A la recherche du niveau perdu.
Par Eveline, samedi 12 février 2022 à 10:52 :: Education, Ecole et Pédagogie :: #489 :: rss
Avec le décret d'application du logiciel Affelnet à tous les lycées, les réseaux sociaux s'agitent avec frénésie, autour de la notion de "lycées de niveaux", de l'importance d'avoir des lycées de prestige et de savoir si des élèves différents vont ou non faire baisser le niveau qui leur doit ce prestige...
Et si le problème était mal posé, englué, comme il est, dans la gadoue des routines de pensée ?
Et si le problème était mal posé, englué, comme il est, dans la gadoue des routines de pensée ?
L'excellence. (suite)
Dans tous ces débats, on oublie, me semble-t-il, deux questions importantes :
1- celle du sens du mot "niveau", en matière d'apprentissage ;
2- celle du sens du métier de professeur.
Le "niveau des élèves", qu'est-ce que ça veut dire ?.
Question qui appelle plusieurs sous-questions.
* D'où vient ce mot : il repose sur le présupposé qu'apprendre serait empiler des connaissances, les unes sur les autres, à la manière du mur que l'on construit pierre par pierre.
Cela fait bien cinquante années, (et sans doute bien plus, si l'on pense à Piaget !), que les travaux des chercheurs ont démontré l'erreur de cette conception : savoir, ce n'est pas posséder une pile de connaissances, c'est posséder un réseau de relations diverses entre des connaissances nouvelles et celles qu'on avait avant. Apprendre, c'est mettre en relation ce qu'on voit, ce qu'on sait et ce qu'on découvre.
La chose n'est pas verticale, elle est horizontale !
Les connaissances construites ne peuvent donc pas être mesurées en hauteur, mais en richesse de relations. Et cette richesse-là, extrêmement différente d'un enfant à l'autre, n'est pas facile à repérer ; elle est surtout impossible à chiffrer.
* Ses liens avec l'apprentissage : on sait, depuis presque aussi longtemps, qu'apprendre, ce n'est pas ajouter des connaissances à celles qu'on a ; c'est transformer celle qu'on avait ; c'est aussi transformer ce qu'on était, avant d'avoir appris. J'ai appris, donc je ne suis plus tout à fait le même : j'ai progressé. Malheureusement, rien ne permet de le repérer de l'extérieur, et encore moins de le mesurer.
* Ce qui conduit à cette question : pourquoi veut-on absolument faire ces mesures ?
Parce que la gadoue de la routine nous a fait déraper sur une conviction, celle qu'il faut absolument classer les enfants.
Pourquoi ? Ça, c'est un mystère : encore une de ces évidences tirée de la gadoue, impossible à justifier.
* Ce qui permet de comprendre pourquoi il a fallu trouver un critère de classement, de préférence sérieux : quoi de plus sérieux que les mathématiques ?
Voilà pourquoi on a inventé les notes.
Il est vrai que noter des données, que l'on sait impossibles à chiffrer, ça manque un peu de sérieux...
Qu'à cela ne tienne : on ne va pas pinailler. Il faut noter, notons ! Les questions qui fâchent, on les évite.
* Pourtant, qu'on le veuille ou non, on sait bien que les notes ne signifient rien, et que s'en servir comme marqueur de valeur est une imposture : et l'on continue tout de même à décider de l'avenir d'un enfant sur des données qui n'ont strictement aucune fiabilité ? Comment ne pas entendre la petite voix qui vous susurre que ça ressemble beaucoup à un crime ?
Si on l'a entendue, on est alors bien obligé d'admettre qu'on ne peut pas savoir et qu'on ne saura jamais, avec une précision mathématique, quel type de progrès les enfants ont pu faire...
Et comme il faut avoir cette connaissance, pour aider vraiment les enfants, c'est notre manière de pratiquer ce métier d'enseignant, qu'il faut revoir, et vite !
Comment enseigner autrement ?
Il suffit de réfléchir un tout petit peu pour découvrir qu'existent d'autres moyens de savoir où en sont les enfants dans leurs apprentissages.
Par exemple, en leur donnant la parole, — au lieu de les interroger sur ce qu'ils devraient savoir — on peut connaître ce qu'ils aiment faire, ce qu'il savent faire, ce qu'ils connaissent. Découvrir qu'ils sont parfaitement capables de savoir eux-mêmes où ils en sont, si on supprime les punitions pour ignorance et pour erreur, et si on les traite comme des personnes égales en droit aux adultes.
Ce qui revient à dire : faire entrer la Démocratie dans l'école, en cessant de confondre "responsabilité" et "pouvoir", en permettant aux enfants de participer à la vie et l'organisation du travail qui les concerne, et surtout en faisant disparaître les pratiques qui infantilisent les enfants, au lieu de les aider à grandir, les pratiques qui créent de l'échec et les empêchent d'apprendre.
Bien sûr, ça ne peut être envisagé qu'en équipes d'enseignants et d'élèves...
Mais surtout, de grâce, cessons de parler de "niveau" des élèves : il arrive que le ridicule finisse par tuer...
Commentaires
1. Le dimanche 13 février 2022 à 14:08, par Laurent CARLE
2. Le mercredi 16 février 2022 à 18:32, par MIOSSEC Alain
3. Le jeudi 17 février 2022 à 11:31, par Laurent CARLE
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