Voici le rappel à l'ordre reçu.
"Autant pour moi et merci pour cette judicieuse et pertinente remarque."
Désolé de pinailler, mais on écrit "au temps pour moi". "Autant pour moi" ne veut rien dire: autant de quoi ? "Au temps", cela renvoie si j'ai bonne mémoire à des exercices militaires où il importe d'être "au temps" c'est-à-dire au bon rythme. "Au temps!" est une réprimande adressée à ceux qui ne sont pas dans le temps, et lorsqu'on se réprimande soi-même cela devient "au temps pour moi". Je ne le signale qu'à cause du sujet de ce fil : la dictée... D'autant (d'au temps?) que cette curiosité linguistique est peu connue, faute de trouver cette expression dans textes écrits.
A part ça, n'y a-t-il vraiment aucune corrélation entre la baisse du niveau d'orthographe des élèves (que personne ne conteste) et la diminution du temps passé à étudier l'orthographe (sous forme de dictée ou d'autres exercices)? J'en doute un peu.


Voltaire disait, parlant de Marivaux, qu'il passait son temps à "peser gravement des œufs de mouches dans des balances de toile d'araignée".
On pourrait, pour caractériser le propos de mon correspondant, utiliser une autre formule, plus vigoureuse, impliquant également les mouches, mais qui serait peut-être mal perçue par certains...
Quoi qu'il en soit, ce rappel à l'ordre (quel ordre, au fait ?), à la fois hautain et blessant, oublie un certain nombre de vérités :
1- le respect qu'on doit à ceux qui parlent et écrivent doit l'emporter toujours sur celui qu'on croit devoir à l'histoire de la langue française. Quant au devoir de courtoisie, il est sacré.
2- une langue est une chose vivante, qui évolue et qui meurt quand elle s'arrête d'évoluer.
3- une langue est un outil de communication qui se doit d'abord d'être compris par ceux qui l'utilisent.
Qui connaît aujourd'hui la signification militaire de cette formule ? Et en quoi le fait de "respecter" l'orthographe d'origine, ce qui la rend parfaitement incompréhensible aujourd'hui, peut-elle présenter le moindre intérêt pour la communication ?
Lorsque mon correspondant affirme : "autant pour moi, ça ne veut rien dire : autant de quoi?", je me demande, moi, si "au temps pour moi", peut signifier vraiment quelque chose... Quand une phrase commence par "au temps", ce n'est assurément pas "pour moi" que l'on attend comme suite.
Aujourd'hui, on dit cela, surtout lorsqu'une erreur, commise par un autre, se révèle être le fait de celui qui parle. Elle est comprise comme "tu t'es trompé, j'en ai fait autant... Autant pour moi..." Cela a un sens. Que ce ne soit pas celui du langage militaire, à vrai dire importe peu, d'autant plus que ce dernier n'a rien de particulièrement attachant !!

De très nombreux exemples de déviation sémantique du même type peuvent être trouvés tout au long de l'histoire du français, depuis le magasin bien achalandé, donc où les clients (= les chalands) et non les marchandises, sont nombreux, jusqu'au verbe pallier, dont le sens d'origine (= "camoufler" : le pallium, avant d'être utilisé par le Pape, était le voile sous lequel on cachait la statue d'Athéna), n'est évidemment pas le "remédier à" que l'on croit (jolie histoire que ce glissement de sens !).
Et plus d'un de ces "dérapages" sémantiques a entraîné des modifications d'orthographe, auxquelles même mon correspondant ne peut plus rien dire : un exemple significatif est celui de l'adjectif "posthume", qui, en dépit de son orthographe, n'a rien a à voir avec une mise en terre. Cet adjectif vient du latin "postumus", qui siginifie : "Le dernier" et qui était utilisé pour désigner un enfant né après la mort de son père, ce qui en faisait incontestablement le dernier que celui-ci puisse avoir. Mais l'on a interprété le mot comme signifiant : "après la mort", d'où l'apparition du "h". Il semble peu envisageable de "corriger" cette "faute" aujourd'hui. Et l'on voit mal en quoi elle pourrait gêner la communication.
Tout ceci prouve entre parenthèses, que l'orthographe transcrit effectivement le sens et non la prononciation : écrire, c'est utiliser l'orthographe pour se faire comprendre, comme parler, c'est utiliser la prononciation dans le même but. Et la langue, qui est régie par l'Usage — et non par l'Académie Française —, quand elle ne comprend plus, invente une orthographe plus éclairante : c'est la vie !!
Où l'on voit que le purisme, l'intégrisme langagier, est largement aussi dangereux que l'intégrisme religieux...

Quant à la prétendue baisse du niveau en orthographe, n'en déplaise à notre correspondant, elle est bel et bien contestée... par ceux qui ont un peu travaillé la question et qui parlent en sachant de quoi ils parlent.
Les raisons de le faire sont nombreuses, à commencer par le fait que l'on en parlait déjà à la fin du 19ème siècle (!!). Mais surtout, ce qui sert à alimenter ce discours alarmiste, la fameuse dictée dont rend compte l'ouvrage de Danièle Manesse et Danièle Cogis, travail fort intéressant en soi, peut être facilement contesté en tant que preuve d'une baisse de niveau en orthographe, et ce, pour plusieurs raisons:
1- La dictée n'est guère représentative en général des savoirs en orthographe : seule la production écrite (ce que les spécialistes nomment l'énonciation) peut l'être : comme nous le rappelions plus haut, écrire, c'est utiliser l'orthographe pour se faire comprendre.
2- Il y a mille raisons, autres que le niveau en orthographe, pour expliquer des différences de difficultés sur une même dictée à 50 ou 100 ans d'intervalle. La notion de savoirs en orthographe n'est ni rigide, ni stable : elle dépend du vécu des enfants et ce qui a pu paraître facile à certains à une certaine époque, peut parfaitement sembler étranger et fort difficile à une autre, sans qu'il y ait baisse de niveau pour autant...

Tout ceci amène quelques questions de fond, peu nouvelles, mais coriaces.
Quand aura-t-on fini d'interpréter des différences en termes de hiérarchie ?? C'est différent, donc c'est moins bien. Ne voit-on pas que c'est là, très exactement, la mentalité raciste ?
Quand acceptera-t-on enfin d'étudier ce qui se passe en classe, avec un peu de sérieux et en prenant en compte toutes les dimensions et toutes les données ?
Et, par dessus tout, quand cessera-t-on de prendre des "erreurs" d'orthographe pour des "fautes" ?
Ne sait-on pas que cette confusion en est une, de faute, et grave ?