Titre courageux incontestablement, car la tâche paraît rude, quand on voit ce qui est enseigné...

Beaucoup plus moderne que la Méthode Boscher de 1906, qui se contentait d'enseigner tout bêtement les lettres avec leur son y afférent, la méthode de la doctoresse, ajoutait, dès 1949, une dimension motrice particulièrement originale et astucieuse. Non contente d'associer les lettres aux sons, au point de les confondre complètement, elle avait eu l'idée d'ajouter des gestes figurant l'un et l'autre, de façon originale.
Destinée à l'origine aux enfants sourds, considérés alors comme "anormaux", voire débiles, elle eut un tel succès qu'elle fut rapidement conseillée à tous les enfants, — encore aujourd'hui : un article du Figaro, datant de 2016 en fait l'éloge, soutenu en ce sens par Franck Ramus, dont je ne peux résister au plaisir de citer les propos, tant ils sont, pour les enseignants, rassurants et convaincants :
«La méthode syllabique a fait ses preuves, mais il faut surtout que ce soit une «méthode phonique», qui associe la lettre et le son. Il ne faut pas juste faire confiance aux enseignants, il faut surtout les former correctement avant de les envoyer dans les classes. Sans formation adaptée, il ne faut pas s'étonner s‘ils arrivent dans les classes sans savoir quelle méthode utiliser».
C'est ce qu'on appelle un propos de bon sens.

Voici un avant goût des tableaux de gestes, tels qu'ils apparaissent dans le livre du maître nouvelle version.



Avec elle, la leçon de lecture devient une activité complète : autant physique que mentale — avec un "plus" net sur le physique : ainsi, la réflexion peut-elle prendre un peu de repos.
On aura noté la grande modernité de ces nouvelles images qui utilisent les signes de l'API !
Cette irruption d'actualité constitue un énorme progrès par rapport à la version originale, beaucoup plus classique :




Il faut reconnaître que c'était déjà pas mal ! La "page à lire" notamment, — et avec les gestes — reste remarquable d'intelligence et d'ambition culturelle.

Et comme il faut se montrer à la page, on trouve aussi dans cette version nouvelle comme un petit air des Alphas :



On est sans voix devant tant d'intelligence, un goût si sûr, une ambition culturelle si affirmée.
Ainsi le panel des méthodes modernes de lecture est-il maintenant complet, permettant aux collègues plus ou moins désemparés un choix intéressant d'activités aux saveurs diverses : fiction déjantée avec la Planète des Alphas, entraînement de la mobilité des bras et des mains avec la doctoresse, nostalgie de l'avant-guerre de quatorze, avec Boscher, entrée colorée, voyelles roses, et consonnes bleues, le tout enrobé de gris, avec Léo et Léa... Vient ensuite un cortège d'œuvres moins prestigieuses, mais tout aussi appréciées : Mico petit ours, Méthode Fransya de G. Weinstein-Badour, Méthode Jean qui rit, et des héros aux noms variés, seuls ou en couple : Salto, Mamadou et Binetta, Sami et Julie, Téo et Nina, Nounours et ses amis, etc.

OÙ EST LA LECTURE, DANS TOUT ÇA ?

De fait, quand on se promène sur les sites de ces ouvrages, on n'a plus vraiment envie de rire et la moquerie s'étrangle : les collègues sont très nombreux à les utiliser, ravis et sans aucun état d'âme; ils y échangent leurs impressions et leurs trucs, dans une charmante convivialité, très efficace.
Comment est-il possible qu'ils ne voient pas à quel point cela ne ressemble ni à leur propre lecture, ni même, aux prémisses de celle-ci ?
Comment des enfants qui sortent d'une année de ces agitations étranges, peuvent-ils aborder en CE1, les énoncés de problèmes et les leçons à apprendre sur les résumés dictés par l'enseignant ? Comment peut se faire le passage ?

On connaît la réponse : ils n'ont pas à le faire. Ils lisent chez eux sur leurs livres personnels et jouent à faire "gr" ou "zzzz"en classe, quand le maître le demande et pour lui faire plaisir. Et ce, d'autant plus que ces "méthodes" sont conçues pour amuser les enfants et les tromper sur ce qu'est le véritable "plaisir de lire" : ce sont des jeux !
Mais comment les collègues peuvent-ils ne pas ne s'en rendre compte ?
Une fameuse gifle pour les formateurs-chercheurs que nous avons été, qui cherchent désespérément où a été l'erreur.

Alors, je viens demander à ceux qui défendent ça, de me dire quand et où, les enfants — et quels enfants ? — vont pouvoir, avec de tels contenus acquis, devenir des lecteurs performants, ayant appris à :
1- passer efficacement de la lecture du problème de maths à celle d'un poème de Verlaine, d'une fiche de techno à une BD de Fred, et d'un roman de Mourlevat, à la feuille de déclaration des revenus imposables ;
2- effectuer les opérations mentales de la compréhension : identification des types d'écrits, mise en relation de données éparses dans le texte, raisonnement, anticipation, vérification des interprétations premières, etc.
3- interpréter les données spécifiques de la langue des écrits : marques orthographiques, formes verbales inusitées à l'oral, organisations syntaxiques liées aux besoins de densification du discours et ignorées de quiconque ne lit pas, vocabulaire technique, etc.
4- utiliser la documentation papier et numérique, pour réaliser ses projets ;
5- maîtriser la peur de la quantité à lire ;
6- passer outre l'aspect rebutant d'un écrit, et le lire quand même, sachant que c'est sans doute pour empêcher qu'on ne le lise...

Et il y en a d'autres...

J'avoue avoir du mal à comprendre un engouement si paradoxal... À moins que ce ne soit en fait prévu ainsi, pour le meilleur des mondes possibles.