Examinons cette proposition assortie de ses attendus.

Le très sérieux (mais si !) Conseil International de Langue Française (le CILF, pour les intimes), assisté de l' EROFA, « Études pour une rationalisation de l’orthographe française » présente ainsi la chose :

Les difficultés de l’accord du participe passé (en abrégé PP) sont notoires. Des enquêtes ont montré que les professeurs de français y consacrent environ 80 heures de théorie et d’exercices au cours d’une scolarité ordinaire. Ce ne serait qu’un moindre mal si le succès couronnait l’entreprise. On en est loin. Face aux manquements qui abondent dans les copies d’élèves et dans la bouche ou sous la plume de leurs ainés, des voix réclament d’un peu partout une remédiation.

Ils soumettent à cet effet aux Autorités gouvernementales et aux Instances de la Francophonie trois propositions :

1° Les PP employés sans auxiliaire et les PP conjugués avec l’auxiliaire être s’accordent avec le mot ou la suite de mots que l’on trouve à l’aide de la question « Qui ou qu’est-ce qui est (n’est pas) PP ? ».
2° Les PP des verbes pronominaux pourront s’accorder avec le mot ou la suite de mots que l’on trouve à l’aide de la question « Qui ou qu’est-ce qui s’est (ne s’est pas) PP ? » augmentée des éventuels compléments du verbe.
3° Les PP conjugués avec l’auxiliaire avoir pourront s’écrire dans tous les cas au masculin singulier.


Je ne sais ce qu'en penseront les élèves, mais je peux dire, d'ores et déjà, que plus d'un adultes, enseignants ou non, se demandent où est la simplification ! Quant aux questions censées permettre de savoir avec qui s'accorde le PP, on reste confondu par l'infantilisme du procédé, au sémantisme obscur, qui renvoie aux grammaires d'avant la guerre de 14...
Pour y voir plus clair, quelques questions appellent des réponses :
* Pourquoi le participe passé ? Est-il la clé de l'orthographe ?
* L'idée de changer la règle est-elle une bonne idée ?
* En quoi les propositions sont-elles de nature à aider les élèves ?
* Que faut-il changer pour aider les élèves à utiliser efficacement la langue de l'écrit, notamment ses aspects orthographiques ? Etc.

1- Pourquoi le participe passé ?
Il existe suffisamment d'études statistiques des erreurs commises par les élèves, pour affirmer que s'il n'y avait que le participe passé comme source de difficultés, on pavoiserait à l'école !
Les vraies difficultés, c'est démontré depuis fort longtemps, résident ni dans les doubles consonnes, ni dans les accords, fussent-ils ceux des participes passés, mais dans tout le système verbal français. Les diverses formes de celui-ci sont en effet homophones à l'oral, ce qui n'a rien de gênant en situation directe, mais si, à l'écrit, elles devenaient semblables entre elles, le texte deviendrait illisible : les marques orthographiques y jouent à plein leur rôle de "marqueurs de sens". C'est pourquoi aucune "simplification" orthographique du système verbal n'est possible. De ce fait, les propositions existantes n'apportent aucune facilitation aux élèves.
Et ceux qui objectent : "les simplifications proposées sont déjà mieux que rien", sont des gens qui pensent que poser les pansements à côté des plaies, c'est déjà les soigner... Pas étonnant si les patients ont toujours mal. La question du participe passé n'est au fond qu'un fantasme récurrent, symbolisant l'orthographe française à elle toute seule. Je pense, qu'en tout cas, cela devrait se soigner.

2- Le fonctionnement de l'orthographe française est-il une affaire de règles, et la formulation de celles-ci joue-t-elle un rôle dans la maîtrise de l'orthographe ? ?
Quand se décidera-t-on à comprendre qu'une langue est un phénomène social de masse, dont le fonctionnement est régi par un maître puissant, plus puissant que tous les potentats politiques ou scientifiques, l'USAGE de la Société, qui résiste à toutes les tentatives individuelles ou collectives pour le réguler, et qui gère à sa façon, imprévisible, les diverses modes qui prétendent en modifier l'apparence ?
Les règles du français, comme de n'importe quelle langue, sont des règles de fonctionnement, qui ne S'APPLIQUENT PAS, mais avec lesquelles on JOUE.
Pour construire la maîtrise de ce formidable outil de communication et d'expression, et comprendre comment ça marche, il faut OBSERVER cet usage et l'ANALYSER pour dégager ces règles, toujours relatives et dépendant des circonstances de la communication. Grammaire et orthographe sont des sciences d'observation, et d'observation EN SITUATION d'utilisation.
Donc l'idée de changer la règle est une profonde absurdité : le problème est ailleurs. Quant aux formulations de celles que proposent le CILF et l'EROFA, elles sont proprement ahurissantes : absurdes du point de vue pédagogique, ignorantes du point de vue linguistique, elles aggravent en fait les difficultés.
Quelques exemples, pour le plaisir :
Usage actuel : Les musiciens que j’ai entendus jouer ; modification proposée : Les musiciens que j’ai entendu jouer ,
Les auteurs oublient que cette orthographe existe depuis toujours, pour traduire une légère différence d'interprétation de l'événement, sans importance essentielle.
Autres exemples :
Usage actuel : Ils se sont menti ; proposition nouvelle : Ils se sont mentis
Usage actuel : Elle s’est lavé les cheveux ; proposition nouvelle : Elle s’est lavée les cheveux.
Ici, lavés ou pas, les cheveux se dressent sur la tête du lecteur ! On est en train de modifier complètement les relations qui unissent les mots et rendre toute justification impossible.
On notera également que la prétendue simplification consiste ici à ajouter des marques, là où l'usage n'en mettait pas : comme SIMPLIFICATION, on peut faire mieux !

