Je pense qu'il convient d'abord d'apprécier le petit semblant d'ouverture dans l'énoncé : socle commun de connaissances, de compétences et de culture.
La culture serait de retour, on ne peut qu'être satisfait.
De fait, le mot — sinon la notion — de "culture", ce que rappelle C. Lelièvre qui y voit malicieusement une "curiosité", a pratiquement toujours été présent pour parler de ce socle : sa première apparition se trouve dans les propos de VGE en 1981 lors de sa campagne présidentielle, où l'on trouve l'affirmation de la nécessité d'une "culture commune à tous les Français". On le retrouve en 1994 dans le discours de Luc Ferry :
C’est dans l’optique d’une démocratisation réussie de notre système d’enseignement qu’il convient de réaffirmer la volonté de transmettre à tous une culture commune, un socle de compétences théoriques, réflexives et pratiques fondamentales.
On a de fait des raisons de penser qu'il ne s'agissait que du mot quand on voit la dimension culturelle, proche de zéro, des programmes 2008.
Certes, le mot est de nouveau présent dans la loi d'orientation de 2013 : La scolarité obligatoire doit garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l’ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité.
Les propos ministériels permettent-ils d'espérer qu'il puisse s'agir enfin de la notion avec tout ce qu'elle implique ?

Ceci dit, il n'en reste pas moins que, pour moi, la notion de "socle" s'associe mal avec celle de "compétences" et plus mal encore avec celle de "culture commune".
Un socle, c'est par définition lourd, compact, massif et inébranlable. Et si on croit assouplir la notion par l'annonce qu'il sera ouvert à des adaptations diverses, notamment en ce qui concerne la "culture", on installe une contradiction interne gênante : un socle qui bouge, est-ce toujours un socle ?
Mais le plus gênant, c'est qu'il est présenté comme devant être "commun".
Commun à qui ? demande C. Lelièvre, qui ajoute :

On ne saurait trop insister sur le fait que le texte du décret de 2006 souligne que la logique même du socle commun (conçu comme ce qu’il est indispensable de maîtriser) implique que les grandes « compétences » ne sont pas compensables : le socle est certes fait aussi pour les élèves faibles, mais également pour les élèves moyens ou bons (qui peuvent avoir des « lacunes » importantes dans telle ou telle compétence, mais qui, dans ce cadre, ne peuvent pas — et ne doivent pas — être compensées par des « excellences » dans telle ou telle autre, puisque toutes les grandes « compétences » sont conçues comme indispensables). Il y va de l’affirmation même de l’instruction obligatoire et de l’école obligatoire, si l’adjectif "obligatoire" a véritablement un sens. Et c’est bien en cela que l’adjectif « commun » est capital.

En effet, si on considère les grandes compétences comme non compensables, se pose alors immédiatement la question des possibilités des élèves, considérées implicitement comme différentes en valeur et en qualité : il y a des élèves faibles et d'autres qui ne le sont pas.
Or, c'est justement là que la question se pose et si l'on continue sur cette base, adieu toute véritable refondation de l'école !!
Je crois qu'il est vraiment temps de secouer et d'abandonner ce présupposé. Ce n'est pas ainsi que les choses se passent. Les différences entre enfants ne sont pas des différences de qualité, mais des différences de vécu, d'expériences, de rencontres, des différences de "chance". Aucun n'est MIEUX (ou moins bien) que les autres. Un enfant qui vit dans un milieu dit "défavorisé" n'est pas moins bien qu'un autre, il est AUTRE, ses savoirs sont autres. Et puis "défavorisé" est loin d'être clair, et ne concerne sûrement pas seulement la misère financière : je connais pas mal d'enfants affectivement défavorisé dans des familles où l'argent ne manque pas.
Si l'on ne prend pas en compte cette réalité, si l'on refuse de voir dans les différences entre enfants des richesses à partager, rien de nouveau ne pourra être envisagé : on continuera de faire du soutien personnalisé aux élèves en difficulté, en dépensant des sommes énormes pour trouver les maladies qui les accablent, et l'on continuera de chercher des rééducateurs pour tous les "dys" dont ils sont atteints... On jugera les possibilités des élèves à l'aune de leur milieu familial, et on n'arrêtera pas d'imposer, sous forme de discours, des "savoirs" venus d'en haut à des élèves qui n'en voient pas l'intérêt... L'ennui pourra poursuivre sa floraison dans les classes où le socle des choses qu'il faut absolument savoir, sans qu'on sache pourquoi continuera d'écraser la vie et le plaisir d'apprendre.

