Cette réflexion, c'est une question, un monument : Pourquoi en 50 ans les pédagogues n’ont-ils pas réussi à convaincre les instits (et les conseillers pédagogiques) de jeter les méthodes et les notes à la poubelle ?

Et voici sa réponse :
Parce qu’elles sont l’arme absolue des éliminatoires avant compétition. Et comme elles ne lèsent que des pauvres, elles servent aussi de crible culturel pour le tri social et de barrière devant la culture écrite. Avec les classements pour confirmer « l’échec », chacun trouve la place qu’il mérite de naissance dans la pyramide sociale républicaine.

Il est certain que cette réponse va susciter chez beaucoup de nos lecteurs des réactions d'indignation passionnée :
"Qu'allez-vous chercher là ? Les méthodes sont des objets précieux et sûrs, produits par des spécialistes, qui aident fortement les enseignants, surtout débutants, dont la formation a été insuffisante, voire nulle. Elles proposent des pratiques bien connues, depuis longtemps, et elles créent un lien avec les parents, qui peuvent ainsi poursuivre auprès de leurs enfants, les apprentissages mis en place à l'école. Quant aux notes, elles sont souhaitées par les parents qui tiennent à pouvoir situer leur enfant parmi les autres de la classe"

On le sait, des expériences, — sans méthode toute faite, et sans note — existent depuis longtemps, qui, chose étrange, ne suscitent pas d'objection : le public les contemple, sans commentaire, d'un air aisément traduisible par la célèbre formule : "Souffrez que je les admire et ne les imite point".
Les raisons de cette méfiance sont nombreuses : outre la commodité de la méthode, qu'on n'a qu'à suivre, et la croyance, discutable, qu'elles sont des produits d'experts compétents — en réalité, plus en marketing, qu'en lecture et en pédagogie ! — elles sont rassurantes.

Et pourtant, elles sont extrêmement dangereuses ; entre autres, elles sont discriminatoires socialement, comme tout ce qui est tout fait, c'est-à-dire évidemment non adapté aux besoins de chacun des élèves.
Par exemple, la lecture, qui est le domaine d'apprentissage le plus important de tous, celui qui conditionne tous les autres, et celui où la notion de "méthode" préalablement conçue pour tous, est l'objet de débats parfois houleux. Si ces débats ont lieu, c'est qu'en matière d'apprentissage, rien de "tout fait" ne peut convenir. D'une région à l'autre, d'une année sur l'autre, les enfants sont différents, ont des savoirs d'expérience différents, donc, des besoins d'apprentissage différents : on sait avec certitude aujourd'hui, qu'on apprend qu'en prenant appui sur ce qu'on sait déjà, ce que, de toute évidence, une méthode toute faite ne peut faire.

Du reste, autre raison de les refuser, quand on les analyse, on découvre que ce n'est pas la "lecture" qu'elles enseignent : elles enseignent le déchiffrage, qui, non seulement n'en est pas, mais un truc incompatible avec elle.

Lire, c'est comprendre. Or, il est impossible de comprendre ce qu'on déchiffre : il faut sortir complètement du déchiffrage pour que la compréhension puisse s'installer. J'ai eu maintes fois l'occasion de le démontrer (cf. les billets du 2 et du 12 octobre 2018 et d'autres).
Avec une méthode, on reste prisonnier du déchiffrage, ce qui se traduit d'abord par une conduite de lecture linéaire, d'emblée et qui le reste.
Or, commencer par une lecture linéaire, c'est gêner d'avance le travail de la compréhension, qui ne peut se faire que sur des hypothèses de sens que l'avancée dans le texte permet de valider ou de rectifier. De telles hypothèses ne peuvent apparaître que par une première exploration du texte dans son entier. C'est donc par elle, qu'une lecture doit commencer. La tâche de la lecture linéaire sera ensuite de valider, ou de rectifier, ces hypothèses.
Si cette démarche n'est pas acquise — et comment le serait-elle, puisque c'est autre chose qui est pratiqué ?—, la lecture n'est qu'un faux-semblant.
Elle est du reste doublement fausse, puisque sans projet autre qu'elle-même : dans la vie, lire est toujours au service d'un projet, dont elle est le premier moyen de réalisation : sans lui, cette activité est une sorte d'ersatz inutile, un peu comme un marteau en plastique, avec lequel on ne peut rien "marteler", même pour s'entraîner seulement.

Enseigner la lecture avec une méthode (quelle qu'elle soit), c'est donc faire en sorte que l'élève acquière un semblant de lecture complètement vide ; c'est une arnaque, une tromperie.
Et, contrairement à ceux qui vivent dans environnement culturel riche, qui vient combler les manques essentiels de l'école, les pauvres, qui n'ont qu'elle, eux, pour acquérir les savoirs indispensables à leur dignité et à leur autonomie, ne trouvent, avec une méthode de lecture (quelle qu'elle soit), rien d'autre qu'un faux semblant de savoirs, où manque l'essentiel.
C'est bien comme le dit Laurent, ces "méthodes de lecture", sur lesquelles on débat vainement depuis des décennies, pour défendre celle qui serait la meilleure, ne sont qu'un outil pour écarter les pauvres du savoir, un acte politique au service de leur mise en marge de la société des possédants. La bataille est donc sans objet, ou plutôt, elle permet de cacher son véritable enjeu. Quant aux notes, elles sont là pour peaufiner le travail de discrimination : celui qui ne maîtrise pas la lecture ne peut rien maîtriser d'autre en matière de savoirs, et le rôle de celles-ci est de rendre bien visible cette non maîtrise.
Impossible de contester le caractère organisé de cette mise à l'écart d'une partie des enfants : on sait lesquels et pourquoi !