ne sont jamais décrites dans les programmes en termes de comportements observables, ce qui interdit de trouver des indicateurs de réussite, alors, il ne reste que la pifométrie la plus pure pour évaluer : on colle une note qui dépend de l'humeur et de la digestion du correcteur, pour faire croire, et pour croire soi-même qu'on a évalué... quoi, on ne sait pas trop. La note est parfaite pour cela : elle donne l'illusion du sérieux alors que tous les travaux démontrent que rien de fiable, jamais, n'est apporté par elles, même avec un barême, même avec des critères prétendument sérieux.

Que faire alors ?

La réponse a déjà été donnée, et par plus d'un (1). Je vais donc redire ici ce que je disais il y a deux ans :

D'abord, il faut redire qu'à l'école, l'évaluation ne doit pas être celle des élèves, mais celle de leurs progrès. Elle n'est même pas celle de leurs savoirs : car ce qu'ils savent (du moins ce que savent les "bons") vient la plupart du temps d'ailleurs, et très peu de l'école. C'est en visant les progrès qu'elle peut et doit être positive, justement comme le souhaite le ministre : il ne s'agit pas de contrôler si l'enfant sait tout ce qu'on veut qu'il sache, mais de repérer ce qu'il a appris de nouveau depuis la dernière fois. Abordée ainsi, il ne peut plus exister d'évaluation négative.

Ensuite qu'il ne peut s'agir que d'une évaluation formative et donc participative. L'évaluation sommative, qui est certificative et finale, n'a pas sa place à l'école ; elle est à la charge de l'Institution sociale pour mesurer les compétences acquises (à l'école ou ailleurs) nécessaires à l'entrée dans d'autres cycles d'études puis dans la vie professionnelle. Mais l'école, elle, dont la charge est de faire acquérir les savoirs institutionnellement requis, nécessaires à la construction d'une vie adulte de citoyen libre, n'a à évaluer que le résultat de son propre travail, jamais achevé jusqu'à la fin de la scolarité obligatoire. Seule donc est cohérente avec la mission de l'école, l'évaluation formative, qui s'accompagne nécessairement de prises de décision collectives concernant le travail qui reste à faire et la manière de le conduire, et qui ne peut être que "participative".

Enfin, et pour éclairer l'adjectif "participative", rappeler qu'on n'évalue pas un enfant, de l'extérieur, comme un objet. Il doit être associé à ce qui le concerne et avoir droit à la parole. D'où l'importance essentielle de la régulation, qui seule, confère le caractère "participatif" indispensable à une évaluation scolaire, permettant la prise en compte, non seulement de ce qui a été compris et appris par chacun, mais aussi du ressenti affectif éprouvé durant ces apprentissages et de confronter sur tous ces points les trois regards nécessaires, celui de l'enseignant, celui de l'élève lui-même et celui des pairs.
Ces régulations, rares mais régulières, constituent en fait l'essentiel de l'évaluation. Elles doivent donner lieu à un rapport écrit, synthétisant ce que chaque élève a appris depuis la précédente régulation, rapport remis aux parents, qui se trouvent ainsi infiniment mieux informés des progrès de leur enfant, qu'avec une note qui ne représente rien..

Cela s'appelle la démocratie à l'école et l'instruction civique par le vécu.
C'est tout à fait possible au prix d'un petit travail de bon sens. Mais c'est surtout urgent. Je suis profondément convaincue que, si difficile que cela paraisse, c'est le prix à payer pour éviter l'explosion de l'école, et sa disparition, au profit des cours sur Internet et des applications sur smartphones, évidemment réservés aux nantis...


(1) voir le site de Charles Pepinster : http://www.panote.org