Pour asseoir solidement, scientifiquement, cette affirmation, le laboratoire qu'il dirige a mis au point un outil pour les enseignants, au joli nom plein de promesses : Narramus, prononcé à la latine (comme une prière, en fait !) "narramous", "nous raconterons".

Un parfait exemple d'outil scientifique : la notion de compréhension y est analysée, décortiquée, en unités dites de "compétences", qu'il s'agit de développer d'abord à part, pour qu'elles puissent ensuite s'unir dans une riche compétence globale, où rien ne peut être oublié. Ceci au mépris de tous les constats scientifiques depuis des décennies, qui démontent l'erreur évidente de la théorie empilatrice de l'apprentissage.
Ces compétences sont au nombre de quatre :
* les compétences narratives en réception,
* les compétences narratives en production,
* les compétences lexicales et syntaxiques,
* les compétences inférentielles.

Ce vocabulaire scientifique (enfin, qui se veut tel) est complété par des termes imagés se voulant à la portée des enfants, comme celui de "boîtes" pour désigner la mémoire. Curieusement, en effet, là où l'on attendrait que fussent convoquées, les diverses formes de raisonnement que, naïvement, l'on croyait nécessaires à la compréhension, c'est la mémoire, ici, qui préoccupe d'abord les chercheurs, dans l'apprentissage du vocabulaire.
Les enfants sont invités à imaginer des boîtes dans leur tête, avec des tiroirs, où ils doivent mettre les mots qu'on leur fait apprendre — formule, à la fois infantile et inexacte scientifiquement.
On retrouve, là, une erreur, très en vogue actuellement, grâce à monsieur Bentolila : en dépit de nombreux travaux prouvant le contraire, il impose, à la "Recherche", la croyance que l'échec scolaire serait dû principalement, à la "pauvreté de vocabulaire" des enfants de milieux défavorisés. Depuis des lustres, il est avéré que les difficultés, rencontrées par les enfants, en compréhension, se trouvent, dans un vocabulaire "difficile", dans la syntaxe des textes.
N'empêche, Monsieur Bentolila continue d'affirmer que c'est par la mémorisation de mots nouveaux — un mot nouveau chaque jour— que cet enrichissement peut s'effectuer. Une mémorisation quasi forcée, puisque sont prévues des séances de "mises en boîte" des mots appris.

Les défauts d'un tel outil ?

Afin de laisser ouvert le débat — ô combien nécessaire ! — entre les lecteurs et commentateurs de ce blog, je me contenterai d'énumérer ceux que j'y vois.
En plus d'être prétentieux, c'est un outil lourd, abstrait, à mille lieues du terrain et des enfants, qui repose sur une théorie erronée de l'apprentissage, un outil parfaitement antipédagogique, fabriqué en laboratoire, loin des classes et de l'expérience des enseignants, un outil imposé qui humilie le savoir-faire des collègues (ils sont, ne l'oublions jamais, des professionnels de l'enseignement).
Et même, si, comme mes collègues me l'ont rappelé, sont nommés dans les classes, un nombre de plus en plus important de contractuels n'ayant reçu aucune formation, on attend du Pouvoir qu'il investisse dans la formation, plutôt que dans de coûteuses fabrications d'outils, dé-responsabilisants, donc abêtissants, et plus dangereux qu'utiles.

Confirmation est faite une fois de plus que la Recherche Pédagogique ne peut se faire en laboratoire, par les seuls Universitaires-Chercheurs. Elle doit se faire sur le terrain, en partenariat étroit avec les collègues du terrain, les seuls à connaître les besoins de leurs élèves, dans un va et vient constant, entre la base et les spécialistes, chacun enrichissant les autres d'une expérience différente et nécessairement complémentaire.
Je parle de la Recherche — Recherche-Action — telle que la concevaient les Louis Legrand, Hélène Romian, et autres passionnés, amoureux de l'école, dont le regard, brûlant d'humanité et d'empathie, nous manque affreusement aujourd'hui.
Une Recherche véritablement pédagogique et démocratique, où les Chercheurs sont au service de la pratique, sans prétendre donner des ordres aux enseignants, pour apporter à ceux-ci les éclairages théoriques dont une formation insuffisante les a privés. Une Recherche qui est en elle-même une formation : un enseignant ne peut être qu'un chercheur ; en aucun cas, il ne doit être un exécutant.

Que ceux qui ont eu la chance de connaître une telle Recherche, en protègent le souvenir et le diffusent : seule, elle pourra faire un jour que les valeurs de la devise, inscrite au fronton des écoles de France, puissent enfin entrer dans l'École, au lieu de rester à la porte, où elles sont depuis cent cinquante ans.