Le petit ouvrage s'intitule " L'école est-elle responsable de la dyslexie ?" Il est signé Je'anna Clements, avec une préface de Bernard Collot, une annexe de Laurent Carle, et une postface de Jean-Piere Lepri, qui présente ainsi l'ouvrage :

Richard Branson, Steven Spielberg, Cher, Walt Disney, Steve Mc Queen ou Albert Einstein … sont ou étaient dyslexiques, comme 50% des scientifiques de la NASA ! Il est probable que les inventeurs et les constructeurs des pyramides, des cathédrales ou des caravelles … aient été dyslexiques, sans doute non-lecteurs. La dyslexie n’empêche pas de réussir dans la vie, encore moins de réussir sa vie. Dans les cas précités, elle serait même la raison de leur succès. Dans les écoles « démocratiques » (de type Sudburry) et dans les apprentissages dits «auto-dirigés», on ne rencontre pas de dyslexiques. Penser alors que l’école produirait elle-même les dyslexiques devient légitime.
Pour distinguer la dyslexie que l’on rencontre à l’école, des cas ci-dessus, l’autrice propose cette graphie : DYSlexie. En instituant le savoir-lire comme valeur suprême, l’école crée ce problème, lequel en vient même parfois à être considéré comme une pathologie. Les DYSlexiques qu’elle a ainsi identifiés connaissent la honte et souffrent entre autres d’un manque d’estime de soi. Ceci peut avoir des conséquences sociales graves. Ainsi, par exemple, 60% des jeunes délinquants sont DYSlexiques. Les interventions « remédiatrices » vers lesquelles ils sont poussés les stigmatisent, et les renforcent dans leur statut dévalué.
Pourtant, ceux qui ne savent pas cuisiner ou conduire un véhicule, compétences pourtant très utiles dans notre société, ne sont, eux, aucunement DYS-qualifiés – l’école n’en faisant pas du tout une valeur discriminante.
Nos croyances sont le socle de notre société.
En 144 petites pages, une démonstration argumentée et convaincante va à l’encontre de l’une d’elles : c’est bien l’école qui est responsable de la DYSlexie. (D)étonnant !


Tout en nuançant quelque peu la cause du problème — ce n'est pas parce qu'elle fait, du savoir-lire, une valeur suprême, que l'école le crée, mais parce qu'elle l'enseigne très mal — L. Carle précise nettement toutes les erreurs d'enseignement qu'elle commet, de façon parfaitement voulue en haut lieu, mais à l'insu des enseignants, la formation de ceux-ci étant judicieusement affectée du degré d'insuffisance nécessaire pour qu'ils ne s'en rendent pas compte.
Le crédo salvateur est qu'il faudrait savoir déchiffrer oralement pour apprendre à lire. Or, lire, c'est comprendre avec les yeux, et c'est communiquer directement, grâce à des signes écrits, avec quelqu'un qui n'est pas là. En trompant ainsi enseignants et enfants, par un enseignement de la lecture sans lecture, sans message à comprendre, et sans lien aucun avec la notion de communication, sur des mots isolés dépourvus de signification, on empêche les enfants de savoir lire, car "pour prendre sens, un mot a besoin du texte qui est son propre contexte, et le texte a besoin du contexte où il s'énonce."

Soit, direz-vous, mais que vient faire l'OBS et le wokisme ici ? Quel rapport entre la lecture et une mode, un mouvement, réunissant des personnes se prétendant plus "éveillées", plus vigilantes, que les autres ?

Le lien, on le découvre dans un texte de cet hebdomadaire, qui semble illustrer les propos précédents.
Il s'agit du récit de l'aventure arrivée à un professeur de civilisation française dans une université de Boston.
Dans un cours sur la politique migratoire, elle a voulu montrer, aux étudiants, une émission télé où le comique sud-africain Trevor Noah se moque de la victoire française de 2018 au foot, en qualifiant la victoire, d'africaine, une "victoire de nègres", ajoute-t-il, avec fierté.
Ce terme tabou fait violemment réagir les étudiants, et, malgré les explications de la professeure sur la raison qui a poussé l'humoriste à utiliser ce terme, et sur la notion de "second degré", explication qu'elle tente de confirmer en reprenant elle-même le terme, la classe, se fige, gronde, refuse les explications et l'une des étudiantes sort pour aller se plaindre à l'administration de l'Université.
La professeure, profondément blessée, est contrainte de s'excuser. Elle commente ainsi cette aventure douloureuse :

"Dans un cours sur l'immigration, où je suis moi-même concernée par mes origines, je cite la phrase d'un humoriste, noir, à un moment où la question traitée est de savoir qui a le droit de dire quoi, il est clair que pour les élèves, aucun élément de ce contexte n'existe plus ; seule la prononciation du mot compte".

Il faut savoir que ce genre d'aventure se produit de plus en plus souvent dans les collèges et lycées, en France. Ce sont là, les ravages d'un travail centré sur les mots, sans que soient travaillées, en même temps, les idées, les notions, les données contextuelles, bref, le sens du message où ils devraient se trouver. En réalité, ces étudiants, sous prétexte d'être "vigilants" contre le racisme et les autres injustices, s'enferment dans un intégrisme des mots, qui occultent et tuent les idées et les réflexions que les notions correspondantes provoquent...
Et si l'on pense que la cause du drame, ici, n'est pas le savoir lire, mais un apprentissage plus que défaillant de l'humour, la réponse s'impose sous la forme d'une question : qu'est-ce que l'humour, sinon l'art de LIRE un décalage entre les mots et le contexte, qui en modifie à la fois le sens et l'effet produit ?

Certes, le wokisme est un mouvement beaucoup plus large, dont les dangers vont plus loin que cela, mais je suis sûre qu'à la base, la première responsabilité se trouve dans le type d'entrée, hors sol, de la lecture, qui sévit dans la majorité des écoles, imposé scandaleusement en France, mais présent aussi ailleurs dans le monde. Une entrée qui endort l'esprit, et qui habitue les élèves à ne pas avoir besoin de comprendre les messages où ces mots se trouvent, quand ils en rencontrent, et de ne retenir qu'eux, dans les textes. Si bien que toutes les opérations mentales de la compréhension, le fait de savoir mettre en relation des informations éparses dans le texte, le raisonnement, l'inférence, s'atrophient, rendant inaccessibles le rôle des contextes, l'implicite, la poésie et les diverses formes d'humour.

Quelque soit le pays, tant qu'on enseignera la lecture, en dehors de la vie, dans sa diversité, ses audaces, et ses jeux, tant qu'on n'aura pas, pour objectif, une maîtrise absolue de la langue, dans toutes ses variations, et de la compréhension, dans toutes ses finesses, les pires erreurs — et les pires horreurs — trouveront porte ouverte.