Commençons par une note amusée : elle devrait faire du bien dans cette ambiance un peu tendue et douloureuse (même quand on y est habitué, les insultes font toujours un peu mal).
Surtout, elle a le mérite d'éclairer le côté invraisemblablement bancal et faux des accusations lancées dans le torchon évoqué.
Le constat amer que notre blogueur Charbonnel dresse dans son commentaire du billet précédent, ne peut que me faire sourire, et sans doute plus d'un autre aussi parmi les moins jeunes de nos lecteurs.
De fait, c'est un quasi "copié/collé", de ce que, personnellement, j'ai entendu chaque année depuis... soixante ans ! A cette époque, je venais d'obtenir l'agrégation de grammaire classique, et de l'avis unanime des membres du jury, c'était la plus lamentable agrégation qu'on n'ait jamais vue. La baisse du niveau des étudiants de l'époque était effrayante, et chacun se demandait avec angoisse ce que l'avenir réservait à tous.
J'admets bien volontiers que ces membres éminents de l'Université aient pu avoir raison.
Mais ce qu'il faut bien savoir, c'est que la même mélopée désolée s'est fait entendre de la même manière à la fin de chacun des étés qui ont suivi.
Je pense que, étant au niveau zéro ou presque, en 1956, et n'ayant cessé de baisser régulièrement depuis, le niveau des étudiants doit être, cette année, largement au-dessous du niveau de la mer.
Mais ce qui est encore plus surprenant, c'est que ceux qui déplorent ainsi une décadence évidente appuient leur certitude sur leurs propres souvenirs passés où les résultats étaient, selon eux, infiniment meilleurs...
Va comprendre, Charles !

Mais revenons aux accusations évoquées dans l'ouvrage en question.
Quand on parcourt la liste de ceux "qui ont tué l'école", on découvre qu'il s'agit de ceux qui, dans la lignée de tous les grands noms de l'histoire de l'école (1), œuvrent depuis longtemps (pour certains depuis les années 70), au sein d'instituts de recherche divers, à ce qu'on appelle la "refondation de l'école", c'est-à-dire, qui tentent de comprendre comment on pourrait rendre l'école un peu plus juste et donc plus efficace pour tous.
Ils ont mené des recherches approfondies et expérimenté d'autres approches de la transmission des savoirs, en s'appuyant sur les données des sciences fondamentales qui concernent le métier d'enseignant : la psychologie des enfants, la psychologie des processus d'apprentissage, et, pour le français, la linguistique, la psycholinguistique et la sociolinguistique, à qui l'on doit les connaissances indispensables sur le fonctionnement de la langue, tant à l'oral qu'à l'écrit. Ils ont publié des rapports et des ouvrages développant ces travaux. ils ont défini des démarches précises, concrètes.
Il est vrai qu'ils sont relativement peu nombreux : d'après la liste, une poignée, mais qui ont tous, sous des formes diverses présenté le même objectif à leur recherche : celui de lutter contre l'échec scolaire, notamment contre les aspects sociaux de cet échec, le fait que celui-ci frappe majoritairement les enfants de milieux socio-culturellement défavorisés. Aucune logique, en effet, ne justifie ce lien, prouvé pourtant par les faits et les statistiques. Force est d'admettre l'hypothèse que la cause doit résider dans les pratiques d'enseignement, sacralisées par l'usage et soutenues par les hautes instances de l'Éducation Nationale.

Même si l'on sait que l'enfer est pavé de bonnes intentions, il est difficile d'admettre que des gens aussi cultivés, souvent titulaires de diplômes élevés, tous enseignants, et qui disent aimer les enfants, puissent être à ce point maladroits, qu'avec de tels objectifs pour l'école, ils en arrivent à la tuer !!
Ce n'est pas sérieux : et d'autant moins qu'ils sont souvent très mal vus, des parents comme des supérieurs hiérarchiques, soucieux de n'avoir pas de vagues à affronter, qu'ils ont des ennemis puissants, qui ont toujours jusqu'ici réussi, soit à les empêcher complètement d'agir, soit à enfermer leurs travaux dans une telle confidentialité, qu'ils n'ont pas tardé à être oubliés.
Où auraient-ils eu le pouvoir de tuer l'école ?

Et pourtant, l'école est bien, sinon morte, du moins très malade, et d'une maladie qui s'aggrave, depuis des années : le décalage se creuse entre les pratiques — qui n'ont pas changé depuis cent ans : les parents retrouvent chez leurs enfants les mêmes tristes exercices que ceux sur lesquels ils se sont ennuyés jadis : les rares variations sont de pure surface — et les enfants d'aujourd'hui qui n'y trouvent strictement aucun intérêt. Le problème, c'est que, maintenant, ils ne se contentent pas de s'y ennuyer en silence, comme nous le faisions jadis, mais qu'ils les refusent carrément, en ne craignant pas de le dire, et en balayant toutes les règles du savoir-vivre scolaire, admises autrefois (certes souvent à contre-cœur), mais admises tout de même. Ce n'est pas une "crise de l'autorité", comme on dit pour en déduire qu'il faudrait "revenir" aux pratique anciennes, ce qui est impossible, vu qu'elles ne sont jamais parties. C'est une inadaptation totale des pratiques aux conditions de la vie actuelle.

Les remèdes, on les connaît. Ce sont les "accusés" qui les ont définis : ils ont en effet mis en lumière que ces pratiques, toujours en usage, sont en contradiction avec ce qu'on sait des enfants et de la manière dont ils apprennent, qu'elles reposent sur des confusions importantes : confusion du "simple", avec le "facile", apprentissage par empilement de petits savoirs successifs sans mise en relation entre eux, ni surtout avec les savoirs des enfants, qu'elles méconnaissent trop souvent la personne des élèves, etc. La liste est connue : elle a souvent été détaillée ici.
Donc les remède sont disponibles. Ceux qui les ont mis au point et expérimentés sont prêts à les offrir.
Il suffirait qu'un courage politique ouvre la porte de leur diffusion, et favorise leur expérimentation dans les classes.

Mais voilà, travaillant alors sur du "vrai", en projets, les enseignants n'auraient plus aucun besoin de "matériels (prétendument) didactiques", manuels, méthodes, étiquettes, et autres cahiers d'exercices, sans oublier les mêmes pour les vacances...

Une catastrophe économique impensable : il est assurément plus sûr de brûler les accusés, comme sorciers et sorcières.

(1) On peut retrouver leur histoire dans la page : "Petite histoire des pédagogues" du site de Philippe Meirieu :
https://www.meirieu.com/PATRIMOINE/lespedagogues.htm