De la part d'un inventeur, un tel aveu touche au sublime. On n'en attendait pas moins d'un grand Gourou, ministériel, de surcroît. Ce qui surprend, en revanche, c'est l'effet décevant découvert.
Mais commençons par le début de l'histoire. Pascal Bouchard raconte :

Le logiciel Kalulu propose des petits jeux pour "apprendre à lire et à calculer", il est développé par l'équipe de Stanislas Dehaene qui indique sur le site "Mon cerveau à l'école" qu'une étude "en cours de finalisation a permis de "comparer les performances d’enfants de grande section de maternelle qui jouaient, soit à la version Lettres, soit à la version Chiffres, de Kalulu, 20 minutes par jour trois fois par semaine" et d'enfants qui avaient, à l'école maternelle, les pratiques habituelles : "Les résultats, encourageants, seront publiés dès que nous aurons suffisamment de recul sur le devenir de ces enfants en CP", ajoutait-il. Par ailleurs, le Conseil scientifique, dans sa "note" sur le niveau de lecture en 6ème, en recommande l'utilisation pour les élèves en difficulté, car il a "commencé à démontrer (son) efficacité".

Il suffit de jeter un coup d'œil sur ce logiciel, facilement téléchargeable, pour en être convaincu. Prenant appui sur la certitude que "L'enseignement explicite des correspondances phonèmes/graphèmes reste la méthode la plus efficace pour apprendre à lire", il propose une progression rationnelle de ces phonèmes, ainsi décrite :

"Par exemple, l'enfant apprend que la lettre "s" correspond au son"[s], comme dans "serpent", avant d'apprendre des règles complexes, comme le fait que "s" se prononce [z], entre deux voyelles comme dans "oser"
Rationnelle, certes, mais, notons-le au passage, contraire aux données les moins contestables de la psychologie des apprentissages, qui révèle que, notamment pour un enfant jeune (mais c'est largement valable pour la plupart des adultes), il est plus difficile de devoir modifier ce qui a été présenté comme une certitude, que d'entrer dans une réalité complexe, si lui est laissé du temps et de l'aide pour l'explorer.

Mais, et c'est là que surgit le savoureux de l'histoire, Pascal nous apprend que :

"Dans un article qu'il signe avec Cassandra Potier Watkins (INSERM) et qui en est au stade de la pré-publication, il indique dans son résumé que l'avantage qu'ont en début d'année de CP les enfants qui ont utilisé ce logiciel, aussi bien en connaissance des lettres et des sons, que des nombres, disparaît en milieu d'année. Les auteurs estiment que ces résultats mettent en évidence la différence entre les effets à court et à long terme.

Que voilà une estimation intéressante et surtout nouvelle ! Comme quoi, il ne faut pas désespérer, même des gourous : ils finissent, eux aussi, par découvrir que l'eau devient chaude, quand on met du feu en dessous. En d'autres termes, qu'un apprentissage, plus il est effectué rapidement, — pour satisfaire aux besoins d'un société économiquement libérale— moins il sera solide.
Tous les moyens, inventés depuis que l'enseignement existe, pour que les apprentissages s'effectuent le plus rapidement possible, ont révélé leur impuissance.
Parmi ces moyens :
* la "simplification" de ce qu'il y a à apprendre, qui falsifie la réalité pour que les apprenants y entrent plus facilement, rendant très difficiles les réajustements ultérieurs, indispensables ;
* la "progression" prétendument rationnelle, contraire au fonctionnement humain, qui a besoin, pour progresser, de prendre appui sur un vécu personnel — et non sur l'acquisition précédente, comme le veut la progression "rationnelle" ;
* tout ce qui presse l'apprentissage, et le besoin d'aller vite.
Apprendre, c'est une digestion, et comme telle, ça ne se commande pas et ça demande du temps et du calme.
Donc, inutile d'inventer de prétendus "jeux" pour dresser plus tôt les petits à la virtuosité des syllabes, avec des clics, pour "chanter les sons avec la perruche" dans les "jardins des sons" (Si ! Si! C'est page 12 du manuel !) : ça ne marche pas !! En guise de clic, craignez les claques qui s'ensuivent...

Oubliez les syllabes (n'existant qu'à l'oral, elles n'apparaissent pas à l'écrit), et explorez plutôt les écrits de l'environnement des enfants et de leur vécu, vous verrez : ça marche pas mal... Et ça tient !