Ce protocole est catastrophique à plus d'un titre : il s'agit, ni plus, ni moins, de vider le travail scolaire de tout enseignement autre que les "fondamentaux". Le reste, les 2S2C, seront assurés en dehors de l'école :
La mise en œuvre du dispositif 2S2C sera, pour ce qui concerne les actions d’EAC, définie localement avec les inspecteurs d’académie, directeurs académiques des services de l’éducation nationale, les directions régionales des affaires culturelles, les collectivités territoriales et les artistes et acteurs culturels présents sur le territoire concerné.

Difficile d'imaginer projet plus explicite de démantèlement de l'école primaire française. Le danger est énorme ; il faut le dénoncer et tenter de l'arrêter le plus vite possible.

Comment justifier une telle décision ?
Il est indéniable que des activités comme le sport — terme inexact : il s'agit des "activités motrices", visant la maîtrise du corps, domaine d'apprentissage très différent du "sport", même si l'on s'obstine à les confondre, au nom d'une coriace vision religieuse, où le corps est chose méprisable —, la santé qui le concerne, ainsi que la culture et la vie civique, sont des domaines d'apprentissages "encombrants" : ils prennent de la place, exigent du matériel important, et, surtout, des compétences particulières que la formation préfère oublier.
Ils donnent le vertige, en effet, les vides qui, sur tous ces sujets, brillent dans les programmes de formation des enseignants. Et les collègues ont bien du mérite, qui ont des connaissances littéraires, poétiques, artistiques, et qui savent maîtriser leur posture, leur voix, leurs mouvements, en classe.
Pour avoir animé de nombreux stages de formation continuée, pluri-disciplinaires à l'époque où ils existaient, je peux affirmer en avoir rencontré, certes, mais une très petite minorité seulement.
On comprend mieux pourquoi il paraît tellement plus économique, à tout point de vue, d'oublier ces domaines d'enseignement, en les confiant à quelqu'un d'autre, plus compétent.
Mais l'on comprend aussi que le danger soit grand, car, outre son caractère dangereux pour l'école, ce décret risque de ne pas scandaliser tous les collègues : plus d'un sera trop content d'être débarrassé d'enseignements auxquels il n'a pas été vraiment formé, ce qu'on peut parfaitement comprendre !

Pourtant, ce choix officiel est une aberration pédagogique d'une extrême gravité et il présente un réel danger de discrimination sociale. Les arguments ne manquent pas.
* Sans entrer dans le détail des travaux d'Antoine de la Garanderie, on sait bien que tous les enfants n'apprennent pas de la même manière et que les différents "profil d'apprentissage" existent. La diversité des disciplines, nécessitant des approches, des activités différentes, offre plus de chances à chaque élève, de trouver son "entrée de réussite" , indispensable à la construction de sa confiance en lui.
* De plus, ceci n'est possible que si toutes les disciplines sont enseignées par la même personne : sinon, le lien ne se fera jamais dans l'esprit des enfants, surtout jeunes. On sait qu'à l'âge de la maternelle, et c'est encore largement vrai jusqu'à l'entrée au collège, cette chose difficile qu'est l'apprentissage doit être menée par une seule et même personne, pour que les différences de contenus à apprendre n'effacent pas les relations indispensables qu'ils doivent entretenir entre eux. Déjà au collège, beaucoup de jeunes élèves vivent mal la diversité des professeurs, cela a été maintes fois observé.
* La caractéristique n°1 de l'école primaire, c'est justement de préparer les enfants à devenir des "élèves" et à construire la notion de "disciplines scolaires" : cela veut dire découvrir qu'elles correspondent, non à la réalité, mais à un "découpage" artificiel de cette réalité, pour faciliter les apprentissages. Et, il va de soi que ceci ne peut être possible que si l'on enseigne en relation, les unes avec les autres, toutes les disciplines scolaires.
* On sait également, depuis longtemps, que de 3 à 6 ans, et encore pour beaucoup d'enfants jusqu'à 10 ans, tous les apprentissages passent par le corps et la motricité, ce qui fait de l'éducation motrice la discipline fondamentale à la maternelle, et essentielle jusqu'au collège. Et il va de soi, que dans ces conditions, seul l'enseignant est à même de la mener.
* C'est une banalité de rappeler que l'éducation artistique est indispensable aux petits... comme aux grands, et que là encore les traces de ces apprentissages, l'ambiance qu'ils installent, doivent être présentes dans la classe et accompagner les enfants dans toutes leurs tâches.
* Enfin, où les apprentissages de la vie civique, le fameux "vivre ensemble", serait-il le plus à sa place, que dans le groupe classe, à l'occasion de tous les événements qui s'y passent ?

Sans tous ces enseignements réunis dans le travail de classe, l'école primaire n'existe plus. D'accord, pour tout cela, direz-vous, mais si les enseignants n'ont pas reçu la formation nécessaire, c'est-il pas préférable de confier ces enseignements à des personnes compétentes ?

Certes, le raisonnement est juste... Sauf qu'on oublie qu'être compétent dans un domaine ne suffit pas pour enseigner dans ce domaine : un musicien, un artiste, un sportif, sont compétents dans leurs domaines d'action, mais pas pour les enseigner. Seules des personnes formées à ce métier peuvent le faire.
Certes, un enseignant ne saurait être spécialisé en tout (la formule est contradictoire en elle même !). Cela implique donc la nécessité d'un travail d'équipe enseignants-spécialistes, EN TOUT DOMAINE, — y compris pour les "fondamentaux", du reste ! Mais ce travail d'équipe ne consiste pas à leur faire faire la classe à la place des enseignants, mais à aider ceux-ci à préparer leurs séances.
Ils leur apportent les contenus qui leur font défaut, mais, ces contenus, seuls, des enseignants peuvent en faire des situations efficaces d'apprentissage.

Durant les fameuses années soixante-dix, quand la formation continuée des enseignants existait, nous avons fait de nombreuses expériences en ce sens, qui se sont révélées toujours extrêmement intéressantes : tout le monde y gagnait, enfants et adultes : chacun en sortait enrichi et un peu plus cultivé qu'avant.
Ce n'est donc pas une utopie imbécile : c'est possible avec un tout petit peu de bonne volonté gouvernementale.
Si seulement ceux qui prennent les décisions essayaient d'acquérir un soupçon de culture pédagogique, d'étudier ce qu'ont fait avant eux de grands ministres, comme Jean Zay, Aain Savary, Lionel Jospin : ils verraient que les choses peuvent être différentes et plus efficaces, à condition de ne pas être cassées tout de suite, comme ce fut le cas, pour ceux-là.

Henri Bassis disait qu'une relation pédagogique devait être mutuelle : sinon, elle n'existait pas.
Monsieur Blanquer n'a sans doute jamais écouté, ni lu Henri Bassis. C'est un de ses plus grands torts.