3- Que faut-il changer alors ?
Pour moi, deux choses et surtout pas les règles :
* Assouplir le regard des enseignants et la raideur imbécile des jugements. L'orthographe traduit le sens (et non la prononciation, laquelle varie d'une région à l'autre de la Francophonie) : donc, si le sens n'est pas affecté par l'erreur d'orthographe, on peut tolérer "ils se sont mentis". Il y a longtemps que des tolérance existent, qui ne sont, heureusement, que des tolérances, destinées à secouer un peu l'intégrisme de beaucoup d'enseignants, pour qui la loi, c'est la loi... Sauf qu'en la matière, il ne s'agit en rien de "lois".
Aussi serait-il scandaleux d'obliger ceux qui ont l'habitude d'écrire "ils se sont menti" — et qui savent pourquoi — à écrire ce participe avec un "s", ce qui est un non-sens grammatical : le verbe "mentir" étant intransitif, personne en peut mentir qui que ce soit !

* Enseigner autrement l'orthographe, et ce, dès le CP, en abordant la lecture sur des écrits qui incluent le rôle de l'orthographe. Un des plus grands dangers des méthodes (syllabiques ou non), qui focalisent l'attention des enfants sur la relation lettres/sons, c'est qu'elles font entrer les enfants dans un écrit d'où l'orthographe est absente. Sauf pour les enfants qui vivent dans un milieu où l'écrit est vivant, et qui vont découvrir chez eux le véritable fonctionnement de cette "autre" langue, ce démarrage est une catastrophe extrêmement difficile à réparer, tant au plan des apprentissages langagiers qu'au plan psychologique : pour eux, en effet, l'orthographe n'existe pas et ne sert à rien, et lorsque, subitement au CE1, on leur affirme comme une évidence qu'il faut la prendre en compte quand on écrit, et qu'on mérite un mauvaise note quand on se trompe sur l'orthographe des mots, cela leur tombe dessus de la manière la plus arbitraire et la plus injuste qui soit. D'où les comportements de refus bien connus, des comportements d'enfants traumatisés : les méthodes ne se contentent pas de mal enseigner la lecture, elles traumatisent les petits, et handicapent par avance leur maîtrise de l'écriture.

Ensuite, à partir de là, il faut installer des situations d'observations dirigées du rôle des lettres dans l'identification des mots et la compréhension des textes qui ont été travaillés en lecture. Les enfants en dégageront des constats qu'ils érigeront en règles, toujours provisoires, ouvertes à des réajustements ultérieurs au fur et à mesure de leurs rencontres langagières.
Pour revenir à l'exemple du participe passé, il s'agit d'organiser des séances autour des éléments qui jouent un rôle dans l'orthographe de ce type de mots, et qui seront découverts un par un : à l'aide d'un corpus constitué à partir de textes lus antérieurement, où des participes, soulignés pour être facilement reconnus, ont des marques orthographiques diverses, l'enseignant va donner comme consigne de formuler ensemble des hypothèses expliquant ces variations. Chaque séance est focalisée sur un seul de ces éléments (on ne court pas trente-six lièvres en même temps) :
* Celui de l'auxiliaire qui l'accompagne.
* Celui de la pronominalisation du groupe complément du verbe,
* Celui du type de déterminant qui accompagne ce complément (un déterminant défini —le, ce, mon, — entraînera une pronominalisation en le, la, les, alors qu'un déterminant indéfini, entraînera une pronominalisation en en : "ce livre, je l'ai lu" ; "des livres, j'en ai lu beaucoup".
* Celui du caractère direct ou indirect du complément : Ils les ont écoutés / ils leur ont obéi ; Ils se sont retrouvés / ils se sont menti.
* Plus tard (fin CM2) on découvrira le rôle des pronoms relatifs dans cette histoire : Ils ont relu les lettres qu'ils s'étaient envoyées... On pourra alors formuler ensemble une règle générale, regroupant tout ce qui a été observé.

Rien de tout cela n'est difficile, dès l'instant où l'on est là pour observer et s'amuser à en tirer des constats et des règles, et surtout pas pour les "appliquer avec notes à la clé aussitôt après" : ce qui gâche tout, c'est cette suite-là, inutile, antipédagogique et anti psychologique. Tout ceci — et beaucoup plus — se retrouve dans un petit ouvrage que j'ai commis pour les éditions Chronique Sociale de Lyon, où l'on voit que les enfants s'amusent avec l'orthographe qui, ainsi découverte, devient un jeu.

Mais, évidemment, si cela devient agréable, si l'on peut jouer avec, alors ce n'est pas sérieux — pire, cela devient dangereux... pour les fabricants de manuels.