On prête à Pascal (et à beaucoup d'autres, mais c'est lui qui semble l'auteur le plus probable), le nota-bene suivant au bas d'une de ses missives : "Je vous envoie une lettre un peu longue. Je vous prie de m'en excuser : je n'ai pas eu le temps de la faire plus courte."
C'est là une jolie excuse qu'on aurait intérêt à diffuser plus souvent.
C'est qu'il est difficile d'écrire court.
D'où (au passage) l'erreur de proposer "de petits textes simples et courts" aux enfants qui commencent à écrire. Quand on écrit en situation de communication réelle, on a tant de choses à dire pour être sûr d'être compris, qu'on est spontanément long. Et si l'on pense que des textes courts seraient plus faciles pour des enfants, c'est parce qu'on leur demande d'écrire "pour de faux", sans aucune nécessité sociale : c'est si peu motivant, et on a si peu d'idées, qu'ils ne trouvent pas grand-chose à écrire, et qu'on croit nécessaire de les obliger à en rajouter...

Pourtant, tous ceux qui ont à produire des écrits dans la vie sociale savent bien que ce qui leur est régulièrement reproché, c'est une longueur excessive. L'exercice n°1 auquel ils sont confrontés après l'envoi de leur manuscrit, c'est celui d'en supprimer un certain nombre de signes. Et ce n'est pas seulement pour des raisons économiques de place dans la revue, c'est aussi une question d'efficacité : un texte trop long n'est pas lu ou est lu en diagonale. Si bien que l'apprentissage de la production d'écrit consiste essentiellement à résoudre une énorme contradiction :
1- faire court, pour que le lecteur ne se lasse pas et lise jusqu’au bout ;
2- accumuler informations et précisions, pour faciliter la compréhension de celui-ci, en évitant ambiguïté et implicite.
Rien n'est plus fatigant qu'une contradiction à résoudre. L'école se garde donc d'en parler aux élèves : il faudrait réfléchir et trouver des moyens, définir une autre façon d'enseigner. Or, en général — et on en a confirmation ici — ce genre d'apprentissage ne figure pas dans les programmes.
Toutefois un détail demande à être précisé pour ceux qui auraient envie de me taxer de mauvaise foi. Le texte officiel dit exactement ceci :
Construction de phrases : amplification et réduction d'une phrase.
Outre qu'une phrase ne se construit pas, vouloir la réduire est aussi discutable que vouloir l'amplifier. Il ne s'agit pas de supprimer des informations ! il s'agit de les conserver en faisant plus court. Réduire n'est pas densifier. Les moyens à trouver sont donc des moyens de densifier l'expression.
Ils existent pourtant, et depuis longtemps (1).

Produire un texte, c'est commencer par choisir.
Produire un texte, c'est toujours faire sortir un objet dense, lourd et bref, d'un foisonnement luxuriant de données d'expérience ou de pensée. Les situations d’apprentissage et d’entraînement doivent donc être conçues comme des activités de resserrement et de concentration.
Sans doute, va-t-on m'objecter, mais les élèves ont-ils en eux ce "foisonnement luxuriant de données d'expérience ou de pensée" ?
Si on le leur demande, il est certain que non. Mais l'erreur vient justement de ce qu'on le leur demande. Il faut le leur fournir.
Et cela implique une nécessité constamment oubliée, celle de distinguer la production elle-même, de la fameuse "recherche des idées", régulièrement confondue avec la production, selon cette coriace habitude scolaire de se tromper d'objectif. Apprendre à écrire, c'est apprendre à METTRE EN TEXTE les idées qu'on a. Mais les idées en question ne font pas partie de l'objectif visé et donner un "sujet à traiter" n'a jamais été une consigne d'écriture digne de ce nom. Il faudrait cesser de mélanger des données qui ne correspondent pas aux mêmes compétences. Il est normal qu'un enfant n'ait pas beaucoup d'idées : il est là pour en acquérir !
C'est pourquoi, le premier temps d'une situation de production d'écrits, qu'elle soit ancrée dans des projets effectifs ou simulée, comme un entraînement ludique, est une collecte d'idées, de "choses à mettre dans le texte à produire", qui peut se faire collectivement en classe dans les petites classes, ou à partir d'enquêtes menées auprès de la famille, dont les résultats sont alors mis en commun en classe, sous la direction de l'enseignant, et notés pour être mis à la disposition des élèves. L'objectif ici est de leur offrir un ensemble d'idées largement supérieur à ce qu'ils vont utiliser, de façon à les mettre en situation de CHOISIR. Ecrire, c'est d'abord choisir ce qu'on va dire. Qu'il s'agisse d'une production de petits groupes ou individuelle, la première chose à faire, c'est le choix.

Quand la grammaire entre en scène...
Eh oui, c'est là qu'on découvre à quoi sert la grammaire : loin d'être une récitation de prétendues règles, la grammaire propose des transformations qui servent à produire des écrits.
Pour DENSIFIER L'EXPRESSION, le seul moyen consiste, en effet, à utiliser des transformations grammaticales, pour condenser les phrases qui viennent spontanément à l'esprit, lesquelles sont en général des formulations de l'oral.
Ces transformations se situent à la fois au niveau de l'organisation du texte et à celui des phrase :

* Au niveau de l’organisation du texte.
Pour rendre la lecture plus aisée, sans développements ni détours inutiles, une organisation de type logique est, dans la plupart des cas, préférable à l’organisation chronologique, celle du récit spontané oral, trop long et qui fait attendre les éléments essentiels. Il est plus sûr de présenter les informations selon leur importance et dans un ordre décroissant sur ce point. Présenter très vite ce qui est l’essentiel de la communication est en effet souvent un gage d’être lu. Mais il peut arriver aussi que le destinataire ait besoin d’être « préparé » à l’information en question : où l’on voit l’importance d’anticiper sa réaction possible, en prenant en compte ce qu’on sait de sa psychologie. Certaines personnes reçoivent très mal une information difficile ; d’autres, au contraire, tiennent à en être informés immédiatement.

