Anticiper, c'est — si l'on s'appuie sur l'étymologie du mot, issu du latin "capere" prendre, que l'on retrouve dans des mots comme l'adjectif "capable", précisé par le préfixe "ante" (avant) — le fait de "prendre en avance" les événements, pour mieux les préparer, et souvent pour mieux s'y préparer.
C'est donc travailler sur ce qui n'est pas encore là, et la question se pose de savoir comment on peut le faire !

Ne pourrait-on pas vivre de surprise en surprise, sans se poser aucune question sur la suite ? Ce ne serait guère supportable et parfaitement contreproductif : avec la surprise, on manque de temps pour construire une réponse adaptée.
Même si, justement, l'avenir n'est qu'une suite de points d'interrogation, on sait qu'il faut avoir des éléments de réponses possibles à chacun d'eux, ainsi que des moyens d'évaluer leur degré de probabilité, pour réagir de façon pertinente aux imprévus.
Car ce ne peut être de l'invention pure, et l'imagination seule, même si elle a un rôle à y jouer, semble bien insuffisante. La réflexion et la logique sont nécessaires pour "construire", par la pensée, ce qui pourrait arriver.
Et c'est pour cela que ça peut et doit s'apprendre, très tôt.

On retrouve ici, la grande question des liens cause/effet : le fameux raisonnement "si... alors...", abondamment — et brillamment — creusé, analysé et démontré, sous toutes ses facettes par les matheux, et les passionnés de logique : nombreuses sont sur le Web, les études sur ce point, qui donnent facilement le tournis à ceux qui ne le sont point.
Aussi, ceux-ci sont-ils souvent tentés de s'en tenir à l'affectif, qui endort délicatement, plus rapide et reposant que le raisonnement, la réflexion et l'argumentation.
C'est, de fait, une façon de voir, bien courte, dont l'efficacité n'est qu'à court terme et seulement en apparence : la peur, par exemple, est, comme dit le proverbe, bien mauvaise conseillère : elle ne pousse que rarement à agir de façon utile. Quant à l'insouciance tranquille, elle prépare surtout des réveils douloureux.
Or, précisément, celui qui vit le plus dans l'affectif, l'enfant, il vit dans cette insouciance, toujours au présent, c'est bien connu. Pour lui, le passé, c'était "avant" et c'est plat... Quant au futur, il va de soi, et n'a aucun besoin qu'on y pense : aussi préfère-t-il souvent en rêver, ce qui est fort différent. Préparer l'avenir, ne présente pour lui aucune nécessité.
Aussi, faut-il qu'il l'apprenne.

Préparer, c'est réfléchir et raisonner, non à partir d'un discours moralisateur imposé, mais par des découvertes personnelles, à travers des événements, provoqués, ou non, par les adultes — ce qu'on appelle aussi "éduquer" — qui constituent autant d'occasions de le découvrir, avant qu'il ne soit trop tard, avec toutes les conséquences destructrices qui s'ensuivent. Il est donc urgent de développer en lui, la capacité à "prévoir" — au sens propre du terme — la suite des événements, de quelque nature qu'ils soient, et ce, le plus tôt possible.

La capacité à "prévoir : comment la développer ?

Comme toujours, la solution est à trouver dans les deux domaines de construction des savoirs, pour un enfant : le jeu et l'analyse de celui-ci, indispensable pour faire émerger les savoirs qu'il apporte.
S'il est un lieu où ce qui se passe est suffisamment visible pour être analysé, c'est bien le jeu, surtout le jeu collectif. C'est là que la notion d'anticipation peut le plus facilement être repérée — pour être transposée dans d'autres domaines. Il est vrai — mon expérience me l'a prouvé — que cette transposition ne se fait pas automatiquement... D'où l'importance d'un travail transdisciplinaire : il faut presque toujours pouvoir se servir en classe de ce qui s'est passé en EPS, lieu d'action, où les effets sont visibles, pour faire comprendre telle notion en mathématique ou en production de textes.
Il est certes plus facile de l'entreprendre à l'école primaire, où rien ne s'y oppose — si ce n'est la paresse routinière du cloisonnement des disciplines, très coriace comme on sait, et dont il faut, à tout prix, se débarrasser.
C'est beaucoup plus difficile en collège et lycée, mais c'est tellement nécessaire, urgent, presque, que cela devrait finir par convaincre les collègues de trouver les moyens de travailler ensemble.
Et surtout, je suis convaincue que cette nécessité mérite les efforts qu'elle demande : j'en ai eu maintes fois la preuve, avec les collègues qui l'ont tentée et m'ont affirmé qu'ils ne pourraient plus jamais revenir en arrière. Sans doute, me dira-t-on, les choses n'ont pu que changer depuis ces "maintes fois", qui ne datent pas d'hier : ceux qui m'en ont convaincue sont pour la plupart en retraite, aujourd'hui...
Mais voilà : avec une juvénile naïveté, je persiste à penser que beaucoup de collègues d'aujourd'hui ont pris la relève depuis mon départ. C'est du présent, mais rien n'empêche d'espérer un avenir plus satisfaisant...
Un rêve ? Mais non ! Juste une anticipation, et, comme dirait l'autre à la télé, une anticipation juste !