L’attribution de la palme d’or à «Entre les murs» (que je n’ai évidemment pas encore vu) me fait poser la question : «Où est passée Bernadette ?»
En effet, je trouverais marrant que la sortie de ce film provoque — dans le champ social dont il traite : le collège — le même effet qu’a provoqué «Indigènes» dans le sien… le monde des anciens combattants d’outremer. Quand (parait-il) Bernadette Chirac aurait dit à Jacques « Il faut absolument faire quelque chose ! »… pour, notamment, augmenter le montant de leurs pensions.

Mais je ne suis pas innocent. Les enjeux ne sont pas les mêmes. Sarko et sa bande en veulent idéologiquement à l’école publique, sans vraiment savoir ce qui s’y passe… qui, certes, est loin d’être toujours parfait. Les remèdes qu’ils proposent sont pires que le mal. Les masses budgétaires en jeu ne sont pas non plus les mêmes…
Reste l’opinion publique en général… Il y a longtemps que je suis convaincu que ça ne fait pas de mal de montrer l’invisible de tous les jours. Au contraire, ça peut faire du bien, surtout si des pistes pour aller plus loin que le simple constat sont «disponibles»... disons pas trop loin. C’est le sens du documentaire sur la formation des profs que je tente de mettre sur les rails… en pure perte.

Et puis les souvenirs persos remontent.
Bien avant de produire les quarante Campus consacrés à l’analyse de l’école, j’ai produit et réalisé une émission de 55 minutes en 1983. Elle s’appelait «Et si demain l’école ?». Elle avait été tournée dans le cadre d’un PAE avec une classe de 4° au collège de Feyzin dans le Rhône… en sept jours ; ce qui est dramatiquement peu. Mais elle tentait de montrer la vie dans une salle de classe, au sein des conseils de classe, de la salle de profs, etc.
Pas vraiment la vie perso des ados, car ce n’était pas son objectif.
Elle comportait déjà quelques séquences de «pédagogie – fiction»… jouées très justes, car les élèves avaient vite oublié la caméra pour vivre les cours intéressants que leur proposait, entre autres, un certain Philippe Meirieu, dont c’était la première apparition télévisuelle. Pour autant, si un synopsis avait été écrit, ce « docu - fiction » n’avait pas été scénarisé au sens propre du terme ; notamment aucun dialogue n’avait été écrit à l’avance.

Au fil des divers Campus, nous avons tourné plusieurs séquences de «pédagogie – fiction» qui m’ont prouvé que, comme «la télé, c’est mentir vrai», le meilleur docu sur l’école devrait certainement faire appel à la fiction…
Ce que j’ai vu dans les séries «L’instit», «Madame le proviseur», etc. m’ont pourtant laissé perplexe car, souvent, les comédiens, surtout les enfants, jouaient faux. Mais une série n’est pas un téléfilm, et encore moins un film, au niveau des moyens et notamment des rythmes de tournages des castings, des temps de préparations, etc.

Bien des années plus tard, en 2000, j’ai réalisé «La vie rêvée des profs d’EPS» ; une vidéo de vingt six minutes commandée par le syndicat de mon ex-profession, le SNEP-FSU. Tout était scénarisé. Tout était écrit. Tout a été tourné avec une classe de quatrième d’un collège des Minguettes à Vénissieux. Le plus en difficulté pour jouer juste a été le comédien professionnel (plutôt théâtreux), recruté pour le rôle du «prof un peu dépassé par les temps qui changent». La comédienne (habituée aux téléfilms de France 3) qui jouait «la prof plutôt en réussite» a été plus vraie que nature… ainsi que la plus part des élèves… et des quelques profs qui ont du jouer «une réunion».
Juste une anecdote. Nous avions besoin du son off d’un conflit violent entre deux élèves, qui accompagnait une scène techniquement un peu complexe. Cette séquence a été reprise une dizaine de fois. A chaque «Coupez !», le conflit s’est immédiatement stoppé entre les deux protagonistes.
Dans le travail d’analyse avec les élèves, qui a suivi le tournage, je suis souvent revenu sur cet exemple, qui était censé montrer qu’ils étaient capables de se maîtriser quand… etc. etc. La distanciation du jeu me semblait avoir laissé des traces… sauf que l’un des deux élèves concernés par cette scène a participé, une semaine plus tard, au passage à tabac d’un nouvel arrivé au collège (blond et judoka) qui s’est terminé par l’arrivée du SAMU…

Pour autant, je n’oublierai pas les larmes dans les yeux des ados quand leur nom est apparu au générique, ni leur émotion quand nous leur avons remis, à chacun, un exemplaire de la cassette (leur seul salaire)…

Je vais donc attendre avec impatience la sortie de la «Entre les murs», en espérant que… Cantet aura pu réalisé ce qui aura été l’un de mes principaux rêves professionnels et militants.
Jean Paul