Et, pour nourrir cette réflexion, je vous invite à prendre connaissance d'un article de fond, absolument remarquable, à la fois par sa netteté tranquille, et sa puissance de pensée, le texte de l'intervew que Philippe Meirieu a donnée à la revue néerlandaise Pedagogiek, intitulée : Pédagogie(s), science(s), sciences de l’éducation et politiques éducatives.

http://www.meirieu.com/ARTICLES/entretienPEDAGOGIEK.pdf

La situation très inquiétante sur laquelle j'attire l'attention de tous mes collègues, présente en effet, entre autres, un risque majeur, une véritable épée que notre Damoclès de Ministre installe au-dessus de nos têtes d'enseignants : ce qui se prépare, dans les coulisses de la rue de Grenelle, a tout pour plaire superbement au grand public.
Décider, comme l'annonce l'Expresso du Café pédagogique, de diminuer les vacances de ces feignants d'enseignants est assurément une nouvelle faite pour réjouir l'opinion, immédiatement interprétée comme un retour salutaire à un peu de justice dans l'organisation du mammouth immobile. Supprimer le privilège évident que représentent ces douze, voir plus, semaines de congé chaque année, c'est une mesure de "nettoyage moral" incontestable, dont il faut féliciter le gouvernement.

On objectera que cette organisation de l'année scolaire est "dans la loi". Objection prévue et balayée. Voici les termes mêmes du balayage, tels qu'on peut les lire dans la décision n°2019-278 L du 11 juillet 2019, publiée au Journal officiel du 12 juillet dernier.
Il y est dit que les dispositions prévues sur ce point imposent à l'ensemble des établissements d'enseignement (...) de respecter une durée minimale de l'année scolaire", ce qui constitue "une garantie du principe d'égal accès à l'enseignement" et relève donc de la loi. En revanche, les mots "réparties en cinq périodes de travail, de durée comparable, séparées par quatre périodes de vacance des classes" et "par le ministre chargé de l'éducation pour une période de trois années" ont le "caractère réglementaire". Elles peuvent donc être modifiées par décret ou arrêté, sans passer par le Parlement.

Où l'on voit comment est utilisée, aux moments opportuns, une rigueur de lecture et d'interprétation du vocabulaire, totalement oubliée, voire jugée ringarde, en d'autres circonstances.

Ce que cela signifie

Si l'on met en relation ces affirmations avec le retour à la semaine de quatre jours, l'imposition du travail sur les phonèmes dès la maternelle, — si essentiel pour notre ministre qu'il prime toute autre activité n'appartenant pas à ses propres "fondamentaux" — on voit clairement que les enfants n'existent pas dans l'esprit du Ministre, que leurs besoins "humains" sont ignorés : ils servent de cobayes pour de ridicules expérimentations, au service d'une idéologie sans rapport avec les valeurs de la démocratie et sont, avant tout, des vecteurs d'enrichissement pour les vendeurs de méthodes— syllabiques évidemment.

Creusons.

Les dangers des injonctions ministérielles pour l'école maternelle, nous les avons développés dans le billet concernant cette dernière.
Pour ce qui est de l'organisation de l'année scolaire, il faut rappeler que c'est au nom de travaux scientifiques parfaitement solides et sérieux qu'elle avait été conçue, en 1989 par la loi d'orientation, puis abolie pour l'Outre-mer en 1992, et rétablie en 2003, en même temps qu'était débattue l'organisation de la semaine, sur quatre jours ou quatre jours et demi.

La nocivité, pour les enfants de moins de dix ans, de concentrer le travail scolaire sur quatre jours par semaine est un fait avéré. Même la demie-journée du mercredi matin n'était qu'un compromis imparfait, dans la mesure où les enfants n'avaient aucune coupure effective dans la semaine, l'après-midi du mercredi étant, pour une majorité d'enfants, une après-midi épuisante, entre la musique, le tennis, l'équitation, et autres ateliers d'activités diverses. Tout ceci afin de préserver le précieux week-end des parents-électeurs.
Du coup, les deux jours du W.E. deviennent une coupure trop importante, qui déséquilibre la semaine des enfants, sans les reposer.
Nombreux, à l'époque où fut sacré ce fameux W.E, furent ceux qui tentèrent de convaincre de la supériorité, en matière de repos pour enfants et enseignants, d'un mercredi entier de congé, coupure effective de repos au milieu de la semaine, avec un samedi matin de travail, lequel n'a jamais fatigué personne.
Ce fut évidemment en pure perte.

Quant à l'organisation de l'année, elle était demandée depuis des années par les chercheurs, notamment Hubert Montagner, dont les travaux démontrent que les enfants ont besoin d'une répartition équilibrée des temps de travail et des temps de repos. Il considérait nécessaire de prévoir pour eux, dans l'année, cinq périodes de travail, sept semaines environ chacune, séparées par quatre périodes de vacance des classes de deux semaines. Selon ses travaux, deux semaines de repos est une durée minimale pour que les enfants et les enseignants apparaissent et se disent reposés des fatigues accumulées pendant les semaines scolaires.

Certains diront que les enseignants n'ont pas un métier pénible physiquement (quoique...), mais il est épuisant moralement, surtout quand la formation a manqué, ce qui est le cas depuis vingt ans. Or, il faut savoir que, pour un enfant, apprendre est chose difficile et douloureuse, car cela bouleverse ce qu'il croyait savoir. Il faut donc une grande disponibilité d'esprit, à l'enseignant, pour aider ses élèves à surmonter ce type de difficulté qu'ils connaissent tous. La fatigue de l'enseignant est une réelle mise en danger pour eux.
Une organisation du travail, équilibrée au moins dans le temps, est donc absolument indispensable, pour les uns et les autres.

Et à ceux qui vont vitupérer contre des "privilégiés qui veulent toujours plus de vacances, pour être payés à ne rien faire", il faut rappeler que, dans ce monde libéral où la rentabilité est reine, même les entreprises les plus avides de rendement, commencent à comprendre que, pour que l'argent rentre, les employés doivent non seulement pouvoir se reposer, mais surtout travailler dans des conditions de bien être, qui apparaissent de plus en plus indispensables.
Apparemment, les élèves et ceux qui les aident à apprendre, n'auraient pas droit à ce statut... Il est vrai qu'ils ne rapportent guère d'argent !
Est-il admissible que les enfants, ainsi que ceux qui ont l'énorme responsabilité de les éduquer, soient sacrifiés sur l'autel des certitudes d'un ministre, que rien n'autorise à se croire supérieur aux scientifiques, spécialistes de ces questions ?