On ne peut pas évoquer cette notion à propos des images (Tiens ? Et pourquoi pas des images cérébrales, aussi ?), sans penser à la célèbre photo de Gilles Perrin, prise à Prétoria, et qui fit le tour du monde dans les années 70.



où l'on peut voir l'arrivée d'un sportif de haut niveau, après une belle course, difficilement gagnée...
Jusqu'à ce qu'on découvre la photo tout entière :



En 1978, Claude Duneton l'a reprise dans son "Anti-manuel de français" en 1978, avec pour légende : "Méfiez-vous des morceaux choisis !"

Si vous préférez un exemple plus près de nous :
Je connais quelqu'un qui, en faisant son marché, est tombé un jour sur la pancarte suivante :
"Aspirateur : 5 francs".
C'était, il y a quelque temps, c'est vrai. Mais là n'est pas la question : surpris par un prix si modique pour un aspirateur (moins d'un euro, même à l'époque du franc, c'était donné), cette personne y a regardé de plus près — en fait, c'était de plus loin qu'il fallait le faire :



Comme dirait notre Ministre, il faut se renseigner...

Oui, mais, dites-moi, n'est-ce pas là un cas isolé ?
Eh bien non !! Tous les messages sont de la même eau.
Lorsque je vois le mot "sortie" inscrit au-dessus d'une porte de magasin, vous savez bien qu'il ne s'agit pas d'un "mot", mais d'un MESSAGE, écrit par quelqu'un donnant une information aux personnes présentes. Ce message, il faut le lire comme "C'est par la porte ci-dessous que vous pouvez quitter le magasin".
Même chose, lorsque vous trouvez un panneau dans la rue avec les informations suivantes :
" Toulouse 10"
Il faut le comprendre comme "la ville de Toulouse est à dix kilomètres de ce lieu" : et pourtant, les données importantes (Toulouse = la ville ; 10 =le nombre de kilomètres qui sépare ce panneau de la ville en question) ne sont pas écrites !!

Où l'on voit que lire un message, même parfaitement quotidien et simple, exige de comprendre CE QUI N'EST PAS ÉCRIT.

Question évidente :

1- Comment a-t-on fait pour comprendre ce qui n'est pas écrit ?
2- Réponse : On va le chercher ailleurs que dans le message : ici, comme pour l'aspirateur, plus haut, c'est dans l'expérience personnelle. Pour Emma, évoquée dans un billet précédent, c'était dans la suite du texte. On a absolument besoin du contexte pour comprendre.

Une objection s'élève ici :
Pourtant, vous avez ri en lisant la phrase "mamie a fumé" dans le manuel de votre enfant : c'est donc que vous avez compris, même sans contexte !
La réponse est évidente : j'ai compris parce que j'en ai fabriqué un à partir de mon expérience personnelle. Le verbe fumer, employé sans complément, signifie aujourd'hui fumer de l'illicite, ce qui, pour une mamie n'est vraiment pas donner le bon exemple !!
Il est donc incontestable qu'on ne puisse se passer d'un contexte pour comprendre.

Et là, les questions de se mettre à pleuvoir :

* Comment un enfant de six ans pourrait-il, sur les mots isolés et les petites phrases de son manuel, inventer des contextes manquants ? Dans quelle expérience personnelle ? Comment peut-il, par exemple, comprendre ce groupe de mots : Mamie a fumé, qui a si peu de chances de tomber dans sa "zone proximale de développement", et ce d'autant moins qu'il ne s'emploie jamais sous cette forme en français effectif ? Où trouvera-t-il le contexte qui a déclenché l'hilarité du lecteur adulte ?
* Que fait alors le petit bonhomme à qui on fait lire ces machins ? Il apprend à ne pas comprendre, car on lui a enseigné une conduite de lecture vidée de toute substance, dont il aura bien du mal plus tard à se débarrasser pour faire des études plus tard et vivre sa vie de citoyen.
* Comment la lecture linéaire imposée, où il s'agit de comprendre au fur et à mesure qu'on avance, et qu'il faut arrêter quand on ne comprend pas, pourrait-elle faire découvrir cette composante essentielle de la compréhension ?
* A quel moment apprendra-t-on à nos petits, que pour comprendre un passage du texte qu'on lit, il faut aller chercher AILLEURS, les informations qui n'y sont pas ? Donc qu'il faut explorer le texte AVANT toute lecture linéaire, afin d'être capable de mettre en relation ce qu'on voit, avec ce qu'on a lu avant, mais aussi avec ce qui vient après, et surtout avec ce qu'on sait par ailleurs, sans oublier ce qu'on cherchait quand on a décidé de prendre connaissance d'un livre ou d'un document ?
* Comment peut-on admettre que l'on empêche à ce point un enfant d'apprendre à lire ?

Avec les méthodes imposées de façon si dictatoriale par le Ministre, demandez-vous quels élèves découvriront quand même ce qu'on leur a caché, comme l'ont fait quelques-uns depuis que l'école existe. Et quels élèves en seront définitivement exclus.
Ça vous paraît juste ?
Elle est où, la fameuse confiance ?