Aller dans l'eau avant de savoir nager... sans se noyer : comment faire ?

Je retrouve, dans cette question, — et je remercie Ch. Montelle de me donner l'occasion de revenir sur ce point qui me semble très important — une forme de pensée fort répandue, que l'on peu nommer "binaire", qui consiste à ne voir en toute chose que deux possibilités contradictoires, entre lesquelles il faudrait choisir.
Ou bien on oblige l'enfant à aller dans l'eau, qu'il en ait peur ou non, ou bien on attend qu'il y aille tout seul, et il risque de rester ainsi des heures à grelotter sur le bord de la piscine.
C'est oublier qu'il existe heureusement d'autres voies, — lesquelles ne sont guère à la mode ces temps-ci, j'en conviens —, mais qu'il est plus qu'urgent de (re ?)-découvrir. Et je pense qu'une bonne partie de nos difficultés vient de notre incapacité à surmonter des contradictoires, c'est-à-dire à penser de façon dialectique.
Contrairement à ce qui se dit chez des irresponsables à longueur de blogs et de médias divers, il n'y a pas, d'un côté, les pédagogistes infâmes, postsoixante-huitards attardés, qui détruisent l'école par leur laxisme, et de l'autre, les bons enseignants qui la sauvent à coup de marche arrière, d'autorité imposée, de respect obligatoire et de savoirs à enfourner de force à des élèves, devenus des oies que l'on doit gaver.
Il est amusant, entre parenthèses, de voir que ceux qui assimilent ainsi l'enseignement à un gavage sont souvent les premiers à dénoncer la cruauté de cette pratique pour les volatiles en question...
Ô mystère des contradictions humaines — pas du tout dialectisées... !!

Soyons sérieux : dire qu'il faut lire avant de savoir lire, ou aller dans l'eau avant de savoir nager, n'a jamais voulu dire qu'on les jette dans la piscine ou dans une bibliothèque sans aide...!
Pour la natation, j'invite nos collègues à se renseigner surt le travail des spécialistes de cet enseignement comme Raymond Catteau, sur qui on trouvera des infos à l'adresse suivante :
http://www.brive.unilim.fr/staps/D2natation.htm Et pour ceux qui s'étonneraient de me voir citer ainsi des exemples issus de l'Education Physique, je rappelle que ce sont nos collègues d'Education Physique qui nous ont, les premiers, ouvert les yeux (et qui continuent !) sur les aberrations des pratiques traditionnelles, — auxquelles on voudrait nous faire revenir, comme si on les avait quittées, hélas !! —.
Ce sont eux qui nous ont démontré qu'on n'apprend pas les choses les unes après les autres, mais en relation les unes avec les autres. Eux aussi à qui l'on doit la conviction que l'on ne peut apprendre qu'en situation complète, présentant tous les types de difficultés. Et qu'il est infiniment plus efficace d'aider les élèves à se retrouver dans cette complexité pour qu'ils parviennent à la maîtriser, que de proposer des situations simplifiées (donc fausses) pour qu'ils puissent réussir tout seuls.
On le voit, c'est une tout autre approche de la façon de faire la classe : au lieu d'avancer pas à pas et tout seul, on avance en résolvant en même temps tous les problèmes, avec l'aide de l'enseignant, qui oriente vers les stratégies qui font réussir. C'est ce que nous appelons le "ralenti pédagogique", cette manière de "faire" en même temps que les élèves, pour décomposer les stratégies possibles, les rendre visibles et donc accessibles à tous.
Nous, les enseignants, nous ne sommes point chargés de transmettre des contenus tout faits, ce qui ne présente aucun intérêt, pour personne. Nous sommes chargés de faire acquérir les moyens de construire ces contenus.
Ce qui signifie, évidemment, que les enseignants sont indispensables. Mais non comme des courroies de transmission, comme des aides à la construction de savoirs.
Mis à part, quelques tenants éphémères d'une pédagogie totalement non directive (contre lesquels nous nous sommes toujours élevés avec autant d'énergie que contre les traditionnalistes), jamais aucun pédagogue n'a dit autre chose, même en 1968.

Encore une fois, dire que l'élève construit son savoir, n'a jamais signifié qu'il le fasse tout seul ; dire qu'il faut partir de la complexité des situations "vraies", n'a jamais signifié qu'on l'y abandonne.
Enseigner, c'est réunir les conditions pour que les élèves apprennent.

C'est un métier, difficile, qui demande une formation de très haut niveau, non seulement sur les contenus (cela va de soi), mais surtout sur les moyens d'aider les élèves à réussir.
Comme dit l'ami Lelau :
Pour oser la complexité dans une classe,
1- il faut croire en l'intelligence des enfants (en principe, l'adulte qui n'est pas devenu aveugle et sourd pendant ses années de formation devrait le constater avec évidence et non le croire),
2- il faut leur faire et SE faire confiance (très audacieux).
Beaucoup de conditions, donc, pour des gens qui sortent de l'école formatés aux idées reçues.

Rien à voir, on le voit, avec le gavage des oies (qui, entre nous soit dit, est aussi un métier pas facile du tout, comme cela apparaît dans notre cher Sud-Ouest !)