Surtout, sans s'occuper de ce qui leur manque et sans chercher à le leur rendre de force.

C'est une activité, rendue propice, à la fois par les vacances... et par l'âge (celle de remettre un peu d'ordre dans ses documents), qui m'a subitement renvoyé à la figure l'urgence d'un débat sur ce point.

J'ai, en effet, retrouvé ainsi les dossiers relatifs à un combat, bien oublié, aujourd'hui, de moi, comme des autres, celui de l'apprentissage de la lecture pour les enfants sourds profonds.
Interpelée sur ce point, dans les années 70, par une famille dont les enfants étaient nés sourds, j'ai découvert, avec stupéfaction et indignation, le calvaire infligé à ces enfants, volontiers considérés comme débiles, puisque gravement handicapés, selon l'opinion publique.
A cette époque, la "pédagogie" (!!) des enfants sourds était dirigée, dans ma région occitane, par un certain Vinko Gladic, pour qui, la priorité, avant tout apprentissage de l'écrit, était que ces enfants, diminués par un tel manque, apprennent rapidement à parler— et donc à entendre !! — pour pouvoir apprendre à lire !
Inutile de dire que le "rapidement" était impossible, et que les enfants, qui souffraient terriblement de cet apprentissage forcé, hors de leur portée, échouaient à qui mieux mieux, confirmant ainsi leur débilité.

C'est alors que j'ai appris l'existence d'une effarante loi : depuis 1880, en France, comme dans la grande majorité des pays européens, les écoles et instituts pour sourds étaient sous le coup d’une interdiction formelle de l’apprentissage de la langue des signes, proclamée lors du congrès international des éducateurs pour sourds de Milan !
En fait, elle s’est maintenue durant un siècle entier, et n'a pu être abrogée en 1980, que par l'obstination de quelques chercheurs, dont je fais très modestement partie.

Pour le sieur Vinko Gladic, avec qui, on s'en doute, j'ai eu de joyeux et mémorables échanges, vouloir s'appuyer, comme cela me semblait évident, sur la langue des signes, pour accéder à l'écrit, le faisait reculer d'horreur : la langue des signes étant officiellement considérée comme un système honteux, dont il fallait débarrasser les enfants, au plus vite...
Oui, me disais-je... Mais, bien que pratiquée sous des formes simplifiées, voire inventées n'importe comment en famille, elle était tout de même leur moyen de communication, exactement comme l'oral semble en être un, mais uniquement pour les entendants... L'oral ne peut donc un appui vers l'écrit pour eux : le raisonnement des "oralistes" est indéfendable, c'est évident.
Une évidence, hélas, qui fut bien difficile à faire admettre !

Dix ans de combat, pour finir par une victoire... rapidement remise en question, au début des année 2000, par le triomphe du phonisme pour tout le monde, sourds et aveugles compris.

Qu'en est-il aujourd'hui ?
Non seulement on continue à mépriser, et même ignorer, les savoirs personnels des enfants, mais la théorie du manque à combler est toujours aussi vivace. Voici une consigne officielle, émanant du ministère (c'était en 1997 !) :
Le groupe de travail doit présenter avant la fin du mois de janvier, des propositions pour mettre en place un dépistage précoce de ces handicaps et des mesures d'aide pédagogique.
Ailleurs (années 90), on trouve une typologie des fautes d'orthographe, classées selon des critères précis, indispensable pour définir les remédiations appropriées.
Les évaluations nationales actuellement imposées ont pour objectif déclaré, de pouvoir repérer à temps les erreurs et ignorances des enfants....

Quand on fait le compte du temps passé — perdu — à tous les niveaux du système éducatif français, à faire ce travail sur les manques des enfants, durant lequel ils n'apprennent rien, mais s'enfoncent un peu plus dans la dévalorisation d'eux-mêmes, on se demande si ce n'est pas sur la tête que marche l'école...
Et les manques du système éducatif français, on les comblera quand ?

Travailler sur les manques et autres "fautes" des élèves est une triple sottise :
* c'est culpabiliser ceux-ci, sans aucun profit par ailleurs, puisque la culpabilité occupe dès lors toutes leurs pensées, les empêchant d'entendre ce qu"on leur propose ;
* c'est se focaliser sur le négatif, en oubliant tout leur potentiel positif, et les empêcher de se prendre en mains pour repartir sur d'autres bases ;
* c'est, incontestablement, une savante entreprise de démoralisation pour eux, en leur envoyant une image négative d'eux-mêmes.

Comme cela a été souvent dit ici, sous diverses formes, la non-réussite d'un travail quelconque doit être toujours analysée POSITIVEMENT : c'est-à-dire, à la fois, comme une chose normale, et comme une simple erreur de direction, née d'un raisonnement imparfait (ce qui peut arriver à tout le monde, enseignants inclus !) — sans avoir besoin d'aller chercher, je ne sais quel dysfonctionnement de l'auteur, à faire soigner immédiatement.
La tâche de l'enseignant est alors de provoquer la re-mémorisation du raisonnement qui a conduit à choisir la mauvaise route. Et la réflexion en petits groupes y joue un rôle essentiel.
Ce n'est pas si difficile, non ?

Bon ! Pour la rentrée, nous allons, tous, au moins, ESSAYER... D'accord ?