Longtemps, on a pu reprocher aux hôpitaux, aux soignants, aux pratiques médicales, un adjectif comme celui du titre de ce billet : la plupart des médecins ont longtemps considéré que leur métier était de soigner des maladies ou des blessures, les personnes malades restant en dehors de leurs préoccupations. J'en ai personnellement connu qui quittaient une rencontre amicale, en déclarant : "Je dois partir : j'ai deux cancers et un traumatisme crânien qui m'attendent au travail..."
Aujourd'hui, hôpitaux et médecins ont fait de grands progrès dans ce domaine...
Pas l'école, pour qui la marche arrière est enclenchée depuis longtemps. Aujourd'hui, la voilà embarquée avec ce ministre dans une accélération galopante du recul, d'où toute humanité a disparu. Le mot d'ordre est clair, répété à satiété : il faut des résultats, c'est la seule chose qui compte.
Quels résultats ? Inutile de le préciser: ce qui importe, c'est de les obtenir. Et pour cela, il faut mesurer scientifiquement. Mesurer au départ, re-mesurer quelque temps plus tard, remesurer encore un peu plus tard, avec une mesure royale à la fin.
Pour bien connaître les vrais besoins des élèves, plusieurs tranches de batteries de tests seront envoyées dans les classes.

Quelques voix, timides, s'élèvent alors :
— Mais, monsieur le Ministre, connaître les vrai besoins des élèves, les enseignants ne sont-ils pas les mieux placés, pour cela ?
— Que nenni ! Vous n'y êtes pas ! Vous savez bien qu'ils ne peuvent pas le faire de manière scientifique : ils ont le nez dans le guidon. Il faut de vraies mesures, venues d'en haut.
— Mais cela va prendre beaucoup de temps : les protocoles reçus, il faut les lire, les expliquer aux enfants, faire passer les tests, relever les résultats, les envoyer en haut lieu, etc. C'est terriblement long et lourd...
— Aucune importance : c'est pour la bonne cause !
— Mais pendant tout ce temps passé à mesurer ce qu'ils savent (ou ne savent pas), les élèves ne seront pas en train d'apprendre !
— Peu importe : il faut mesurer, vous-dis-je. C'est essentiel.
— Mais mesurer quoi ?
— Vous n'avez pas vraiment besoin de le savoir : on le sait pour vous.
— Elles vont servir à quoi, ces mesures ?
— A expliquer à l'enseignant quels sont les besoins exacts de ses élèves. Comment voulez-vous que l'enseignant sache ce qu'il doit faire, si on ne le lui dit pas ? Et vous savez bien que ce n'est possible que si on a mesuré convenablement les besoins des élèves...
— Mais, les enfants, eux, ils sont où, dans votre projet ?
— Les enfant ? Quels enfants ? A l'école, vous n'avez, devant vous, que des élèves, dont vous devez obtenir les résultats attendus.
— Mais vous savez, même les élèves sont stressés par des évaluations extérieures, surtout répétées; ils en ont peur et cela les paralyse...
— Mais non ! Une évaluation n'a jamais fait de mal à personne.

On aura reconnu, dans ce dialogue imaginaire, l'esprit des réponses habituelles du Ministre aux questions et objections qu'on lui présente, mais la toute dernière est rigoureusement authentique.
Imperturbables, ces réponses, confirmées et même renforcées pour cause de crise sanitaire — aggravée à plaisir pour permettre de justifier l'injustifiable — sont reprises dans cette circulaire de rentrée, où tout est faux, comme cela a été prouvé de manière incontestée depuis plusieurs décennies :

NON !!
Il n'est pas vrai qu'il faille commencer à la rentrée par une évaluation... Même interne à la classe, elle serait une grave erreur.
Il n'est pas vrai qu'il soit nécessaire de s'assurer que tous les élèves maîtrisent les compétences essentielles de l'année précédente.Les compétences ne s'empilent pas les unes sur les autres.
Il n'est pas vrai que l'urgence soit de consolider uniquement les savoirs en français et en maths : le reste est essentiel à chaque enfant.
Il n'est pas vrai que "des tests, courts et ponctuels", permettent de "mesurer instantanément la maîtrise des compétences fondamentales et d'identifier les priorités pour chaque élève". C'est même une affirmation ridicule.
Il n'est pas vrai qu'un "effort inédit" (ou non) soit nécessaire "pour renforcer l'accompagnement personnalisé des élèves", l'accompagnement "personnalisé" étant — et de loin ! — le moins efficace.

Ne pensez-vous pas, vous les professeurs d'école, vous, les amoureux de l'école, vous, les parents de ces "élèves", dont l'enfance est ainsi maltraitée, que le dernier mot de mon dialogue imaginaire, c'est à vous qu'il doit revenir, vous qui êtes tout aussi maltraités par ce ministre, que les enfants le sont — et de plus en plus — à l'école de Blanquer ?

Qu'allez-vous lui répondre, le jour de la rentrée ? Et de quelle manière ?