C'est ainsi qu'à l'école, par exemple, il faudrait agir contre l'importance démesurée accordée trop souvent au caractère immédiat de la réussite, définissant ce qu'on appelle "un bon démarrage" de la vie scolaire d'un enfant. Elle pousse les éditeurs à publier, et les parents à acheter, des ouvrages sur le travail préparant à ce qui attend les enfants. L'ami Philippe Meirieu s'en émeut dans un tweet plein d'humour où il dénonce, avec Paul Devin, l'apparition d'un ouvrage comme celui des éditions "La Classe", intitulé :"Cinquante activités pour préparer (dès la maternelle) les enfants aux évaluations CP", qui préfigure, selon lui d'autres ouvrages pour préparer l'entrée en maternelle.
Rien n'empêche d'imaginer que, bientôt, les familles vont recevoir — ou seront priées de se procurer — le kit complet de préparation des bébés à la vie en crèche.
On a ainsi l'impression désastreuse que la vie de nos enfants est peut-être en train de devenir une perpétuelle préparation de la période qui suit celle qu'ils sont en train de vivre. Le présent, notion devenue obsolète, ne serait plus que la préparation de ce qui va suivre, étant bien entendu que ce qui compte, c'est une réussite supérieure à celle des autres les autres.
Aussi, certains pensent-ils qu'il faut commencer de bonne heure, et surtout à bonne hauteur d'emblée.

Cela rappelle une délicieuse nouvelle de Woody Allen, découverte dans le recueil intitulé "L'erreur est humaine", et qui commence ainsi : "Lorsque Boris Ivanovitch ouvrit la lettre et la lut à sa femme, tous deux blêmirent. Mischa, leur fils de trois ans n'était pas admis dans la meilleure école maternelle de Manhattan."
La suite de l'histoire est atroce : "N'ayant pas acquis les connaissances de base, telles que la décoration de pots de yaourts ou le collage de gommettes, le garçon n'était pas du tout préparé aux cruautés de la vie". Si bien que, du chapardage, aux crimes crapuleux, il finit condamné à la pendaison et, précise Woody : "A sa pendaison,le garçon a déclaré que tout avait commencé à aller de travers le jour où il avait été refusé dans une bonne maternelle."

Sous cet humour délectable, se cache, plus sérieusement, la question des chaînes de conséquences : oui ou non, une "bonne" ou moins bonne maternelle, — notion plus que floue ! — peut-elle déterminer la réussite scolaire future ? Et un mauvais départ implique-t-il forcément une arrivée en catastrophe ?
Est-on prisonnier du démarrage ?

Il est vrai qu'un démarrage, quand il n'est pas réussi, produit un effet puissant de perte de confiance et de démotivation. Et, s'il s'agit d'un enfant, l'entourage n'est pas toujours prêt à passer au-delà et à encourager de nouveaux essais.
Mais croire qu'un ratage est irréparable, ce qu'on craint toujours, représente, en fait un vrai danger, beaucoup plus grave que celui qui est redouté, car il est susceptible d'handicaper toute la suite du projet, et de faire perdre complètement à son auteur, toute confiance en lui. Certains peuvent voir dans ce processus un des nombreux moyens de soumission, savamment conçus et entretenus par quelques dominants qui tiennent à le rester.

Or, plus le nombre des années augmente sur mes épaules, plus je vois d'exemples du contraire, dans la vie comme à l'école. Il suffit très souvent de peu de choses pour qu'une situation vire à l'opposé de ce qu'elle était, dans un sens comme dans l'autre, mais surtout dans le bon.
En classe — et même dans la vie tout simplement ! — j'ai vu bon nombre de fois qu'il suffit qu'un élève catastrophique ait une fois la possibilité de "briller" aux yeux des autres, quel qu'en soit le sujet, pour devenir autre, et réussir là où il avait l'habitude d'échouer... A condition bien sûr, qu'on ne commette pas l'erreur de s'en étonner en qualifiant ce moment d'exceptionnel, ce qui anéantit d'un seul coup l'effet bénéfique produit !
Aussi est-il nécessaire de chercher les moyens de découvrir, en chaque élève, son domaine d'excellence : ils en ont chacun un au moins...
Comment faire ?
Vivre avec eux des moments autres que scolaires, des jeux, des sorties (en espérant qu'elles vont être de plus en plus autorisées, voire encouragées et aidées), en n'oubliant pas que les activités physiques (EPS), en font partie.
Il faut savoir, par moments, déscolariser la classe : les moments scolaires n'en seront que plus efficaces.

Donc, réussi ou pas, le démarrage de l'année, comme d'un projet quel qu'il soit, n'est qu'un moment de la réalisation de ce projet, ni plus ni moins important que les autres, et tout dans un projet, est toujours "rattrapable", amendable, modifiable : l'essentiel étant que les artisans responsables soient d'accord pour cela.
Peut-être est-ce là, parfois, en revanche, un aspect plus délicat à gérer...
Mais c'est une autre question !!

Alors, bonne chance à tous, pour cette nouvelle année, quel qu'en soit le démarrage, ne perdez jamais le cap : c'est le seul moyen de retrouver la bonne route, la vôtre !