Ah ! Les fameuses "traces écrites" ! Cet appendice, sacro-saint, qui doit, selon la plupart des IEN, et des formateurs INSPÉ, clore une leçon, notamment en français, pour servir de contrôle des acquis de la leçon, remplace maintenant, en beaucoup plus chic, les exercices d'application de jadis — sans les faire pour autant disparaître d'ailleurs.
Déjà, la formulation, péjorative et vague, pose des questions, dont les réponses ne sont jamais données : pourquoi des "traces", et pas des "textes" ? Des traces de quoi ? Qu'on va tracer où ? Et surtout, pour en faire quoi ?

Les traditions scolaires sont une mine, quasi inépuisable, d'activités rituelles, jamais remises en question, dont se demande à quoi elles peuvent servir (les objectifs n'étant jamais donnés), si ce n'est à occuper les enfants pour qu'ils restent tranquilles.

Qu'il s'agisse d'un "résumé" de la leçon, généralement fait par l'enseignant lui-même, et que les élèves ont à recopier pour leur plus grande joie, ou d'exercices d'application des règles qui viennent d'être apprises, leur but reste évidemment celui de vérifier la connaissance de ce qui vient d'être appris. Contrôler des connaissances, au lieu de travailler sur comment s'en servir, c'est un des nombreux points faibles sur lesquels repose la plupart des pratiques scolaires habituelles.
D'autre part, ces fameuses traces sont soigneusement inscrites dans un cahier, autre objet scolaire sacré, jamais relu, et jamais utilisé, sont donc parfaitement inutiles, puisque inutilisable, aucun classement d'aucune sorte, autre que chronologique, ne permettant de s'en servir comme documentation.

Alors, permettez-moi de vous présenter ma réponse à la question posée en titre : c'est un rêve que je fais régulièrement. Plus utopique encore que celui de Martin Luther King, mais auquel je tiens autant, que lui au sien.

Je rêve d’une école enfin intelligente, où, en toute discipline, les séances d’apprentissage seraient suivies régulièrement d’un travail mené par les enfants, en petits groupes, aidés par l’enseignant, autour de la question rituelle : « que venons-nous d’apprendre ? » (et non "que venons-nous de faire ?" comme je l'entends souvent).
Le but de ce travail serait de rédiger la réponse à cette question, pour l’archiver dans des dossiers thématiques pluridisciplinaires. Les apprentissages scolaires, toujours disciplinaires, sont en effet traversés de dimensions transversales aux disciplines, que les enfants ne voient pas, enfermés qu'ils sont dans les cases de chaque matière, si on ne les invite pas à les découvrir.

Ces dossiers seraient conservés par l'élève, d’années en années, durant toute sa scolarité, toujours repris avant une nouvelle leçon, afin d'accrocher celle-ci de façon intelligente à ce qui a été vu auparavant, permettant ainsi aux enfants de vivre une continuité visible d'année en année, dans leur apprentissage, et, pour reprendre la formule de Philippe Meirieu, d'avoir le tunnel où l'école les conduit, éclairé de bout en bout.
On procéderait ainsi régulièrement à un "nettoyage" des doublons et autre scories devenues inutiles, et à des regroupements de documents — travail, sans doute autrement plus efficace que les stupides « révisions » traditionnelles.
Un autre avantage apparaîtrait dans cette manière de concevoir les séances d’apprentissage, en deux temps, un pour apprendre, un second pour digérer ensemble ce qu’on a appris : il permettrait de remplacer les interrogations traditionnelles, moments pénibles, inutiles eux aussi, qui n'apportent rien à personne, ni aux élèves, ni à l'enseignant.
Ajoutons, (cela irait de soi) que ces archives devraient accompagner les enfants dans toutes les tâches qu’on leur demande, en classe, ou à la maison, car on aurait enfin compris qu'il faut habituer les enfants à toujours travailler avec documentation — et non de mémoire, chose infidèle s’il en est, et à laquelle il est malhonnête de se fier.
Elles pourraient également constituer une base documentaire utilisable par les adultes qu’ils deviendront.

Aller à l’école aurait enfin un sens et une utilité réelle, celle de construire, pour les enfants, une première documentation personnelle, cœur de leur documentation personnelle d'adulte, plus tard.
Serait-ce si difficile à mettre en place ?

Mais ce n’est qu’un rêve : on va, hélas, continuer encore longtemps à pratiquer ces fameuses « traces écrites », auxquelles l’école traditionnelle tient tant et qui, enfermées qu’elles sont dans un cahier inutile, ou, plus moderne, dans un de ces classeurs pleins de fouillis de feuilles, plus ou moins rangées, jamais réutilisées, par lesquels il est remplacé, ne servent absolument à rien.

Oh, pardon ! Bien sûr que si : elles servent à l’inspecteur, pour juger l'enseignant ; elles servent aussi au repos de ce dernier... Mais vraiment pas aux élèves.

Au fait, est-ce vraiment pour eux qu’on travaille ?