Et, n'en déplaise à ceux que ces termes défrisent, des choix qui sont largement idéologiques et politiques, aux sens nobles, assez oubliés aujourd'hui, de ces mots, dont il est urgent de rappeler la légitimité.
Nul ne peut contester que le métier d'enseignant consiste à réunir les conditions pour que les enfants apprennent.
Tout dépend donc du sens que l'on donne au verbe "apprendre" (Eh oui ! Tout dépend toujours du sens que l'on donne aux mots !!)
Or on peut considérer que ce verbe recouvre, dans les conceptions que l'on peut en avoir, cinq acceptions possibles. Apprendre, ce peut être :
1- Imiter un modèle
2- Comprendre un discours
3- Faire des choses « vraies » et utiles
4- Se laisser faire
5- Transformer son savoir

Si bien que, en fonction des diverses acceptions de ce verbe, le travail de l'enseignant va être très différent :
1- s'il pense que l'apprentissage fonctionne selon la définition n°1, son enseignement va consister à montrer aux élèves comment il faut faire, puis leur demander de faire pareil et de répéter cette imitation jusqu'à ce que le résultat soit conforme à l'original.
2- s'il pense que c'est en écoutant un discours qu'on apprend, il va préparer un cours très structuré, brillant si possible, et demander aux élèves d'être très attentifs, de prendre des notes, de mémoriser ces notes, pour être ensuite interrogés le lendemain.

Ces deux manières de faire correspondent à ce qu'on appelle le modèle «transmissif», — modèle « éprouvé » (voir plus haut) — majoritairement utilisé depuis toujours — , dont on voit bien déjà qu'il est moins simple qu'on ne le dit. Ces deux techniques ne sont pas substituables l'une à l'autre et les critères de choix entre les deux ne sont spécifiés nulle part.
On constate aussi qu'elles ne s'appuient sur aucun travail scientifique, même si une partie des neuro-sciences actuelles tente, sans apporter la moindre preuve, de leur conférer un soupçon de scientificité.

3- s'il opte pour le sens n°3 du verbe "apprendre", il va lancer les élèves dans des projets correspondant à leurs désirs, où, seuls ou en groupes, ils vont chercher, tâtonner, et trouver des solutions à eux, en pouvant éventuellement solliciter l'aide de l'enseignant. C'est le modèle dit «incitatif», qui correspond à la philosophie notamment de J.J. Rousseau, et aux travaux du docteur Decroly, de Célestin Freinet, de Makarenko, etc.

4- si c'est le sens n°4 qui l'a convaincu, il va préparer (ou prendre dans les manuels spécialisés) des petits exercices faciles à réussir selon une savante progression, de façon à mettre en place des comportements quasi réflexes (stimlulus/réponse). C'est le modèle dit «conditionnant» ou «béhavioriste», qui prend appui sur les travaux de Pavlov, Skinner, Watson etc.

5- mais s'il donne à ce verbe le sens n°5, alors il va organiser les apprentissages autour de deux sortes de moments :
* d'une part, des pratiques sociales de ce qui est à enseigner, avec des projets où les enfants ont tester et réinvestir leurs savoirs tout en mesurant les limites de ceux-ci, ce qui va motiver l'apprentissage ;
* d'autre part, des moments d'apprentissages proprement dits, avec des situations-problèmes à résoudre en groupes pour construire les savoirs théoriques, et des activités ludiques d'entraînement pour fixer les savoir-faire.
L'articulation entre ces deux sortes de moments va permettre de vivre le «conflit socio-cognitif» que constitue tout apprentissage, lequel entraîne nécessairement une destruction partielle des savoirs antérieurs et une reconstruction de savoirs nouveaux plus adaptés aux situations rencontrées. C'est le modèle dit «constructiviste», qui prend appui sur les travaux de Piaget, Brunner, Vygotski, etc.

Certes, chacun est libre (si nous sommes bien toujours en démocratie) de choisir le modèle qu'il veut... Mais pas selon sa fantaisie.
Les enfants ne sont pas des cobayes et les expérimentations pédagogiques se doivent de prendre en compte toutes les données de fait, que nous ont apportées les recherches fondamentales dans les diverses disciplines qui concernent l'éducation.
Or, si l'on veut que les enfants apprennent vraiment ce qu'ils doivent savoir, il importe de prendre compte, outre les savoirs dits "savants" des contenus à enseigner (pour le français, les réponses aux questions comme : qu'est ce que lire ? Comment fonctionne effectivement la langue ? etc.), les données concernant le métier d'enseignant. C'est-à-dire :
* le fait qu'il s'agit, selon le mot d'Yves Chevallard, "d'un jeu à deux", où l'élève est un sujet qui a le droit de dire non ;
* tout ce que l'on sait aujourd'hui sur le fonctionnement d'un apprentissage.
On peut citer quelques-unes de ces données, parmi les plus importantes, notamment celles dont l'absence dans une pratique pourrait (devrait ?) être considérée comme une cause de rejet de cette pratique :

1- L'enfant est une personne à part entière, que l'on ne peut contraindre, sans violer le respect que l'on doit à toute personne humaine.
Cela ne veut surtout pas dire qu'on le laisse faire ce qu'il veut, mais qu'il y a un travail de motivation à prévoir dans la tâche de l'enseignant. Il ne s'agit pas de supprimer les contraintes (elles sont absolument nécessaires), mais de faire en sorte qu'elles viennent de l'intérieur du sujet et non d'en haut.

