Où a-t-il été dit, dans la loi française, que le baccalauréat avait une fonction de sélection ?
C'est, certes, celle qu'il a dans l'opinion. Mais, que je sache, les dérives de l'opinion n'ont pas à être considérées comme des vérités : toute dérive doit être signalée et faire l'objet d'une alerte, non ?
Donc, revenons à la réalité du fonctionnement du système des examens et concours, volontiers associés dans les discours, alors qu'il s'agit d'événements très différents, dont les fonctions ne sont pas les mêmes.
La fonction de sélection, c'est aux concours qu'elle est dévolue. Leur but, c'est d'ouvrir la porte d'une formation professionnelle débouchant sur une profession précise, dont ils permettent de repérer les candidats ayant les compétences qu'elle exige. La sélection y est nécessaire, à la fois, parce que tout le monde n'a pas forcément les mêmes compétences, ni les même aptitudes à en acquérir, et parce que le nombre de postes ouverts est nécessairement limité.

Tout autre est l'examen. Or, le baccalauréat est un examen : comme pour tout autre "examen", sa fonction est d'être un "certificat de fin d'études". Il sanctionne un cycle d'apprentissage, dont il certifie qu'il a eu lieu, étant bien entendu qu'il doit être réussi, car il est nécessaire pour continuer dans les études. S'il se trouve qu'il ne l'est pas, pour des raisons diverses (maladie ou autres), on rajoute une année, pour qu'il le soit l'année suivante.
En fait, ce que l'examen certifie, c'est le travail d'apprentissages généraux, définis par le Pouvoir en place, auxquels, dans une démocratie tout citoyen a droit. C'est ce qu'on nomme dans nos textes officiels, d'un terme du reste discutable (et discuté) : le "socle des compétences requises".
Tout le monde doit l'acquérir : c'est l'enjeu de "l'école obligatoire" Un échec est un mauvais point pour cette partie-là du système éducatif français, car il révèle qu'elle n'a pas fonctionné comme il aurait fallu qu'elle le fasse.

J'entends d'ici un tollé de protestations qui s'élève, m'accusant de culpabiliser nos collègues, professeurs d'école et de collège...
Il n'en est évidemment rien : si cette école obligatoire n'obtient pas les 100 % de réussite qui définissent sa tâche, la responsabilité en incombe à une frilosité politique, qui se garde bien de fournir les moyens indispensables — notamment de formation pédagogique. Nos collègues font ce qu'ils peuvent, avec ce qu'on leur a appris. Heureusement pour eux, la tradition leur offre, pour les aider, deux portes de secours, bien appréciées :

1- Une ambiguïté commode sur la durée exacte de cette "école obligatoire". Dans l'état actuel de la loi, le véritable "certificat de fin d'études", c'est le brevet des collèges : l'école n'est encore obligatoire que jusqu'à la troisième.
Mais, depuis longtemps, des voix s'élèvent pour considérer qu'il est illogique de ne pas faire coïncider "obligation d'étude", et "majorité des jeunes". C'est ainsi que se sont rajoutées deux années à cette "école commune". Rajout bâtard et jamais clarifié, au nom d'une prétendue liberté de choisir "librement" d'arrêter ses études à 16 ans, comme si tout le monde n'était pas capable d'apprendre jusqu'à sa majorité.
On retrouve ici cette bonne vieille image des enfants, que le GFEN dénonce inlassablement, celle qui affirme que les enfants ne sont "pas tous capables" d'apprendre : c'est tellement plus reposant comme conception !

2- Mais la plus belle de ces portes de secours, où l'opinion publique s'engouffre depuis toujours avec enthousiasme, c'est la fameuse théorie de l'élève méritant. Avec elle, nulle culpabilité n'est plus à craindre.
On fait oublier la véritable mission de l'école (100 % de réussite), en faisant subrepticement glisser la responsabilité du résultat sur le dos de l'élève, par un génial tour de passe-passe moralisateur : c'est lui qui n'a pas fait ce qu'il fallait. On va y ajouter des arguments qu'on croit imparables : le milieu familial, les développements technologiques qui inondent les enfants et les empêchent de se concentrer, la vie étourdissante actuelle qui fait zapper constamment et tue la réflexion, etc. etc.
D'accord, sauf que la mission de l'école est précisément de prendre en compte ces facteurs nouveaux (ce qui, par avance, exclut tout retour à l'ancien !!).
Eh oui !! On se doit de prendre en compte les différences culturelles des milieux de vie des enfants, en leur apportant à l'école la culture qu'ils n'ont pas chez eux, et en évitant les devoirs à la maison qui transforment ces différences en échecs ; on se doit de leur apprendre à se concentrer et non de déplorer qu'ils ne le fassent pas ; on se doit de leur apprendre à "se poser" dans l'agitation actuelle, et d'apprendre la lenteur quand il faut la choisir, en organisant le travail en conséquences ; on se doit de débarrasser l'école de tout ce qui ne sert à rien dans les apprentissages, ces pratiques traditionnelles qui ne servent qu'à les "occuper" et non à leur faire acquérir des savoirs... etc. etc.

On le voit : cela impliquerait que la formation travaille AVEC la recherche en pédagogie, et que les étudiants des ESPÉ y soient associés, pour définir ensemble des hypothèses d'action d'enseignement qui soient en cohérence avec ces données diverses, nouvelles, qui rendent caduques les habitudes scolaires.
Au lieu de fournir tant de moyens aux neurosciences, dont on ne voit pas en quoi elles seraient de nature à pouvoir résoudre ces difficultés ; au lieu d'encourager l'innovation sauvage, et les "méthodes nouvellement anciennes", on ferait mieux de travailler sérieusement, en équipes pluri-disciplinaires et pluri-statutaires de chercheurs, formateurs et praticiens chevronnés et débutants, autour des questions posées par l'échec scolaire. Les causes en sont connues depuis des années, et de nombreuses propositions existent, intelligentes, rigoureuses et solides scientifiquement, déjà expérimentées (souvent depuis des années), qui mériteraient d'être approfondies, mais que le manque d'énergie politique laisse au dehors de la formation des enseignants.

Bref, au lieu de déplorer trop de réussites, se dire qu'il y a 11,5 % d'élèves sur le carreau, et que c'est inadmissible.
Sortir de la "constante macabre", qui n'est pas une fatalité ; se mettre à avoir un autre regard sur les élèves, avec la conviction qu'ils sont tous capables d'acquérir les savoirs sur lesquels se fondent dignité et liberté du citoyen, et se convaincre, en tant qu'enseignant, que, pour peu qu'ils aient été formés ainsi, tous sont capables d'obtenir ce résultat.