D'un côté le Ministre ose affirmer — sans rire ! — ceci :
Nous vivons un moment historique pour l'école : d'une part, la maîtrise des savoirs fondamentaux est en hausse - autrement dit : le niveau des élèves remonte - et d'autre part, l'amélioration est plus forte pour ceux qui viennent des territoires les plus défavorisés. Ça répond à mes deux objectifs principaux : hausser le niveau général, assurer plus de justice sociale.
Incontestablement, le ridicule ne le tue pas.

Et de l'autre, Roland Goigoux, nommément cité dans les brochures, pour avoir participé à l'élaboration de la célèbre formule étudiée dans l'avant dernier billet, répond à cette affirmation, en commençant par scier la branche sur laquelle il est assis :
Les tests choisis étaient ceux que les psychologues cognitivistes utilisent pour leurs recherches fondamentales : en laboratoire, ils sont proposés à des élèves plus âgés et administrés en tête-à-tête, de manière à encourager les enfants et à pouvoir les interrompre en cours de passation après plusieurs échecs consécutifs. Ils n’ont pas pour but d’évaluer les compétences définies par les programmes scolaires et ne couvrent qu’une toute petite partie des habiletés enseignées à l’école.
Ces tests ont ensuite été transposés pour des passations collectives (sur livret) mal adaptées à des enfants sortant de l’école maternelle : les problèmes de repérage dans l’espace graphique de la page en temps limité expliquent bien des échecs. Certains tests étaient si mal conçus ou si inappropriés à l’âge des enfants que la DEPP a dû établir des seuils extrêmement bas pour éviter que cela soit trop visible et que trop d’élèves soient rangés dans la catégorie « en difficulté ».


On pourrait remercier R. Goigoux d'apporter ces précisions, qui apportent une lumière nouvelle sur la situation, tout en rendant la sienne peu confortable : ce "bricolage", dont il révèle l'existence, et dont il a été complice, est assez effarant, quand on songe aux enjeux de l'entreprise, et à ce qu'il faut de culot pour organiser ainsi un projet aussi essentiel, aux conséquences aussi importantes pour les enfants.
Mais on a moins envie de le faire dès qu'on découvre que son analyse se poursuit, imperturbable, avec calme et rigueur, comme si un tel constat était secondaire, comme s'il ne suffisait pas, à lui seul, à décrédibiliser l'ensemble du projet, où se révèle tant de mépris pour les petits ainsi manipulés, pauvres cobayes, maltraités par et pour l'égo de quelques chercheurs et d'un ministre en mal de reconnaissance.
Que faire, sinon refuser absolument, immédiatement et sans discussion, tout ce qui est exigé de ces prétendues évaluations ?

Refuser : les raisons qui doivent nourrir l'objection de conscience des enseignants.

Ces évaluations sont déraisonnables en tout point.

1-Il est déraisonnable de penser qu'un être humain fonctionne comme un ordinateur, et qu'on peut le mesurer comme un objet. Un être humain n'est pas "évaluable" — à plus forte raison un jeune enfant — et il est à la fois impossible et scandaleux de vouloir le faire de l'extérieur, avec des "tests", ou tout autre outil tout fait et valable pour tous. Toute évaluation d'un être humain ne peut être que participative, c'est-à-dire effectuée avec lui.

2-Il est déraisonnable de penser qu'une réponse à des questions relatives à des connaissances, pourrait être la preuve que ces connaissances sont acquises par celui qui la donne. Ce n'est pas ainsi qu'on évalue les connaissances d'un élève.
D'abord, on sait que le nombre de facteurs qui influent sur la réponse à une question est énorme, infiniment variable : le stress et le degré de maîtrise qu'on en a, la digestion, l'humeur, et les événements qui ont précédé, la fatigue, font dissoudre tout ce qu'on savait sur la question, tandis qu'à d'autres moments, la chance peut très bien accorder une réponse juste à une question dont on ne savait rien.
Ensuite, on sait aussi que la notion de "connaissance acquise" est largement contestable, étant prouvé depuis longtemps que les connaissances n'existent que si elles sont utilisées, et seulement quand elles le sont : cesser de pratiquer une langue et il suffit de quelques années pour tout en oublier, jusqu'aux données les plus élémentaires. C'est donc par la capacité à se servir, en situation non scolaire, de ce qu'il a appris, qu'on peut repérer le degré de solidité (provisoire) du savoir, et non par des questions, fussent-elles sous forme de "tests".

3- Il est déraisonnable de considérer comme grave, pour un enfant de six ans, qui apprend à lire, activité fondée sur la perception visuelle, de ne pas savoir dire "le nom des lettres et le son qu'elles produisent". A-t-on besoin de connaître le nom des molécules d'huile, de moutarde et d'œuf, pour faire une mayonnaise ?
Et que dire de toutes celles qui en ont plusieurs ?
"Le son que les lettres produisent" ! Comme si les lettres "produisaient " des sons ! Comment celui qui a écrit cela n'a-t-il pas conscience du charabia que cette phrase représente ? Mesure-t-il le mépris qu'il faut avoir des enfants, pour s'adresser à eux de façon si débile et si débilitante ?

4- Il est tout aussi déraisonnable de penser que pour aider les élèves, il faudrait détecter au plus vite "ce qui ne va pas", pour y remédier immédiatement.
Encore un de ces raisonnements prétendument "logiques", dans un domaine, la pédagogie, qui obéit aux lois humaines, dont la logique est tout autre.
Pour qu'un enfant progresse, il faut que ses savoirs et/ou croyances (celles-ci se faisant le plus souvent passer pour celles-là) se transforment. C'est donc sur ce qu'il sait, sur sa manière de raisonner, qu'il faut travailler et non sur de prétendus "manques", qu'aucun enfant ne présente jamais.
Même dans le domaine médical, qui sert de modèle à cette théorie traditionnelle, on commence à en voir les limites et nombreux sont ceux qui proposent un tout autre regard, se focalisant sur le positif de l'individu.

Décidément, quand, en plus de tout cela, on fait le calcul de ce qui a été dépensé en temps, en énergie, en émotions nuisibles et inutiles... et en argent pour installer, dans les classes, cet outil envahissant et destructeur, bricolé n'importe comment, alors que les petits avaient tant de choses à faire et à apprendre à ce moment-là, ; quand on pense à ce qui s'y est ajouté et à ce qui va s'y ajouter encore pour en analyser, ratiociner et contester des résultats qui n'en sont pas, on se dit que, finalement, discuter du sexe des anges, ça, au moins, c'était amusant...