Autre question qui gêne : affirmer qu'il devrait exister un socle commun de compétences à faire acquérir aux élèves, et qui définiraient le travail des enseignants, c'est oublier, me semble-t-il, ce que signifie apprendre, comment cela fonctionne, et de quelle nature est la relation entre ce que l'enseignant enseigne et ce que l'enfant apprend.
Les compétences ne peuvent pas être ce que l'enseignant enseigne : ce qu'il peut enseigner, ce sont des SAVOIRS (conceptuels et opératoires). Les compétences, elles, sont ce que les enfants font des savoirs qu'on leur enseigne. Elles sont, en quelque sorte, le miel personnel que fabrique chaque enfant en associant les savoirs apportés par l'école aux savoirs qu'il avait avant, et elles sont forcément différentes d'un enfant à l'autre pour un même enseignement.
Personne n'a vraiment appris ce que l'enseignant a enseigné. Simplement, ce que l'enseignant leur a enseigné, les choses nouvelles qu'il leur a fait découvrir, ont fait bouger ce que les élèves (et quel que soit leur âge) savaient ou croyaient savoir, qui s'est trouvé transformé, et non remplacé.
C'est pourquoi les compétences construites par chaque élève, après un même enseignement collectif (en petit ou grand groupe) sont naturellement différentes d'un élève à l'autre.
Il semble donc bien difficile de définir un "socle de compétences" qui serait commun à tous les élèves.
C'est autrement qu'il faut poser le problème.

Au fond, ce qui doit être commun à tous, ce ne sont peut-être pas les compétences des ÉLÈVES, mais les SAVOIRS qu'on leur apporte pour qu'ils en fassent des compétences personnelles. Le socle commun, c'est le buffet que l'école propose à leur consommation de culture, et qui doit TOUT contenir. Loin de différencier les savoirs à enseigner, il faudrait qu'ils soient tous à la disposition de tous. Et la tâche essentielle de l'enseignant, c'est alors de voir, par le truchement de projets de vie, dans lesquels les élèves sont impliqués SOLIDAIREMENT, ce que chaque élève en a pris et ce qu'il en fait.

C'est tout le regard porté sur le travail d'éducation qu'il faudrait changer. Non plus attendre un résultat donné que l'on juge en terme de "acquis", "non acquis", "envoie d'acquisition", mais des directions de transformations et de progrès, nécessairement différentes d'un enfant à l'autre, vécues à plusieurs, que l'enseignant devrait être capable de repérer, caractériser, encourager et enrichir.
L'enseignant n'a pas à exiger que les enfants sachent ceci ou cela, mais à observer et mesurer ce qu'ils ont retenu de ce qu'il leur a apporté, comment ils l'ont retenu, et ce qu'ils en ont fait. Et ce, de manière à pouvoir constamment réajuster le tir en rajoutant une couche ici ou là, sur ce qui ne semble pas avoir "pris", ou en déléguant au travail d'équipe la tâche d'y revenir. C'est ce qu'on appelle une évaluation formative, qui ne peut être traduite ni par une note, ni par une lettre.

Reste la notion de "Culture commune", véritable sujet de thèse, allègrement évoquée, sans états d'âme, par plus d'un qui ne voit pas le centième des problèmes que pose cette formule. Pour moi, c'est avant tout le titre d'un livre (2) extraordinaire, publié en 2000, dans une indifférence quasi générale, et bien oublié aujourd'hui, notamment par ceux qui brandissent l'expression. Ouvrage remarquable, collectif, coordonné par Hélène Romian, où l'on trouve, parmi d'autres, les noms de Jean-Pierre Astolfi, Fancine Best, Paul Goirand, Gérard Vergnaud et Claude Lelièvre. Il y est question de culture des cultures, qui refuse la référence à une pensée unique, culture du sens, une culture scolaire qui parlerait à tous ; une culture maximale, de haut niveau, exigeante, qui a l'ambition encyclopédique d'exprimer la substantifique moelle de la connaissance humaine.
On pourrait le relire... Enfin, commencer par le lire : on y trouverait plus d'une réponse aux question qu'on se pose aujourd'hui. On aurait pu le proposer comme base de réflexion pour la consultation annoncée.

Le seul véritable socle à définir, c'est celui des exigences culturelles qu'une école devrait avoir envers elle-même (et non envers les élèves), d'une vraie école, humaniste, bienveillante, riche et belle, pleine d'enthousiasme et de joie, une école où tous les enfants apprennent, parce qu'on fait ce qu'il faut pour cela, une école où la chance des uns pourrait être partagée par tous.
Bref une école profondément "libératrice", comme l'affirmait le titre d'une célèbre revue pédagogique qui berça mon enfance — un adjectif que l'école ne mérita pas souvent.

(1) Le lien du site du Café : http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/09/23092014Article635470538901323713.aspx
(2) Hélène Romian, coord. : Pour une culture commune. Institut de recherches de la FSU. Hachette Education Paris 2000