2- Tout enfant a des savoirs, dès sa naissance, construits dans son expérience vécue (y compris intra-utérine) et très différents d'un enfant à l'autre. Or, il ne peut apprendre qu'en prenant appui sur ces savoirs pour les transformer. Il importe donc que ces savoirs-déjà-là soient connus de l'enseignant.

3- Ces savoirs n'ont rien de simple, puisque le simple n'existe pas dans l'expérience vécue. Pour s'appuyer sur eux, il faut donc partir du complexe familier aux élèves "d'ici et maintenant".

3- Acquérir des savoirs, c'est avoir construit des outils de pensée qui permettent de comprendre le monde qui nous entoure.
Il faut donc aider les élèves à analyser la complexité qu'ils connaissent, pour construire les notions dites "simples" et fort difficiles car abstraites, qui sont la charpente du savoir. La démarche d'enseignement doit donc consister à favoriser ce travail d'analyse.

4- Apprendre consiste, non à empiler des savoirs tout faits, mais à mettre en relation des éléments qui semblent coupés les des autres dans l'expérience.
C'est pourquoi, un travail par comparaison est toujours plus efficace. On ne peut du reste analyser que si l'on compare et l'on ne peut comparer que si l'on analyse.

5- La formation morale s'effectue plus par la manière de vivre que par des leçons. Les valeurs de respect, de solidarité, de courtoisie, doivent donc être vécues dans les relations maître/élèves et élèves/élèves et dans la manière de concevoir le travail d'apprentissage (travail d'équipes, entr'aide, absence de compétition, évaluation-mesure de progrès et non sanctions etc.), avant de faire l'objet de formalisation sous forme de règles.

Encore une fois, il semble bien que la prise en compte de ces données soit le critère déterminant de choix d'un type de pratique en classe.
On appelle "constructiviste", précisément, le modèle d'action pédagogique qui intègre chacune de ces données, apportées de façon convaincante par la Recherche fondamentale. On observe également qu'il s'appuie ainsi sur une grande diversité de sciences concernées par l'éducation, ce qui n'est pas le cas des autres modèles pédagogiques, et lui confère une probable supériorité.
Il est vrai qu'il présente deux inconvénients non négligeables :
* il demande beaucoup de travail de la part de l'enseignant qui doit s'appuyer sur les savoirs-déjà-là des élèves, lesquels sont toujours différents d'une année sur l'autre, et même d'un endroit à l'autre, rendant impossible tout recours à des outils pédagogiques universels ;
* il demande du temps, avant qu'on puisse évaluer les résultats.
Deux réponses à ces objections :
1- Pour la seconde, celle de Freinet qui rappelait que, même quand on est très pressé, il n'est pas conseillé de tirer sur les fleurs pour qu'elles poussent plus vite. Du reste, aucun jardinier ne le fait ! Ajoutons le mot de Platon, selon qui c'est la route la plus longue qu'il faut prendre, en matière d'apprentissage, car c'est elle qui forme l'esprit.
2- Pour la première : on sait que, si les enseignants travaillent en équipes, cela allège considérablement leur travail personnel. En plus, cela le rend beaucoup plus riche et beaucoup plus agréable.

A ces raisons de le choisir, aucun de nos adversaires n'a apporté, à ce jour le moindre argument de réponse contradictoire.
C’est pourquoi, au vu de la qualité et de la richesse de cette forme de travail, et surtout des résultats obtenus dans les trop rares classes où nous avons pu travailler, nous pouvons affirmer l'intérêt évident qu'il y aurait à poursuivre des expérimentations solides sur la base de cette hypothèse, au moins à côté de celles qui sont menées sur la base des modèles 1 & 2, (lesquelles, en plus, n’ont pas grand-chose à voir avec des expérimentations, attendu que les pratiques de ces modèles n’ont jamais quitté les classes...)

Il serait bon de rappeler ici, une fois de plus, que ce sont les résultats lamentables de ce modèle, omniprésent dans toutes les écoles après la guerre, qui ont motivé officiellement les recherches des années 60 et 70.
« Français, vous avez la mémoire courte » a dit dans les années 40, un certain chef d'état... C'est bien la seule chose sensée qu'il ait dite !!