Avec étonnement, on découvre, en effet, que l'erreur n'a pas le même statut "moral" pour tous les domaines de la culture.
Une erreur mathématique est, certes, reprochée, mais sans l'aura morale qu'elle a en orthographe, où elle suscite une réprobation presque unanime. Une aura morale, c'est vrai ; mais une erreur d'orthographe produit des effets très curieux, différents de la réprobation.

Une anecdote, vécue par moi, enfant, en est l'illustration.
C'était dans les années sinistres de l'occupation nazie en France, où les pénuries alimentaires provoquaient d'interminables queues devant les magasins, laissant largement le temps de contempler les alentours. Un jour, où j'accompagnais ma mère dans une de ces queues, on pouvait voir, à côté de nous, sur le mur, une pancarte écrite à la craie, portant ces mots : "Ouvert tous les jours exepté le mardi". Au bout d'un moment, j'ai vu ma mère, excédée, saisir la craie qui était posée à côté, et rajouter d'un geste vif, le "c" manquant, sous les yeux médusés des autres clients. Elle était institutrice, bien sûr, habituée à corriger les erreurs d'orthographe, mais je suis certaine qu'un tel geste aurait pu être le fait d'une personne non enseignante.
Pourquoi un tel geste, dont je me sais capable, moi aussi aujourd'hui ?

Parce que, pour quelqu'un qui pratique fréquemment lecture et écriture, voir une erreur d'orthographe est insupportable, aussi insupportable qu'une tache sur un tableau. La formule est du reste souvent utilisée : une erreur d'orthographe, sur un texte, fait tache et gêne la lecture du texte.
Contrairement à la croyance populaire, l'orthographe ne sert pas seulement à écrire, elle sert surtout à comprendre ce qui est écrit. Outre qu'il arrive que le lecteur puisse ne pas comprendre un écrit présentant des erreurs, il arrive aussi que des erreurs modifient le sens du texte, parfois de manière cocasse : certains exemples sont célèbres :

La dame était plein fards : forcément cela m'a éblouie, et j'ai perdu le contrôle de ma voiture.
Ou cet autre fort savoureux : A cette heure-là, j'ai été été mangé : c'est pourquoi vous ne m'avez pas vu.

Je pense que, pour sensibiliser les enfants à l'importance de l'orthographe, ce sont de de tels exemples qu'il faut leur présenter et ce, d'autant plus qu'ils sont amusants.

Du reste, l'orthographe est un des lieux de prédilection des jeux de mots.
La presse s'en sert fréquemment, pour avoir des titres accrocheurs : l'un des titres les plus célèbres du Canard Enchaîné (et des plus intéressants à analyser !), est ce titre très ancien, datant de l'élection présidentielle de 1988, qui opposait François Mitterand à Jacques Chirac : "Une belle histoire de briguants", où l'orthographe de "briguants" est le détail important, à la fois pour la signification du message, et pour la protection du journal, qui ne ne pouvait ainsi être accusé d'outrage à candidats, tout en conservant son pouvoir "accrochant", par l'ambiguïté de la formule.
Il y a quelque temps, on a pu lire dans la presse sportive, le titre suivant : "Tsonga en terre battu", où l'orthographe de "battu" est le détail à interpréter, et qui interpelle d'autant plus qu'on commence, en général, par y voir une erreur d'orthographe, attendant la formule "terre battue" souvent utilisée au tennis

La presse fourmille de titres ainsi conçus, véritable mine d'or pour faire travailler les élèves, intelligemment et de façon amusante.

Si l'on peut faire ainsi des jeux de mots, avec l'orthographe, c'est donc que la réponse à la question du titre est évidemment "oui", puisque l'on change la signification du mot, en changeant l'orthographe des mots : à Paris, jadis, une boutique avant pour enseigne : "Marriage", avec deux "r", pour bien signifier que si la boutique avait un lien avec le mariage, ce n'était pas pour autant une boutique de mariage. Et le grand Alfred Jarry, fait jurer son héros, le père UBU, en criant "merdre", ce qui donne à cette injure les lettres de noblesse dont elle avait besoin...

Comme on le voit, modifier l'orthographe n'est pas forcément une "faute", c'est souvent une simple erreur, et parfois, un effet de style. Et, pédagogiquement, c'est ainsi qu'il faut la traiter.
Au lieu de dire à un élève, en classe, qu'il a commis une "faute", ce qui a pour effet de le "culpabiliser", avec toutes les conséquences psychologiques négatives qui s'ensuivent, il faut lui dire qu'on a du mal à comprendre ce qu'il a écrit, ou, par exemple, que tel mot n'existe pas en français, en lui faisant remarquer qu'on ne le trouve pas dans le dictionnaire, ou qu'on a du mal à voir à quelle partie de la phrase, ou à quel groupe de mots, il appartient, ou encore, ce qui arrive plus souvent qu'on ne croit, quel effet cocasse ou intéressant il produit.
En fait, c'est toujours en termes de compréhension pour le lecteur, qu'il faut juger les écrits erronés des élèves, et jamais autrement.

Du reste, il est essentiel d'oublier le terme de "faute", lourd de connotations morales, et s'en tenir à celui d'erreur, comme le rappelle le titre d'un excellent ouvrage, écrit par une collègue et amie toulousaine : Françoise Bourdier-Savioz : "L'erreur n'est pas une faute", publié aux Editions l'Harmattan en 2008.
Et je ne vois rien de mieux que de citer pour finir ce billet, les "traces d'un implicite espoir" de cette autrice :
Que les noyades dans l'échec scolaire pourraient ne plus arriver à partir du moment où l'école verrait, a priori, toute manifestation d'actes de pensée de tout élève, comme le résultat d'un cheminement intelligent.

Merci Françoise