Il y a de quoi frémir quand on se renseigne quelque peu sur les affirmations phares de cette rentrée.

Par exemple, quand, reprenant à son compte l'annonce du Président, affirmée, sur le fondement d'une "étude de terrain incontestable" (selon les termes du site de l'Education Nationale), il prétend que la limitation à 12 du nombre d'élèves par classe de CP, est un moyen sûr de limiter l'échec scolaire.
je passe sur les conséquences désastreuses de cette décision pour les autres élèves, dénoncées par beaucoup et notamment le syndicat FSU de l'inspection : pour dédoubler les classes de CP, il faut prendre ailleurs les postes nécessaires !
Mais il me semble important d'apporter ici les précisions que rappelle Pascal Bouchard, dans l'édito de son site ToutEduc.
En réalité il s'agit d'un "réexamen des données de l'expérimentation CP à effectifs réduits" menée en 2002-2003 à la demande de Luc Ferry.
A partir de ces données, recueillies par la DEPP, le service statistique de l'Education nationale avait conclu à "un intérêt pratiquement nul" de ces classes de 10 élèves, ce que le chercheur conteste au terme de ce "réexamen". A l'époque, il n'avait pas publié les résultats de ce travail. Avec son collègue Laurent Lima, il les a repris en 2011 dans un article de controverse scientifique. Sur une vingtaine de pages, les auteurs y mettent en cause l'un de leurs collègues, Denis Meuret et les travaux de la DEPP, ils dénoncent surtout "les politiques" qui ne cherchent pas "à avoir les informations [scientifiques] les plus complètes possibles" : il s'agissait alors de Luc Chatel et ... de Jean-Michel Blanquer, directeur général de l'enseignement scolaire"
.
Sont-ce là des propos ayant "des assises scientifiques solides" ? .

Il importe donc d'essayer, pour y voir plus clair, de se libérer un peu de cette folie de l'évaluation, doublement absurde ici, puisqu'elle oublie qu'en sciences humaines, ce qu'est la pédagogie, l'évaluation des résultats d'une action ne peut avoir valeur de preuve, coincés qu'ils sont dans le présent, impossibles à généraliser, pour deux raisons au moins :
* il est impossible d'isoler le rôle d'un facteur (ici le nombre des élèves), de la multitude d'autres facteurs ayant pu jouer un rôle dans ces résultats ;
* la pédagogie s'adresse à des enfants, des êtres humains, dont l'environnement et les conditions de vie sont en constantes modifications, et dont les difficultés ne sont jamais les mêmes d'une année sur l'autre : tout enseignant sait très bien que ce qui a été efficace l'année passée ne le sera pas cette année, et qu'il faut tout réadapter aux élèves hic et nunc.
Et comme beaucoup d'enseignants (pas tous heureusement) ressortent chaque année les même fiches, c'est là une hypothèse d'explication de ce que le "niveau" des élèves leur semble baisser...

Il semble au contraire, quand on réfléchit en s'appuyant sur ce qu'est un apprentissage, et si l'on admet qu'apprendre s'effectue à partir de recherches actives menées en groupes solidaire et hétérogènes, sous le direction de l'enseignant, qu'un nombre d'élèves trop restreint soit plutôt un handicap. Je connais beaucoup de collègues qui m'ont avoué en avoir souffert, parce qu'un petit groupe est peu riche et a tendance à tourner en rond. Cela m'est arrivé personnellement et je sais combien on rame dans cette situation, si l'on tient à faire autre chose que des explications magistrales.
Pour un enseignant, qui aime son métier, avoir à l'exercer en tant que précepteur d'un ou deux enfants, est sûrement ce qui peut lui arriver de pire. En fait, le seul intérêt d'avoir nombre restreint d'élèves, est qu'on peut plus facilement les surveiller pendant qu'ils écoutent le discours du maître.
On voit bien que notre ministre n'a pas fait autre chose de toute sa vie d'enseignant.

Autre oubli — faisons-lui la grâce de ne pas penser qu'il s'agit d'une ignorance !
Dans son interview à l'OBS, notre ministre parle étourdiment du CP, comme "l'année où l'on apprend à lire, écrire et compter", pour ajouter un peu plus loin, cette prophétie émouvante : "Si, dès juin prochain, les enfants des quartiers populaires sortent tous du CP en sachant lire, écrire et compter, je pense que ce sera un vrai facteur de confiance et un pied de nez à tous les fatalistes"...

On est pris de vertige en lisant de tels propos : aurait-il oublié que le travail est OFFICIELLEMENT organisé par cycles ? Que l'apprentissage du lire/écrire/compter n'a à être évalué qu'à la fin du CE2, et qu'en tout état de cause, cela ne saurait changer d'ici quinze jours ?

Pourrait-il ignorer que l'on sait — scientifiquement — qu'il est impossible d'apprendre à lire, écrire, compter en un an, ce que des chercheurs aussi solides que Jean-Pierre Changeux et son équipe, ont démontré et expliqué depuis fort longtemps ?
N'a-t-il jamais lu une ligne de ce que publient les linguistes quand ils énumèrent les notions et concepts à construire pour ces trois apprentissages, évidemment incompatible avec les possibilités d'un enfant de six ans ?
N'a-t-il jamais entendu parler du fait qu'un apprentissage ne peut "prendre" que si l'on s'appuie sur les savoirs-déjà-là des enfants ?
Ne sait-il pas ce qu'est un enfant ?
Ignore-il ce qui se passe quand on le prend à rebrousse-poils de son fonctionnement psychologique, avec un démarrage à zéro, totalement étranger à ce qu'il sait déjà de la lecture, partout vivante autour de lui depuis sa naissance ?

Enfin, après tant d'années de controverses et de publications de travaux sur cette question, comment peut-il encore en être à l'opposition "syllabique/global", et peut-il encore oser affirmer que la "méthode globale a eu des résultats, tout sauf probants" ?
Où sont les preuves scientifiques de ce qu'il avance ?
S'agit-il du Ministre de l'Éducation Nationale, ou d'un quidam de la rue ?

Elle va être rude, la rentrée.