C'est extrait du "Journal des Instituteurs" en date du 25 septembre 1910.
Un article signé LOUIS LE CHEVALLIER, INSPECTEUR D’ACADÉMIE.

«On ne rit guère à l’école, et les étrangers qui volontiers nous taxent de légèreté et d’une gaieté parfois intempérante en jugeraient autrement, sans doute, s’ils savaient de quelle manière nous entendons et pratiquons l’éducation des enfants.
Il fut un temps, pas bien éloigné d’ailleurs, où le maître d’école eût perdu tout prestige, s’il ne s’était montré revêtu à toute heure d’une longue lévite, tenant en main la fumeuse férule, dont j’imagine pourtant qu’il se servait beaucoup moins que certains ne le voudraient faire croire. L’aspect des salles d’école était d’ailleurs en harmonie avec la physionomie quelque peu rébarbative du maître ; c’était triste, pauvre et froid à donner le frisson.
Certes, il n’en va plus de même aujourd’hui. On a bâti un peu partout des écoles neuves où l’air et la lumière circulent librement. On s’est même efforcé, tout au moins dans un certain nombre de communes, d’en rendre l’architecture attrayante et agréable à l’œil. La classe est décorée de cartes, de tableaux. L’instituteur s’est transformé ; il a dépouillé la vieille redingote. Il a pu, sans crainte de se compromettre, s’habiller comme tout le monde. On ne saurait non plus lui reprocher un excès de rigueur ou de sévérité.

Mais ce qui change plus malaisément, c’est la vieille conception du rôle attribué à l’école et des règles qui doivent présider à l’éducation de la jeunesse. On a dit, non sans raison, que la discipline de l’Université, née dans les monastères, réorganisée par l’Empire, avait conservé la double empreinte du couvent et de la caserne. L’école primaire semble avoir elle-même subi quelque peu cette influence, et cela suffit sans doute à expliquer le caractère plutôt morose dont elle a tant de peine à se dépouiller.
Eh bien, dussé-je étonner et scandaliser quelques-uns, je déclare qu’à mon avis c’est là chose fâcheuse, aussi contraire à la droite raison qu’à la nature même. Je prétends que l’éducation devrait se faire non seulement douce, mais souriante. Et par là j’entends tout à la fois l’enseignement et la discipline. Je demande qu’à l’école, l’enfant, au lieu de désapprendre le rire et la gaieté, contracte l’habitude d’envisager la vie avec confiance et bonne humeur. Je voudrais qu’il y vînt avec plaisir, d’abord parce qu’il y reviendrait plus fidèlement et ferait en sorte d’y demeurer le plus tard possible ; ensuite, parce qu’il en tirerait plus de profit et de meilleures leçons pour la vie.
Car on ne fait bien que ce que l’on fait de grand cœur, et ce n’est pas en donnant à l’écolier une impression trop sévère du travail et de la vie qu’on lui mettra au cœur le courage dont il a besoin.

Je ne mets pas en cause le bon vouloir des maîtres, ni même leur savoir-faire. J’en connais qui s’ingénient à rendre la classe intéressante et agréable.
Mais c’est l’esprit même de l’école que je voudrais voir se modifier. Au fond, il est resté celui de jadis, fait d’austérité et d’une sorte de méfiance à l’égard des libertés de l’esprit.
Je ne conteste pas non plus que nos méthodes, et cela est surtout vrai pour l’enseignement primaire, se sont assouplies et allégées ; mais elles gardent encore quelque rigidité et ne tiennent pas suffisamment compte des exigences naturelles de la jeunesse. L’enfant a besoin de rire, comme il a besoin de mouvement et de bruit. Ne contrarions pas sa nature. Essayons plutôt de l’habituer à rire avec un peu de goût et d’à-propos. Car il y a une science du rire, et ce n’est peut-être pas la plus négligeable de toutes.
Combien d’adultes auraient intérêt à la mieux connaître ! »

Une science du rire... Notre Ministre, si féru de science, qu'attend-il pour nous offrir une brochure orange sur ce sujet ?