* Au niveau des phrases.
Pour rendre l’information la fois plus complète et plus dense, le premier moyen est de rassembler les phrases auxquelles on pense, en les enchâssant dans les constituants de l’une d’entre elles — c’est-à-dire, pour utiliser le métalangage habituel, en les transformant en propositions subordonnées — pour obtenir moins de phrases, qui seront alors plus complexes. C’est en effet la principale caractéristique du fonctionnement de la langue des écrits que de présenter des phrases complexes, c’est-à-dire des phrases dont les constituants contiennent eux-mêmes des phrases enchâssées. L’oral n’en présente que très rarement.
Là où l’oral aurait dit :
«Pierre est arrivé ; il a salué les personnes présentes, puis il s’est dirigé vers le bar. Il avait très soif et il s’est servi un grand verre d’eau. », la traduction écrite sera plutôt quelque chose comme :
« Dès son arrivée, et après qu’il eut salué les personnes présentes, Pierre, qui avait très soif, s’est dirigé vers le bar où il s’est servi un grand verre d’eau ».
On remarque que l’auteur a choisi l’une des informations — ici le fait que Pierre s’est immédiatement dirigé vers le bar — pour inclure les autres phrases dans les groupes constituants de la phrase qui la traduit : le groupe sujet de cette phrase, Pierre, se voit enrichi d’une relative qui précise la raison de son action (qui avait soif). Une transformation nominale de la première phrase, (Pierre est entré) devient un complément de phrase qui traduit le moment de l’événement (dès son arrivée) ; une subordonnée conjonctive, également complément de phrase, permet de traduire la relation temporelle qui unit cet événement à l’ensemble des autres (après qu’il eut salué les personnes présentes). Enfin le verre d’eau servi est évoqué par une relative incluse dans le groupe du mot « bar » (où il s’est servi un grand verre d’eau).

Mais il va de soi qu’il aurait pu choisir un autre point de focalisation, et écrire :
Malgré sa soif, Pierre a tenu à saluer les personnes présentes dès son arrivée, avant de se diriger vers le bar pour y boire un grand verre d’eau. Ici l’auteur a choisi de mettre l’accent sur la courtoisie de Pierre.

L’autre procédé possible, à côté des transformations d’enchâssement, est la TRANSFORMATION NOMINALE des phrases, dont l’exemple précédent a déjà fourni une illustration (dès son arrivée au lieu de « Pierre est arrivé »). L’enchâssement a en effet comme inconvénient d’être lourd et d’alourdir considérablement le style. La transformation nominale est, sur ce point, infiniment plus légère et « économique » :
Si l’on dit à l’oral : « L’air des villes et même des campagnes est de plus en plus pollué ; c’est pour cela que la planète se réchauffe » ;
on écrit : La pollution de l’air, de plus en plus importante, en ville comme à la campagne, est responsable du réchauffement de la planète.
Lorsqu’elles en parlent (ce qui est rare) les grammaires courantes assimilent cette modification à une question de vocabulaire… Pourtant, comme on le voit, elle est loin de se limiter à une changement de vocabulaire : c’est toute la phrase qui est transformée, groupe sujet et verbe. Mais comme ceci n’est traité, ni même évoqué, dans aucune des grammaires courantes, ce type de transformation est parfaitement ignoré des élèves et de la plupart des enseignants. Il est urgent de combler cette lacune.

Un troisième procédé consiste à utiliser la mise en apposition, plus légère que la subordination : pour l’exemple cité plus haut, on aurait pu dire « quand il est arrivé… », la formule « dès son arrivée », qui utilise à la fois la transformation nominale et la mise en apposition, permet d’éviter une subordonnée de plus dans une phrase où il y en a déjà plusieurs.
Peuvent ainsi être mises en apposition des propositions participes : « Mourant de soif, Pierre, dès son arrivée, se précipita vers le bar pour se servir un grand verre d’eau, non sans avoir auparavant tout de même salué les personnes présentes. », mais aussi des adjectifs suivis ou non de compléments : « Fort assoiffé comme il l’était, Pierre salua rapidement les personnes présentes et se précipita… »

C’est ce type de travail, LUDIQUE, façon "monsieur Jourdain", mais en un peu plus complexe, accompagné de l'analyse indispensable, qu’il faut mettre en place avec les élèves, pour qu’ils apprennent à manier le fonctionnement écrit de la langue, à travers des activités de « transformation » des phrases orales qui viennent à l’esprit, transformations diverses qu’il s’agit d’expérimenter pour pouvoir choisir celle qui convient le mieux au projet d’écriture.
On est loin de l'enrichissement de phrases... Mais nettement plus près des compétences d'écriture, et je peux dire, pour l'avoir vécu, qu'un exemple comme celui qui est analysé ici est un vrai plaisir pour les enfants...
Ça, c'est du vrai changement à l'école !

(1) Ils apparaîtront, détaillés, dans un ouvrage qui devrait (peut-être) paraître chez ESF, en 2016, sous le titre "La leçon d'écriture"...