Quelqu'un pourtant n'en est pas satisfait. Et après avoir fait son rêve, l'ami Laurent s'énerve et interpelle sans indulgence quelques têtes pensantes, figures des médias, avec une question brutale, mais essentielle, sur laquelle il nous faut réfléchir : Edwy Plenel, François Ruffin, Jean Luc Mélenchon, Benoit Hamon, êtes-vous sourds ou myopes ? Vous ne voyez pas que le choix entre la citoyenneté républicaine et le totalitarisme économique se construit dans les écoles de la république ?

Pourquoi, en effet, aucun de ces écrits n'évoque-t-il le rôle prépondérant de l'école, et surtout la primaire (cycles1 & 2), tellement maltraitée, où les décisions officielles sont catastrophiques, quand on sait à quel point les enfants de cet âge sont fragiles et manipulables ?
Tout se passe comme si les problèmes de l'école appartenaient à un autre monde, qui pourrait attendre d'être amélioré. Le mot d'ordre : l'économique et le social, d'abord ! L'école et ses problèmes d'opinions, où pédagogues et anti, tels les "grands compositeurs de rien" chers à Voltaire, s'empoignent, en "pesant gravement des œufs de mouche dans des balances de toile d’araignée", cette école-là, il sera toujours temps de s'en occuper, quand les vrais problèmes seront résolus.

Ce raisonnement, fort simpliste sous ses allures de chic littéraire, oublie que, jamais, les problèmes économiques et sociaux ne pourront être résolus tant que l'école n'aura pas enseigné autre chose et d'une autre manière, pour permettre l'arrivée d'une génération capable de s'y prendre autrement. Celle d'aujourd'hui, pour sa grande majorité, n'a aucune des qualités nécessaires à cette tâche.

Objection, votre Honneur : attendre une génération, c'est comme attendre un vaccin contre le covid19 !
Oui, mais en attendant, on peut essayer des "traitements", qui ouvriront la voie des améliorations. Pour l'école, on peut s'engager sur quelques voies menant vers ce qui est indispensable, le type de génération qui sera capable de transformer la Société, une génération d'individus :

* qui sachent lire,
* qui n'aient pas peur d'écrire, et qui sachent se faire comprendre et obtenir ce qu'ils attendent du partenaire.
* qui n'aient peur ni de la quantité à lire, comme à écrire, ni du caractère rebutant des textes,
* qui soient capables d'une double distanciation : savoir raisonner à la fois pendant la lecture, pour repérer ce qui n'est pas écrit et qui dit l'essentiel, et pendant l'écriture, pour repérer ce que le lecteur pourra comprendre de ce qui est écrit,
* qui sachent débusquer les arguments manipulatoires, que dénoncent, sans convaincre grand monde, les vidéos citées plus haut : nos contemporains (si l'on excepte quelques intellos, non contaminés par l'ENA) ne sont guère capables de démonter une argumentation perverse, car cet apprentissage ne figure dans aucun programme scolaire.

Or, tout cela est incompatible avec les conduites de lecture induites par les injonctions officielles actuelles : comme cela a été maintes fois démontré, elles handicapent de façon presque irréversible, ceux qui n'avaient que l'école pour apprendre.
Changer l'apprentissage de la lecture est donc primordial, et possible, si les collègues sont nombreux à refuser de faire ce qui empêche le développement de ces compétences, indispensables à une vraie démocratie. N'oublions jamais que la lecture-écriture n'est pas un apprentissage parmi d'autres ; elle est au cœur de toute action politique et sociale qui s'appuie nécessairement sur elles.

Mais, cela ne suffit pas : modifier cet apprentissage implique une modification de la conception même des premiers apprentissages. Il faut obtenir, coûte que coûte, que soit bannie la focalisation absurde sur le français et les maths, pour redonner à l'éducation motrice la place essentielle qui doit être la sienne. À cet âge tous les apprentissages passent par le corps : c'est par la résolutions de problèmes moteurs que les enfants apprennent à apprendre, et la construction du schéma corporel est prioritaire.
Il faut, aussi tôt que possible, ouvrir l'esprit des petits en développant une sensibilité artistique, et leur faire découvrir, entre autres, le rôle libérateur du rire et de l'humour.
Permettre la découverte de la relativité de toute chose et apprendre à se débarrasser du besoin de certitude pour accéder au doute positif, celui qui se méfie de la première impression et exige des vérifications, base de ce qu'on nomme l'honnêteté.
Les générations qui sont les nôtres, pour leur grande majorité, ignorent tout cela, même si la crise actuelle semble avoir provoqué certaines prises de conscience sur ces points...

Mais surtout, si l'on veut que la démocratie soit sauvée, c'est elle qui doit être apprise dès le début de l'école, apprise par le vécu, par l'exemple que doivent leur donner les adultes, et par le travail d'analyse, nécessaire pour que ce vécu devienne connaissances.

Peut-être la faille ouverte par le drame qui se joue depuis plusieurs mois, permettra-t-elle que s'engouffre, officiellement dans l'école, un peu d'humanité, que l'exigence des savoirs puisse enfin laisser la place à une volonté de culture humaniste, ouverte dès le plus jeune âge vers la diversité des arts et des formes d'intelligence...

Nous avons grand besoin des têtes pensantes, celles que Laurent a interpelées et beaucoup d'autres, pour soutenir les désobéisseurs qui auront le courage de l'être, et aider les décideurs à modifier leurs décisions. Qu'ils y songent sérieusement, c'est le véritable — le seul ? — enjeu de "l'après".