Comme on le sait, pour le ministère actuel, la question de l'humain ne se pose guère dans la définition des pratiques éducatives et il est de bon ton de ricaner sur la formule de 1989, considérant qu'elle relève d'une bienveillance molle, bien cohérente avec le laxisme soixante-huitard.
A cela le GFEN répond : Aussi, de notre point de vue, c'est moins l'élève qu'il faut mettre au centre (par une sorte de bienveillance compassionnelle) que son rapport au savoir, qu'il faut prendre en compte et faire évoluer.
La formule est ancienne — Bernard Charlot, 1997 ? — souvent utilisée, mais pas toujours de manière claire ou précise... Selon les chercheurs, elle est souvent diversement comprise, tantôt comme une "relation", donc une donnée, qui peut évoluer et qui caractérise chacun des élèves d'une classe, d'une manière provisoirement stable, tantôt comme un "processus", c'est-à-dire un mouvement vers le savoir, accompagné ou non de "désir".

Question : est-on sûr que ce lien existe toujours ?

Contrairement à ce qu'on est tenté de croire, surtout quand on est enseignant, tout le monde n'a pas spontanément envie d'apprendre — ce détour long, coûteux et désagréable, qui semble tourner le dos au savoir (Ph.Meirieu) — On peut ajouter que, même le savoir n'est pas objet d'envie pour tout le monde.
Nous sommes nombreux à nous satisfaire de nos ignorances, qui nous empêchent rarement de dormir. Pourquoi en serait-il autrement des enfants ?

Aussi, avant de le faire évoluer, ce rapport au savoir, est-il nécessaire de vérifier qu'il existe : quel rapport au savoir pour un enfant qui dort dans la rue ou dans un squat ? Pour un enfant battu, un enfant dont on se moque, et qu'on rejette, parce que trop gros ou qui sent mauvais ? Ou, plus simplement, un enfant malheureux, parce que ses parents vont divorcer, ou que sa petite amie ne veut plus de lui ?

On m'objectera, comme je l'entends régulièrement, que l'école n'est pas là pour s'occuper de ça, et que c'est l'affaire des parents...
Et si les parents ne le font pas, s'ils ne PEUVENT pas le faire ? Les sanctions contre eux, prévues par le Gouvernement, changeront quoi ? Peut-on admettre qu'on n'y puisse rien ?
Impensable, évidemment.
Les être humains ne sont pas découpables en morceaux séparés. Nos élèves sont des personnes, tout le temps tout entières, avec tous leurs bagages sur le dos, et à tout moment de la journée. Nous sommes responsables d'eux, il ne peut donc pas être question, pour nous, de mettre "entre parenthèses" certains de ces bagages, quand ça nous arrange.
Or, il faut bien voir que ce qui conduit inévitablement à le faire, c'est la pratique — insensée — du travail individuel et individualisé, dans un enseignement qui s'adresse à vingt-cinq ou trente enfants en même temps, rendant impossible la prise en compte des petits ou grands problèmes de chacun.
Ajoutons que, même si le nombre étant diminué, cette prise en compte devient moins impossible, l'individualisation du travail installe automatiquement une compétition entre eux, qui remettra à leur place les différences de réussite probable.
Le résultat ne peut être que l'échec, aussi bien pour ceux dont les bagages trop lourds ont été ignorés, que pour ceux, dont la prise en compte de leurs histoire personnelle a conduit l'enseignant à leur proposer un travail d'apprentissage appauvri, quand il n'est pas tout simplement inexistant — voir la gamine, au fond de la classe qui a un dessin à faire, pendant que les autres font des maths...
Dans les deux cas, le travail de l'école est rendu inopérant. Et c'est inacceptable.

Comment sortir de cette impasse ?

Deux conditions se dégagent aisément de ce qui vient d'être dit... Nous ne sommes, hélas, pas près de pouvoir les remplir.
1- Faire en sorte que l'apprentissage ne tourne jamais le dos, au savoir qu'il est censé apporter, comme c'est le cas, (entre autres) avec les démarrages actuels et obligatoires de l'apprentissage de la lecture. Ce qui implique d'éclairer au maximum, et tout de suite, le résultat ADULTE attendu, par une pratique adulte présente, avec les outils de cette pratique (on n'apprend pas la menuise avec des marteaux en plastique !), à travers une pédagogie du projet, qui permet de rencontrer l'utilité sociale de ce qui est appris.

2- Installer un travail d'équipe DES ENSEIGNANTS, et un travail solidaire des élèves, pour faire changer les choses. Il s'agit, pour les premiers de réfléchir ensemble, chaque année, et régulièrement, aux moyens d'intégrer les "bagages gênants" dans le travail d'apprentissage, et pour les seconds d'installer, dans les situations d'apprentissage, de solides relations d'aide MUTUELLE, visant une réussite collective, terreau de la réussite personnelle.
Certes, construire personnellement des savoirs est bien la raison essentielle de leur présence en classe, et ils doivent le savoir, car ce sont les savoirs personnels qu'on vise et qu'on évalue, mais c'est par la solidarité qu'ils peuvent se construire et pas autrement.

C'est si difficile que ça, à mettre en place ?